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miere bataille, il n'y a doute que la plus-part de l'Europe ne se declarast contre ce commun ennemy. Et si vostre Majesté se jette pieusement et courageusement en cette entreprise, il y a beaucoup de creance qu'elle vous est reservée, et que Dieu vous fera la grace de la conduire à heureuse fin.

"Cinquieme Advis, pour reduire l'Europe en l'obeyssance des roys de France et d'Espagne.

PARTAGER l'Europe peut apporter quelque utilité à la vie et du danger à la mort; vostre Majesté unie avec le roy d'Espagne, pouvez conquerir grande partie d'icelle: c'est la terreur des Venitiens, Anglais, petits potentaux tyrans d'Italie, et des princes de l'Empyre, qui, en crainte de la monarchie d'un de vous sement et nourrissent la division entre vos dittes Majestez, par laquelle ils jugeroient leur liberté opprimée, nommément si l'un obtenoit ladite monarchie ; c'est pourquoy ils ont aidé tousjours au plus foible contre le plus fort, pesant leur salut à la balance et égalité de vos deux puissances, l'une desquelles ils esperent à tous evenements avoir favorable; et quoy qu'ils soient en semblables interests, ils ne sont en pareilles intelligences, ayant les defauts coustumiers aux ligues en la resolution et durée d'icelles, quand ils ont affaire à des corps solides, contre ces confederations de plusieurs Estats differents en pretentions, en perils et utilitez. Semble que l'Angleterre devroit estre la premiere assaillie: vaudroit mieux y porter la guerre que de la recevoir, et ce d'autant plus que les

Ollandais ne pourroient estre ramenez à leur devoir tant que le roy d'Angleterre seroit contraire : la conqueste ne consiste qu'en deux batailles : le roy d'Espagne, par le duc de Parme, l'entreprenoit avec vingt mil hommes, si son armée ne fust perie; et le duc de Guise, pour le salut de la reyne d'Ecosse, y descendoit avec douze mil. Ils sont partis en trois religions, Catholiques secrets, Lutheriens et Puritains: il n'y a doute qu'un de ces partis se joindroit avec les conquerans, gens de legere foy; Marie d'Austriche les avoit fait catholiques, Elizabeth les retourna lutheriens. Ainsi, les deux forces de vos Majestez joinctes, l'une d'icelles, faisant descente en Angleterre, peut se rendre maistre de ceste isle, cependant que l'autre attendroit dans les ports pour donner des rafraichissemens et fortifier les conquestes. Seroit necessaire de donner recompense au duc de Savoye de ses pays, de s'accorder à qui ils appartiendroient, d'autant que tant qu'il demeurera dans iceux, il ne cessera jamais de mettre division entre vos Majestéz Chrestienne et Catholique, pour, prenant le party d'un de vous, s'a grandir au prejudice de l'autre; et apres, quelque part que tourniez vos armes, rien ne vous seroit impossible; l'Italie, tenue par les deux bouts, facile ment obeïroit, et les Ollandais ne pourroient resister.

Je ne m'estendray à discourir des moyens beaucoup plus faciles de venir à bout de ce dessein, d'autant que je le tiens injuste, et auquel vos Majestés ne s'accorderoient des partages: aussi avez vous peu de droit aux royaumes et principautez qui sont à conquerir. La Flandre seroit trop en danger si le roy de

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France estoit roy d'Angleterre, et le roy Catholique, qui possede quasi toute l'Italie, ne voudroit point de compagnon. Que s'il y a quelque droit en cette entreprise, ce seroit qu'en tous deux vous prissiez le nom et l'effect d'empereur, debattant la vieille querelle de reünir toutes les puissances sous l'empire romain, ou du moins que les royaumes, republiques et principautez s'assujettissent et obeyssent à vos Majestez à l'execution et entreprise contre les Turcs.

