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vrirent ce défaut par une abondance, un luxe de defcription, & une diction toujours riche & polie. Ils avoient tous les deux, à leur difpofition, un langage expreffif, capable de joindre la plus grande force à la plus douce aifance, & fi M. Pope cede à fon rival dans ce point, c'eft parce que dans une langue infiniment plus verfatile, il n'a jamais fu furpaffer Virgile, dans la beauté de fon expreffion. Ils furent toutefois tous les deux, porter leurs prétentions à l'excellence en tout genre, au plus haut point de perfection poffible. Dans leurs épiques, ils s'approchent de bien près. Virgile suivit fervilement Homere, tant dans fon plan, que dans fes caracterès & fes aventures: M. Pope imita fes fentimens, & quoique fimplement traducteur, il differe autant de la maniere d'Homere, que Virgile dans fon ouvrage original. Dans ces premiers des poëtes & premiers des hommes, nous croyons, qu'à tout prendre, l'antiquité remporte la fupériorité; mais dans la maffe des modernes, elle eft en faveur de ces fiecles, où l'efprit humain jouiffant de l'avantage de fuperftitions plus fingulieres, a fn également s'en fervir, pour jetter plus de variété dans fes ouvrages, quoique fouvent d'un mérite très-inégal.

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Les modernes n'auront pas lieu de rougir en nous voyant obligés de recourir à un fecond poëte, pour achever de contre-balancer Homere; Camoens, dont le poème fe rapproche plus du génie de l'Odyffée, fournira un rival digne de concourir avec Homere dans cette partie de fes ouvrages; & les nouveautés du poëte Portu

gais, les Speciofa miracula rerum, ne trouveront leur contre-point que dans le fecond épique d'Homere.

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» Pour ce qui regarde Camoens on y trouve, à la vérité, des fautes groffieres, mais il poffede en même-tems les beautés les plus originales, qui fervent également à prouver de grands talens. Il n'eft pas correct comme Virgile; mais une plume guidée par un jugement troid & mûri par l'âge, n'auroit pas manqué d'effacer les vols d'imagination qui ne laiffent pas de nous ravir, de nous furprendre & de nous éblouir. Ce font des infirmités fublimes, qui ne peuvent, à la vérité, foutenir l'inquifition de la critique. Le poëme de Camoens, dit Voltaire, eft une espece de poéfie jusqu'ici inconnue. J'accepte la defcription, mais non pas au déshonneur de Camoens. Les mœurs de la Lufiade font nouvelles & frappantes; & quant aux images, l'apparition qui jetta l'épouvante parmi la flotte, près du cap de Bonne- Efpérance, eft une fiction fi noble, fi pompeufe, qu'elle feule fuffiroit pour faire adjuger à Camoens la fupériorité de génie au-deffus de Virgile. Ofera-t-on même comparer la defcription des champs élyfées de Virgile à la description de l'ifle de Vénus par Camoens? Lifez la Lufiade dans la traduction de Mickle, & l'Eneide dans l'original: & fi vous pouvez réuffir à écarter les préjugés claffiques, vous préférerez certainement cet endroit de Mickle, quelque étrange que doive paroître la comparaifon faite d'un poëte moderne avec l'original du chefd'œuvre des anciens poëmes épiques. Une telle

fupériorité doit paroître un phénomene en littérature: mais la Lufiade, peut être, doit beaucoup de fes beautés à la traduction faite par cet auteur élégant. «

En admettant ces éloges de Camoens, nous devons au moins avouer qu'il y a lieu de le faire concourir avec Virgile mais nous ne voyons pas ce que nous pourrons oppofer à la Pharfale de Lucain, & à la froide narration de Silius: les modernes ne femblent pas nous fournir des objets propres à être mis en comparaifon avec ces ouvrages. Peut-être que le Léonidas de Glover n'eft pas inférieur au premier ; & certainemeni la Henriade de Voltaire furpaffe le fecond. Le génie & la maniere correcte du Taffe, les extravagances fublimes de l'Ariofte, les defcriptions variées, mais toujours riches, que préfentent les Enchantemens du Nord, écrits par M. Hole, dans un ftyle fi châtié & fi poétique, qu'on les croiroit prefque de Virgile, doivent certainement contre-balancer le feul ouvrage de fuperf tition populaire dont l'antiquité peut fe vanter: nous parlons des métamorphofes d'Ovide, que M. Polwhele semble avoir laiffé dans un de fes étranges oublis, de même que les Argonautiques d'Apollonius, qui néanmoins n'auroient pas manqué d'ajouter confidérablement au contre- poids des anciens, dans la balance du mérite.

