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rager l'auteur. C'eft de tous nos écrivains celui qui paroît avoir la tête la plus dramatique. C'eft en même tems le plus fécond, il est fait pour aller au grand. Mais il doit fe défier de fa facilité, & fur-tout le fouvenir qu'il n'y a que le flyle qui faffe vivre les ouvrages.

(Chronique de Paris; Journal de Paris.) THEATRE DE LA RUE FEYDEAU.

Le 10 octobre, on a effayé la premiere représentation d'une comédie lyrique intitulée les Vengeances, qui n'a eu aucun fuccès, & n'en méritoit aucun. On dit cette piece d'un amateur. Il eût bien dû la garder dans fon porte-feuille. Quand on a vu paroître M. & Mme. Mandini, on s'eft promis du plaifir & de la gaieté; on a été cruellement trompé; mais ce n'eft pas la faute de ces deux excellens acteurs. La mufique, à quelques morceaux près, n'a pas plus été goûtée que le refte. Toute l'intrigue, s'il y en a, eft fondée fur une glace crue empoisonnée, & les inquiétudes de l'homme qui l'a prise en font tout l'intérêt. On ne peut pas dire que l'ouvrage a été applaudi, mais feulement qu'il a été claqué. On a prétendu que cette piece eft une vengeance; mais il eft probable que le public prendra fa revanche en n'y retournant pas.

Le lundi 24 octobre, on a donné Il conficiato il Pietro, ou le Feftin de Pierre, opéra italien.

C'est comme notre Feftin de Pierre, une imitation de l'Espagnol. Le dénouement differe de

la piece françoife. On a érigé un maufolée au commandeur, & fur ce maufolée eft fa ftatue équeftre. Pendant le repas de Dom-Juan, le commandeur frappe à la porte de la falle. Il paroît que c'eft la figure de Pierre qui s'eft détachée du cheval, & qui a la faculté de fe mouvoir. Les valets font effrayés :'Dom-Juan feul ne l'eft pas il fe leve, & a l'affurance de préfenter la main à ce fpectre qui la lui ferre & la retient avec force. Dans ce moment, le théatre change, & Dom-Juan le trouve au milieu des enfers, poursuivi par une troupe de démons qui s'acharnent contre lui.

Le fpectacle de la fin eft affez brillant mais il étoit ailé de prévoir que ce genre de piece n'auroit pas plus de fuccès dans le tems où nous fommes que dans le fiecle précédent. Il y a des beautés dans la mufique, qui cependant n'a pas excité le même enthousiasme que celle des ouvrages de Paifiello & autres grands-maîtres italiens. On a applaudi plufieurs airs, trio & quatuor, mais fur-tout ceux qui les ont chantés, MM. Viganoni, Morelli, Rovedino, Mengozzi, Raffanelli, Mme. Morichelli, Mlle. Simonet, &c. On a fait répéter un air très-agréable à M. Morelli. Il eft de M. Mengozzi.

Le vendredi 28 octobre, on a donné la premiere représentation de la Menteufe par point d'honneur, comédie en deux actes & en vers, par M. Patrat.

Cette piece eft une imitation des Contre-tems; comédie de Lagrange, laquelle eft auffi imitée P}

d'une piece de Calderon, célebre auteur espagnol : c'est ce que le nouvel auteur a fait annoncer luimême le matin dans les journaux, afin, difoitil, d'épargner cette peine à ceux qui ne manqueroient pas de l'en inftruire. Tous nos lecteurs peuvent bien ne pas le rappeller le fujet d'une comédie de Lagrange, il faut donc au moins indiquer celui de la Menteufe par point d'honneur.