Devant que vostre Majesté choisisse une des voyes sus-dictes, implorez la grace de Dieu à l'acquit de vostre conscience, connoissez vostre naturel et inclination, vostre pouvoir et celuy de vos contraires. Le premier, d'une juste tranquillité, sera l'advis des gens de bien; celuy contre les Espagnols et Infideles, entrant en vous - mesme, connoissez si vous vous pouvez resoudre à tous evenemens, accompagnez de vertu, de pieté, patience, liberalité, valeur et magnanimité, sans donner ny trop ny peu à la fortune, sans beaucoup s'arrester sur les heureux succez d'Alexandre, de Cesar, de Themir. Les desseins de l'Europe sont plus difficiles maintenant qu'alors, quoy que le temps et l'experience nous ayent donné l'expugnation des places facile. Vray que Charles VIII, sans argent et peu de conseil, conquist Naples et Milan; pareillement Louys XII prit Milan et defit les Venitiens. Plus difficile fut la ruyne des ducs de Bourgongne par le roy Louys XI, où il falut que la peau du renard allongeast celle du lyon : ils s'aiderent de l'occasion, considerant la disposition du temps de leurs affaires, des forces ennemies et des leurs, pour rendre le succez de leur entreprise heureux; ce qui estoit neces

saire en vostre dernier dessein, par lequel il semble qu'avez choisi du moins d'affoiblir les heretiques. L'empereur Charles-Quint faillit Tunis, se retira hon-teusement du siege de Metz; le roy Charles IX se leva devant La Rochelle, et n'estes le premier qui se soit retiré des sieges: la proximité de l'hyver, le meslange dans vostre armée de ceux de mesme religion que les rebelles, vous excusent. La reputation est un grand advantage aux souverains: semble, pour la conserver, que vostre Majesté doit entrer par une paix le plus fort dans Montauban, rompre toutes leurs fortifications nouvelles, recevoir leurs personnes et biens en vostre protection; et s'ils estoient bien conseillez sur ceste resistance qu'ils ont monstrée, ils traicteroient en toute seurté.

Que s'ils sont si aveuglez de proposer des conditions deraisonnables, croyez, Sire, qu'il est tres-aisé de les faire obeyr, soit que suiviez les moyens proposez de prendre toutes les foibles places, ou attaquer celle en laquelle il semble qu'ayez laissé du vostre. Il se trouvera des capitaines en vostre royaume qui s'offrent (si vostre Majesté les veut croire) de prendre Montauban dans trois mois sans beaucoup de peril, ayant une armée de trente mil hommes, la moitié d'estrangers, lansquenets, reistres et Suisses; sinon que sans feinte vous vouliez confisquer et deserter tout le bien des rebelles, en peu de temps ils seront abandonnez des leurs mesmes. Seroit il possible que des gens sans assistance, sans argent ny alliance, peussent resister à un grand roy ayant les armes, les finances et l'authorité pour soy? Il n'y a qu'à prendre une bonne resolution, d'autant plus considerable, qu'il semble que

134 GASPARD DE SAULX, SEIGNEUR DE TAVANNES. vostre authorité doit prendre coup pour s'affermir par cette deliberation, ou faire place à d'autres mauvais accidents qui peuvent survenir; pour lesquels éviter, faut mettre le tout pour le tout puis qu'avez commencé de vous jetter dans la guerre, vous estes necessité que vos plaisirs et contentements soient dans icelle, les armes à la main, jusques à ce que l'obeyssance vous soit renduë par tout vostre royaume, et que vos subjects se contentent de vivre sous la protection de vos dictes armes. J'advouë n'avoir la prudence, le conseil ny la capacité de donner advis sur tant d'importance; je diray seulement qu'aucuns croyent que regner en justice et pieté, ou faire la guerre aux Infidelles, doit estre preferé à la reunion des heretiques et entreprise contre l'Espagne, ou association avec eux. Si tant est que les Français ne puissent vivre en paix, et que l'emulation d'honneur et d'erection de trophées en tant de provinces par vos predecesseurs émeuvent vostre Majesté aux armes, et qu'elle ne se contente de faire des actes pieux et justes qui seroient suffisans pour servir de memoire à la posterité que vostre Majesté auroit heureusement regné. Dieu, qui tient le cœur des roys entre ses mains, veüille conseiller et assister vostre-dite Majesté à la voye plus salutaire, accroissement de la religion catholique, bien et utilité de vos subjects, conservation de la reputation française, à ce qu'ayez les benedictions divines en la terre . et au ciel.

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