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reçoit Cécile & Lucile comme feinmes-de-chambre: elle leur raconte fes infortunes & leur montre le portrait du baron. Qu'on juge de la furprife de Cécile, qui reconnoît fon époux dans celui de Zélia! Elle veut fuir avec fa fille ; mais, avant, elle demande à entretenir fecrétement le baron, au moment où Zélia eft dans l'ivreffe de la joie que lui cause fon retour.

Enfin, tout fe découvre : ici l'intérêt eft porté à fon comble. Zélia tombe dans un cruel égarement. Sa rivale elle-même lui porte des fecours: Zélia repouffe tout le monde. Agitée du plus violent désespoir, elle cherche à fuir pendant la nuit; mais elle va mouiller encore une fois de fes larmes le tombeau de fa fille : elle y furprend Fontorbe, qui veut s'y arracher la vie, & détourne le coup de piftolet qu'il fe tire fur le front. Alors tout le village, qui chériffoit la baronne, vient s'oppofer à fon départ. Cécile elle-même l'engage à refter, & elle fe rend aux vœux du village, de fa rivale & de Fontorbe, qui, ne fachant laquelle choisir de fes deux femmes, s'écrie: Qui eferoit décider entre elles deux ? Tel eft le fujet de cet ouvrage, plein d'intérêt, de mouvement & de teintes gaies, au milieu de fituations touchantes.

La mufique peut être regardée comme un chefd'œuvre dans fon genre. La finale du second acte eft fur-tout un morceau digne de nos meilleurs compofiteurs italiens ou allemands. Elle eft pourtant d'un François qui ne s'étoit point fait connoître par modeftie, & à qui elle doit faire la plus haute réputation: c'eft M. Deshayes, auteur

du faux Serment & d'autres ouvrages, agréables fans doute, mais qui ne font point à la hauteur de Zélia. Le poëme, eft, on ne peut pas mieux coupé. Si le dénouement n'en eft pas trèsfatisfaifant, il l'eft moins encore dans l'original allemand, & peut-être étoit-il un des plus difficiles à faire mais fon fecond acte appelle les larmes, & interroge vivement la fenfibilité du fpectateur, fans lui caufer d'horreur ni d'effroi.

de

Nous devons ici, & d'après le fentiment du public, un jufte tribut d'éloges à Mde. Ducaire, qui a montré le talent le plus eftimable dans le rôle de Zélia. Les accens du défefpoir, les égaremens de la folie, les tranfports de l'amour, la jaloufie, de l'amitié & de la tendreffe maternelle, elle a tout exprimé avec beaucoup d'ame. Cette actrice, qui a de très-beaux moyens, & à qui il ne manque que des rôles, puifqu'elle paroît travailler beaucoup, a été demandée à grands cris après la piece. M. Ducaire joue d'une maniere très-fatisfaisante le rôle de FoRtorbe; & ces deux acteurs font fort bien fecondés par M. Valleville, & Miles. Denarelle, Sévignis & Lacaille. L'orcheftre a mis auffi beaucoup d'ensemble & d'intelligence dans l'exécution des plus beaux morceaux de cet opéra.

(Affiches, annonces & avis divers.)

THEATRE DU MARAIS.

On a donné à ce théatre, la premiere représentation d'Artémidore, tragédie en trois actes, qui a eu peu de fuccès.

Le fujet n'eft autre chofe que la révolution françoife tranfportée à Siracufe, & fuivie pasà-pas dans tous les détails. Cette piece eft donc de circonftances, & n'offre point de femmes. Elle a excité fouvent des applaudiffemens; mais comme il importe au maintien & à la confervation du goût, que toutes les regles de l'art ne foient pas violées & confondues, nous fommes forcés de dire que de longues déclarations fans intérêt, dans lesquelles on répéte trois cens fois les mots citoyens & liberté, ne font pas une tragédie. Il eft tems d'arrêter ce débordement d'ouvrages de circonftances qui finiront par anéantir l'art dramatique en France.

Le lundi 7 novembre, on a donné la premiere représentation de Théodofe le jeune, comédie héroïque en cinq actes & en vers libres.