Conftance aime Damis, & eft près de l'époufer. Cependant une de fes amies (& c'est précifément la fœur de fon futur) vient la prier de permettre qu'elle voie dans fon appartement un jeune-homme qui eft épris d'elle, & pour lequel elle a promptement conçu un goût très vif. Conftance a donné fa parole avant de savoir le fervice dont il s'agit : elle fe croit liée par fa promeffe. Le jeune-homme ne tarde pas à paroître : mais Damis furvient auffi; on fait cacher l'autre dans un cabinet. Damis s'en apperçoit, & com. mence à faire de grands reproches à fa prétendue, lorfque le pere arrive & parle de les marier, en infiftant fur l'inclination de fa fille, ce qui produit une fcene très-comique, & qui eft juftement applaudie. Une autre fource de quiproquo, c'est que l'amant de l'amie de Conftance

croit cette amie fille du maître de la maison, & la demande en mariage. Conftance eft fur le point de tout découvrir à Damis; mais il échappe à ce dernier de dire que c'eft un devoir indifpenfable que de tenir ftrictement les paroles que l'on donne: d'après ce principe, au-lieu de fe juftifier en lui difant la vérité, elle effaie de lui faire accroire que l'homme qu'elle a caché eft un obfervateur

qu'elle a mis fur fes pas pour s'affurer de fa conduite, & elle lui promet qu'il ne reparoîtra plus : il reparoît dans le moment même. L'amie revient chez Conftance, & fe cache à fon tour. Enfin, le pere, qui ne conçoit rien à ce qu'il voit, les interroge d'une maniere précise, & tout s'éclaircit.

La scene du pere, dans le premier acte, à eu un grand fuccès, & eft en effet très-plaifante. Il y a dans le refte de l'ouvrage des intentions comiques dont on a fu gré à l'auteur, & qui prouvent qu'il a le goût de la bonne comédie. Mais le grand inconvénient de ce fujer, c'eft que Conftance le trouve fans ceffe dans une fituation pénible, & même aviliffante pour une femme honnête, puifque près de fe marier, elle eft convaincue d'avoir fait cacher un jeune homme dans un cabinet, & que fon prétendu a le droit de la méprifer. Quoi qu'il en fait, la piece en général a fait plaifir. Le flyle en eft agréable & facile. On n'a pas demandé l'auteur : mais il en eft à qui le parterre a déféré cet honneur, & qui ne l'ont pas autant mérité.

On a donné le lundi rer. novembre, la premiere représentation des deux Nicodêmes, ou les François dans la planete de Jupiter, comédie-folic du Coulin Jacques.

Il est bien tems que les théatres de la capitale ceffent de nous donner des pieces de circonftances! Il est bien tems qu'on en banniffe ce genre dangereux, qui, en livrant les fpectateurs, qui ne vont au fpectacle que pour s'amufer, aux fu

reurs de l'efprit de parti, aux vociférations des cabales, au defpotifmé de l'opinion, les expose à des querelles, à des invectives, à des fcenes fâcheufes en un mot. Les auteurs les plus honnêtes, les plus fenfés, peuvent fe tromper fur le but de ces fortes de pieces; & qu'elle doit être leur douleur, s'ils calculent les défagrémens auxquels ils exposent le public, & le tort qu'ils peuvent faire à un fpectacle !... On ne s'attendoit pas, après le Club des Bonnes-gens, piece où les principes les plus doux & les plus purs régnent fans humeur & fans paffion, à rencontrer dans les deux Nicodêmes, non cet efprit de onciliation, qui a fait le fuccès du Curé Picard, & qui plaît généralement à tout le monde, mais cet efprit de modération, le plus faux & le plus dangereux qu'on puiffe apporter dans la fociété ? Dire à chaque parti fucceffivement qu'il a eu raifon, leur prêter des armes pour s'en frapper tour-à-tour, n'est-ce pas les mettre aux prises, n'eft-ce pas animer les plus forts contre les plus foibles, & redoubler la rage de ces derniers, en leur donnant de quoi prendre leur revanche?... Voilà l'effet qu'a produit la piece des deux Nicodêmes, donnée au milieu d'un trouble fi affreux, que le commiffaire de police a été obligé d'interpofer l'autorité de la loi pour le faire ceffer. Quoi qu'il en foit, voici la fable des deux Nicodémes.

La femme, la mere & le frere de Nicodême, fachant que ce dernier eft allé dans la lune, ont équipé un ballon, & font partis avec un aftronome. Ils defcendent par hafard dans la planete

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