Page images
PDF
EPUB

que tous les vices de l'organisation fiscale et toutes les inégalités dans la distribution des charges publiques, étant favorables aux intérêts des deux premiers ordres, les anciens abus se→ roient conservés, ou ne seroient réformés, qu'imparfaitement, si dans toutes les suppositions, soit d'une délibération par chambre, soit d'une délibération en commun, le tiers-état se trou→ voit toujours en moindre nombre que les députés des ordres privilégiés; et qu'à égalité il seroit encore inférieur en crédit, puisque leurs députés seroient nécesairement composés, en grande partie, d'hommes soumis, par leur état, à l'ascendant des seigneurs ecclésiastiques et laïcs. Les communes invoquoient la protection d'un père tendre et d'un monarque bienfaisant; c'étoit le langage d'alors; elles rappeloient leur soummission constante à l'autorité royale, l'intérêt qui les lioit à cette autorité protectrice, et elles renouveloient en-même temps la profession de leur dévouement particulier à la personne du prince, dout elles célébroient les vertus et les intentions généreuses. Le roi crut leurs demandes justes et se rendit à leurs instances. Sa décision fut suivie des marques les plus éclatantes de reconnoissance de la part des communes du royaume et si l'on publioit aujourd'hui les lettres

et les délibérations que les diverses municipalités de l'empire adressèrent alors au gouvernement, et qui contenoient toutes l'expression animée de la plus parfaite gratitude envers le roi, elles formeroient un singulier contraste avec le langage du jour. Sans doute on a voulu, depuis cette époque, revenir de ces premiers sentimens, en présentant la décision du roi comme une détermination imposée par les circonstances et par la force de l'esprit public; et c'est ainsi qu'on peut, à son gré, se dégager de tous les genres de reconnoissance; car en discutant avec raffinement les divers mobiles d'une action bienfaisante, on trouveroit toujours à cette action quelqu'intérêt personnel, cu politique, ou morale, ou religieux, dont la découverte serviroit de prétexte à tous les genres d'ingratitude. Mais hélas! ce n'est plus de reconnoissance dont il s'agit aujourd'hui pour ce malheureux prince, ce n'est plus des bénédictions éternelles dont il se flattoit, il y a peu d'années, qu'il est permis de lui présenter l'image. Tout est changé pour lui. Il voyoit alors, ainsi que je l'ai dit; il voyoit alors, réunis dans sa vie les actes de bienfaisance publique les plus mémorables et les preuves sensibles, les traits les plus touchans d'un dévouement de soimême au bonheur général; enfin ses souvenirs

1

étoient doux et ses justes espérances embélissient pour lui le spectacle de l'avenir. O revers inouï! ô mystère de la destinée! c'est ce prince, qui a plus fait pour la nation française qu'aucun de ses prédécesseurs, et dont la vie particulière n'a été souillée par aucune tache ; c'est.ce prince qui se trouve soumis aux rigueurs de la plus dure captivité; c'est lui qu'on a séparé de tous les genres de consolation; c'est lui qui vit de ses pleurs et qui se voit délaissé par la reconnoissance, l'amour et la pitié, et par tous les sentimens auxquels il avoit acquis le droit de se confier. On a fait plus encore, on le punit d'avoir cherché son bonheur dans la vie domestique, et l'on traite avec la même rigueur, avec la même ignominie, la fidèle compagne de ses infortunes, cette princesse, issue de tant de rois, et la fille chérie de Marie-Thérèse, de cette illustre impératrice, qui l'avoit confiée aux vertus hospitalières des français. Hélas! où est ce trône, où sont ces honneurs qui appartenoient à l'éclat de sa naissance, et qui lui étoient promis au moment où elle quitta sa patrie, et où elle fut obligée de renoncer à la protection immédiate de la meilleure et de la plus respectable des mères? Elle mêle aujourd'hui ses larmes à celles de son malheureux époux Uu jeune enfant élève au

milieu d'eux ses mains innocentes ; et så sécurité, la douce confiance qu'il met encore en ses caresses, ce passé qui lui échappe, cette avenir qu'il ignore, cette protection qu'il cherche et qu'on ne peut lui promettre, tout attendrit en lui, tout déchire le cœur de ses malheureux

parens; il etoit, il y a peu de temps, leur espérance chérie, il ne prolonge plus que leur douleur. Je ne puis achever ce tableau, mon ame succombe en le traçant. Cependant, au milieu de cette scène de douleur, au milieu de cette famille désolée, mes yeux baignés de larmes, apperçoivent encore une princesse héroïque, sœur et constante amie du monarque infortuné, qu'elle n'auroit pu quitter sans mourir. On la vit, à la journée du vingt juin, attachée aux pas de son frère, lorsqu'il sembloit menacé par une horde inconnue, qui se mêla pendant plusieurs heures aux flots tumultueux du peuple de Paris, on la vit aussi jouir, avec un sentiment sans modèle, de l'erreur qui la fit prendre un instant pour la reine, par des hommes dont les regards égarés sembloient chercher une victime; espérant alors, par un dévouement suprême, que son sacrifice pourroit suffire à leur aveugle fureur. Ah! sans doute le ciel, en qui seul elle a mis sa confiance: le ciel témoin des vertus de sa vie, s'est chargé

de sa récompense, et la terre ne peut rien contre elle: Mais cette ardente amitié d'une sœur, dont tous les sentimens sont si purs, cette ardente amitié pour un frère dont elle ne s'est jamais séparée, dont elle a suivi toutes les actions, dont elle a connu toutes les pensées; cette amitié si constante, n'est-elle pas un nouveau témoignage des vertus de celui qui en est l'unique objet? Hélas! je crois le voir, cet infortuné prince, jetant un regard plein de douceur sur les deux compagnes de sa destinée, et leur disant. d'une voix émue.... Si ce peuple que j'ai tant aimé est injuste envers moi, vous ne le serez pas, je l'espère...... vous avez lû plus d'une fois dans le fond de mon cœur, et vous savez si j'ai voulu le bien...... dites-le quelque jour, ils vous croiront peut-être quand je ne serai plus.....

O français! au nom de votre gloire passé, au nom de votre ancienne renommée, hélas! peut-être encore au nom de cette sensibilité, de cette générosité, qui firent si long-temps votre plus bel ornement, mais sur-tout au nom du ciel, au nom de la pitié, repoussez tous ensemble les projets de ceux qui cherchent à vous entraîner au dernier terme de l'ingratitude. et qui veulent vous associer à leurs violentes passions et à leurs sombres pensées. Un roi

[ocr errors]
« PreviousContinue »