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Voici le trait d'hiftoire qui fert de base à cet ouvrage. Theodofe II, empereur d'orient, frere de Ste. Pulchérie, & à qui nous devons le Code, dit Theodofien, cherchoit par-tout une épouse qui put faire fon, bonheur & en même tems celui de fes peuples, lorfqu'il arriva à Conftantinople une jeune perfonne remplie de graces, d'efprit & d'érudition: Athénais, c'étoit fon nom, étoit fille de Léonce, philofophe athénien, qui l'avoit déshéritée pour faire la fortune de fes freres. Athénais, après la mort de fon pere, vouloit rentrer dans tous les biens, que fes freres lui conteftoient : elle venoit porter fes plaintes à Pulchérie, fœur de Théodofe. Cette princefse, étonnée de son efprit, autant que charmée

de fa beauté, la fit époufer à fon frere, l'an 421. Les freres d'Athénaïs, inftruits de fa fortune, fe cacherent pour échapper à fa vengeance ; mais Athénaïs les fit chercher pour les élever aux premieres dignités de l'empire; générofité qui rend fa mémoire plus chere aux ames bienfaisantes, que remarquable par l'élévation de la fortune. Après fon mariage, elle reçut le baptême, & fe fit nommer Eudoxie, ou Eudocie: fon trône fut toujours environné de favans, & elle compofa elle-même plufieurs ouvrages. Photius cite d'elle, avec éloge, une traduction en vers hexametres, des huit premiers livres de l'Ecriture. On attribué encore à cette princeffe, un ouvrage appellé le Centon d'Homere, qu'on trouve dans la bibliotheque des peres. Du Cange penfe que cet écrit eft tout ce qui nous refte de fes ouvrages; mais la plupart des critiques conviennent qu'il n'eft ni d'elle, ni digne d'elle. Ceux qui voudront connoître plus particulièrement cette princeffe, peuvent confulter Villeford, qui a écrit fa vie. M. d'Arnaud a fait, fur le même fujer, une Nouvelle intitulée Eudoxie.

C'eft ce mariage d'Eudoxie avec Théodofe, qu'on nous a présenté dans 5 actes très longs & affez froids. L'auteur a fu profiter adroitement de quelques traits de cet empereur, dont le grand défaut étoit de figner tout ce qu'on lui préfentoit, fans même prendre la peine de le lire; défaut dont Ste. Pulchérie le corrigea, en lui prefentant à figner un acte par lequel il abandonnoit l'impératrice fa femme, pour être efclave. « Lorf

Pulchérie lui eut fait connoître ce qu'il ve

noit de figner fi aveuglément, Théodose en devint fi confus, qu'il ne retomba jamais depuis dans la même faute.

Quoi qu'il en foit, cette piece a une certaine phyfionomie avec le Démocrite de Régnard: elle eft cependant verfifiée avec beaucoup de pureté & de facilité; mais il y a trop de longueurs, & l'intérêt y eft trop divifé. La piece a été fort bien jouée.

Le mercredi 16 novembre, on a donné, pour la premiere fois, Trafime & Timagene, tragédie en cinq actes, par M. Dubuiffon.

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Ce théatre avoit été diftingué, dès fon ouverture, par les talens de M. Baptifte, l'aîné, & de quelques autres acteurs. Mais jufqu'à préfent les nouveautés n'y avoient pas été heureufes, La tragédie nouvelle a obtenu & a mérité du fuccès.

Le fujet en eft entiérement d'imagination. Hircan a ufurpé le trône de Samos, en en chaffant Softrate & fon fils Timagene. Le premier a été maffacré, & le fecond à échappé par la fuite, aux fureurs du tyran. Cependant ce dernier, pour affurer fes projets, a publié la mort de Timagene; il a même fait remettre un cadavre défiguré à Trafime, ami de ce jeune prince, qui lui a érigé un tombeau. Trafime eft parent de l'ufurpateur, quoique lié par l'amitié la plus intime au fils de Softrate; le trône doit lui appartenir après la mort du tyran; mais fon cœur généreux détefte ce bien, qu'il croit payé du fang de fon ami. Cependant Timagene adoroit Ericie :

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