Si nous paffons au drame, les Grecs ne nous fourniront que trois excellens auteurs en tragé die: Efchyle, Sophocle & Euripide. Pour les Romains, ils n'ont pas fourni un feul tragique qui mérite d'être cité. Au triumvirat des Grecs, le

docteur Warton oppose Shakespear, Corneille & Racine. Mais Shakespear, ajoute-t-il, eft trop excentrique pour pouvoir le juger par aucune regle dramatique; ceci toutefois ne fait rien à la chose. La feule question ici eft de favoir lequel de ces trois écrivains poffédoit le plus de génie la décifion, comme je crois, ne pourra manquer d'être en faveur de notre compatriote, puifque dans les grands traits de nature & de caractere, il furpaffe décidément fon compétiteur Efchyle. Dans ces points, (dit Warton) il ne le cede nullement aux Grecs. « Et ces points ne constituent-ils pas la principale excellence du drame ? La vérité eft qu'Efchyle empruntoi beaucoup de fes prédéceffeurs, quoiqu'en plufieurs occafions il pense noblement par lui-même Shakespear n'empruntoit rien que de fon archetype, la nature. Il faut encore ajouter, qu'autant Shakespear pouffe fa hardieffe à l'extrêmité, autant Efchyle eft incompréhensible dans fon obfcurité.

Sophocle & Corneille different tant dans leur maniere, qu'il fera toujours impoffible d'en faire une bonne comparaifon, felon les regles d'une jufte critique. En avouant que le premier eft plus régulier dans fes intrigues, on ne difconviendra pas que les caracteres du fecond font beaucoup plus variés. Je doure même fi la piece la plus défectuenfe de Corneille, toute ampou lée qu'elle pût être, & dégradée même par la déclamation fentimentale, ne réuffiroit pas mieux à fatisfaire tout lecteur impartial, que ne feroit l'@dipus tyrannus même. Le tendre Racine

porte quelque reffemblance avec Euripide, & l'égale même en pathos; mais il le furpaffe en courtoifie & en douceur. Il y a certainement un grand agrément dans la diction d'Euripide, & c'eft en quoi confifte fon grand mérite.

Cette critique de M. Polwhele eft bien froide, & nous fentons combien elle doit engourdir nos lecteurs. Les beautés fieres & prefque furpaturelles d'Efchyle font certainement égalées par notre Shakespear, foit que nous confidérions l'énergie de fes expreffions, ou la nobleffe mâle de fes penfées, & le feu poétique de certains paffages. En rétléchiffant encore fur les avantages d'un plus parfait arrangement des scenes, des pieces plus artiftement difpofées, du théatre perfectionné, d'un drame qui comporte des fcenes plus variées, les compofitions de Shakespear paroîtront, dans tons ces points, beaucoup fupérieures à celles d'Efchyle. Dans le Terrible, Shakefpear eft le feul des auteurs tragiques Anglois qui puiffe tenir tête à Eschyle, qui semble même feul pofféder le grand fecret d'inspirer la terTeur par des pauses bien ménagées, & qui, en fufpendant l'action, Ta fait preffentir par la réflexion. Les auteurs Allemands poffedent ce même art, & quelques-unes de leurs tragédies ferviroient, s'il étoit néceffaire, à foutenir puiffamment la caufe des modernes contre le héros du genre terrible, parmi les anciens. - Anx pieces de Sophocle, pourquoi n'oppoferions-nous pas la All for love de Dryden; la Mourning Bride de Congreve, & les nombreuses tragédies de Voltaire. Oppofés à Euripide, on verra Rowe,

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