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sont fermés aux amis de l'innocence opprimée, et ma voix, ma foible voix, pourra-t-elle pénétrer à travers le bruit des passions, et au milieu du tumulte qu'une sombre politique agite et dirige à sa volonté ? Je l'essayerai du moins, et je confie à la protection des ames généreuses et sensibles ces lignes que je vais tracer d'une main tremblante, et avec toute l'émotion d'un cœur oppressé.

Je vous le dirai sans crainte ; c'est de votre hon-, neur, peuple français, c'est de votre réputation, jusques dans les âges les plus reculés, dont il s'agit peut-être en ce mémorable instant; car, après avoir assujetti votre roi, après avoir soumis votre captif aux décrets de votre toute-puissance, vous aurez à comparoître vous-même devant le tribunal de la postérité ; et bien avant, vous, aurez à compter, sans doute, avec vos repentirs et avec vos remords trop tardifs.

Ne vous y méprenez point, ce n'est pas sur des papiers épars, et saisis inopinément dans le cabinet du roi, ou dans les bureaux des agens de sa trésorerie, ce n'est pas sur quelques indices susceptibles de diverses explications, que vous serez absous des rigueurs dont vous vous rendez coupables envers un monarque, devenu, par ses malheurs, l'objet de l'intérêt universel. C'est en

vain sur-tout, que vous voudrez séparer de sa cause les titres qu'il réunit, depuis si long-temps, à votre estime et à votre reconnoissance; la voix des nations vous y rappellera sans cesse; et les subtiles inductions que vous voudriez tirer d'une circonstance particulière, les raisonnemens que vous formeriez sur des faits isolés, toute cette controverse, où tant de passions se mêlent nécessairement, ne fixera point l'opinion générale; car, dans les contestations publiques, c'est tou jours par des traits marquans et visibles, pour ainsi dire, à toutes les distances, que les nations et les siècles apprécient la justice des rois et la justice des peuples. Le temps, dans son auguste marche, écarte en souverain maître ces petites accusations, plus ou moins dignes de foi, et auxquelles l'esprit de parti attache momentanément ane si grande importance; le temps les condamne toutes à un éternel oubli; et les pierres numéraires qui désignent son cours, ne transmettent au souvenir des hommes que les vérités dignes de leur intérêt et de leur croyance, et les mêmes qui échappent au combat passager de toutes les pas

sions.

C'est, dès-à-présent, à la lumière de ces grandes vérités, que les nations étrangères dirigent leur opinion, et l'Europe, entraînée par

des considérations morales, plus sûres que tout autre guide, fait universellement les réflexions suivantes sur les accusations élevées contre le roi. Et d'abord on est frappé du désavantage de sa position, de cette position difficile dans laquelle on l'a placé. En effet, on a cherché à diriger T'opinion par tous les genres d'écrits; on a fait imprimer en petites feuilles détachées des notes habilement choisies entre les différens papiers dont on s'est emparé; on y a joint les commentaires qui pouvoient donner une grande importance à de petits objets, ou convertir en réalités de simples apparences; on a répandu ces recueils dans tous les départemens, dans toutes les municipalités; on a voulu même qu'ils fussent lus aux prônes et sur les places publiques; et tandis qu'on s'est rendu maître de l'esprit du peuple, et par des mesures générales, et par tous les soins de détails, on a semé l'effroi parmi tous ceux qui auroient voulu plaider la cause d'un monarque infortuné ; et leur morne silence annonce distinctement que la plus légère expression d'un sentiment de pitié, deviendroit uu motif de proscription. Quelle renommée, quelle innocence ne succomberoient pas sous les effets d'une pareille combinaison! Et croiroit-on remplir tous les devoirs de la justice, en permettant au roi de

parler un jour pour sa défense? Qu'est-ce qu'un pareil droit? Qu'est-ce qu'une telle liberté, lorsque toutes les opinions sont faites, et lorsqu'on a eu le temps de les plier dans un même sens? C'est au moment où les préjugés se forment; c'est au moment où ils se préparent qu'il faut avoir la faculté de les combattre ; car, lorsqu'ils ont pris leur croissance, la main foible et tremblante d'un seul homme, et d'un homme accablé sous le poids de son infortune, ne sauroit les déraciner. Que pourra le monarque, que pourront ses défenseurs, lorsqu'on leur rendra la parole, après qu'on aura dépouillé l'accusé de toute sa réputation, de tout le respect qu'inspiroit son caractère, de tous les souvenirs qui plaidoient en sa faveur? Hélas! il en fallut bien moins autrefois pour perdre Phocion, Aristide et Socrate, et cependant la vie peu compliquée de ces sages ne présentoit pas à la calomnie les accès innombrables qu'offre dans tous les sens la conduite d'un roi, le chef d'un grand Etat, et qui fut encore placé par la fortune au milieu d'une révolu tion sans pareille.

En des temps moins étranges que les nôtres, il eût suffi pour défendre le roi, de rappeler ce qu'il a fa it pour la nation française; car, il n'est rien que des actes si insignes d'une généreuse bienfai

sance, ne pussent balancer et même disculper s'il étoit nécessaire. Je fais donc un effort sur moimême, en différant l'usage de ce moyen de défense, et en examinant d'abord les accusations particulières dirigées contre ce prince. Je le verrai, comme s'il étoit circonscrit, , pour ainsi dire, dans le temps présent, et sans être précédé, sans être environné seize ans de vertus,

par

et

par tous les actes d'amour envers ses peuples, qui ont signalé son règne. C'est avec ce cortège qu'il paroîtra devant les races futures; mais séparonsle, pour un moment, de cette douce puissance, et sans chercher aucune assistance dans sa conduite passée, écartons d'abord par la discussion les reproches dont ses accusateurs l'environnent. Je proteste néanmoins auparavant contre ce mode de défense, car ce n'est pas ainsi qu'il faut juger les rois ; leur tâche est si grande, leur vie est si remplie, leurs volontés sont entraînées par une telle affluence de motifs et de circonstances, qu'il seroit injuste de les soumettre aux mêmes règles et aux mêmes épreuves que les autres hommes. Il faut les considérer, même pendant leur règne, comme des personnages de l'histoire, et se placer loin d'eux pour les apprécier; enfin, dans un monarque, c'est l'homme et le caractère qui doivent répandre du jour sur les actions, tandis que dans

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