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Mille voix s'élèveroient pour citer des traits de sa touchante bonté; mille voix s'élèveroient pour lui rendre à l'envi ce juste témoignage. Et c'est lui que l'on nomme un tyran! mais en faisant le bien, il s'est trop effacé lui-même, tant il craignoit de chercher la louange, tant il avoit d'éloignement pour tous les genres d'ostentation. Il a été desservi dans l'opinion par ce caractère, comme aussi, et je crois pouvoir le dire sans lui manquer de respect, comme aussi, peut-être, par une difficulté d'expression, due en grande partie au combat habituel de son extrême modestie avec le sentiment de la dignité de son rang? Sans doute ce monarque, doué des qualités morales les plus essentielles, a commis des fautes d'administration; mais quel homme peut diriger les affaires d'un grand royaume sans se tromper et se tromper souvent? Quel homme n'a pas besoin, pour remplir cette tâche immense, de se confier à des ministres, et de courir ainsi les hasards attachés à leurs différens caractères, et aux divers dégrés de leur capacité? LOUIS XVI au moins, a eu le singulier mérite d'avoir çu la disproportion des facultés d'un homme avec les devoirs imposés à un roi de France, et le mérite plus rare encore d'avoir voulu affranchir sa nation des effets malheureux autant qu'inévi

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tables d'une pareille disparité. Il commença d'abord par transférer l'administration des provinces, des mains de ses propres commissaires, connus sous le nom d'intendans, à des assemblées composees de citoyens librement élus, et choisis, moitié dans les ordres privilégiés et moitié dans le tiers-état ; et il leur remit le soin de la répartition des impôts et toute la partie économique de l'administration intérieure. Quelles bénédictions ne reçut-il pas à l'époque de cette institution si généralement desirée ? On croyoit qu'il avoit tout fait pour la France. Cependant, ce ne fut que le commencement de ses bienfaits; et cédant au vœu des français et au résultat de ces propres réflexion, il voulut s'environner lui-même des députés de la nation, et assurer de cette manière, la confiance publique, la libérté nationale, et la réforme de tous les abus' qu'à lui seul il ne pouvoit entreprendre. Et c'est ici, que tous les regards peuvent se fixer sur une des intentions les plus généreuses qui ait jamais illustré le règne d'aucun prince.

Aucune des idées de liberté, qui nous sont devenues si familières, aucune de ces idées n'existoient encore, lorsque le roi rassemblant les étatsgénéraux, oubliés depuis près de deux siècles, fit connoître én même temps, et de la manière

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la plus solemnelle (1), qu'il vouloit consacrer cette grande époque à l'établissement d'un ordre durable, conforme à la raison, aux souhaits de la France et au bien de l'état, et qu'il étoit déterminé à tous les sacrifices de son autorité, qui seroient jugés nécessaires pour atteindre à une si heureuse fin. Il ne se contenta pas même de s'exprimer à cet égard en termes généraux, il annonça qu'il concerteroit avec les représentans de la nation les moyens les plus convenables pour rendre certain leur retour périodique; et l'un de ces principaux moyens, il l'indiqua lui-même, en déclarant que dorénavant aucun impôt, aucun emprunt, aucune levée de deniers, ne pouroient avoir lieu, sans le consentement des étatsgénéraux; en déclarant de même que toutes les dépenses publiques seroient soumises à leur décision, sans excepter de cette règle les dépenses particulières à sa personne. Enfin, il manifesta, de la manière la plus expresse, son vœu pour destruction de toutes les autorités arbitraires. C'est ainsi que le roi s'expliqua dans le temps de sa pleine puissance, et avant le rassemblement, avant la convocation des états-généraux. Quel monarque a jamais fait, de lui-même, de pareils

(1) Voyez le résultat du conseil du 27 décembre 1788.

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sacrifices de son autorité à l'établissement de la liberté publique? L'histoire, je le crois, fournit point d'exemple?

Le voilà pourtant, celui que l'on tient enfermé dans une rigoureuse prison; le voilà, celui dont vous demandez vengeance; le voilà, celui dont les malheurs inouïs ne sont pas encore asseż pour vous; le voilà, celui dont vous dites comme les Juifs livrez-le et sauvez les Barabas. O mon Dieu, versez dans son cœur quelques consolations et soutenez son courage!

Sylla, le farouche Sylla, aptès avoir consacré ses fureurs par tous les genres de proscriptions, après avoir porté le deuil et la désolation dans toutes les familles, après avoir choisi, après avoir multiplié ses victimes, finit ses jours en paix au sein de sa patrie. Les romains oublièrent ses crimes, au moment où il leur rendit une liberté qu'il avoit usurpée. Quel contraste avec la destinée de LOUIS XVI! Il fut constament bon, doux et compatissant; et loin d'avoir jamais usurpé les droits de la nation, il a préparé la liberté publique par la seul expression d'un sentiment généreux, et il languit dans la captivité la plus effrayante. Quel sujet pour l'histoire ! quels

traits à ajouter au lugubre tableau des vicissitudes humaines !

Ah! ce que je voudrois pour ce malheureux prince, c'es qu'il fût jugé, c'est qu'il fût apprécié d'après les sentimens qui appartiennent à chaque homme en particulier; d'après les sentimens qu'on éprouve dans la retraite de son propre cœur ; car je sais combien sont redoutables ces opinions collectives, ces opinions commandées par l'esprit du jour, et auxquelles on est forcé de s'associer, avant d'avoir eu le temps d'être persuadé, avant d'avoir eu le temps d'examiner si l'on fait bien d'être sévère, si l'on fait bien de haïr, lorsque la nature peut-être nous avoit donné des affections douces, et nous avoit ainsi destinés à la compassion et à la bonté.

Je cherche tout ce qui peut ramener ces opinions générales, tout ce qui peut les soumettre à un esprit de justice. Rappelez-vous encore plus particulièrement, vous les représentans des anciennes communes du royaume, et devenus si promptement les ennemis, les juges sévères de votre infortuné monarque, lorsque la simple reconnoissance vous imposoit le devoir de l'aimer et de le défendre; rappelez-vous que le tiers-étar sollicitoit avec instance du gouvernement, d'avoir aux états-généraux un nombre de représentans égal au nombre des députés des deux autres ordres réunis; il représentoit avec force

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