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opérations, fous le nom du miniftre qui ne faifoit que prêter fon nom à leur travail, ce projet fut rejeté. Le protecteur de Thurot le dédommagea de ce dégoûr, en lui faifant obtenir le commandement d'une flotille compofée de deux frégates & de deux corvettes. Cet armement fut terriblement maltraité par les vents: Thurot fut réduit plus d'une fofs aux dernieres extrémités; &, de l'aveu même des gens de fon équipage, kui feul les fauva toujours, à force de réfolution & d'activité, & fur-tout en mettant lui-même la main à des manoeuvres auffi périlleuses que favantes, que lui feul étoit capable de concevoir & d'exécuter, & fouvent fous le feu des ennemis. C'eft-là qu'il donna plus d'une fois une grande leçon à tous ceux de fon métier, en faifant voir à quoi lui fervoient dans l'occasion ces connoiffances nautiques qu'il ne devoit qu'à une pratique affidue & laborieufe, & qui furent le falut des vaiffeaux qu'il commandoit. On le vit réparer en peu d'heures le délabrement de la frégate le Belle-Ifle, qui, ayant perdu tous les agrès, paroiffoit fans reffource, & n'attendoit que le moment de périr. C'étoit dans ces crifes terribles que Thurot paroiffoit plus qu'un homme, & favoit faire de tous ceux qui lui obéiffoient autant de héros.

Parvenu enfin à réparer fa petite flotte, fi long-tems & fi cruellement maltraitée par les élémens & par des ennemis qu'il trouvoit toujours très-fupérieurs en force, il fit des prodiges d'audace qui furent admirés des Anglois. Avec fes quatre bâtimens, il attaqua une flotte de 17 pin

ques armées en guerre, dont plufieurs portoient 18 & 20 canons; il la perça par le centre, en prit deux, & difperfa le refte. La marine mar chande, dont les vaiffeaux n'ofoient plus fe montrer dans les mers du Nord, adreffa de tous côtés des plaintes à l'amirauté angloise, qui, fatiguée & humiliée qu'un feul homme, avec fi peu de force, défolât le commerce d'Angleterre, donna ordre à plufieurs vaiffeaux de guerre d'aller à fa poursuite. Mais Thurot, auffi habile qu'entreprenant, favoit toujours leur échapper, & leur donnant fans ceffe le change, faifoit fans ceffe de nouvelles prifes.

Thurot, toujours occupé de fon projet favori, celui d'une defcente en Angleterre, ne profita de la gloire qu'il avoit acquife que pour dé terminer le miniftere à fe prêter à fes deffeins. Il obtint le commandement d'une petite efcadre, composée de 5 frégates, & chargée de 1200 hommes de débarquement. L'armement le fit à Dunkerque, & la defcente devoit être protégée par la flotte de M. de Conflans, & s'exécuter fur les côtes d'Irlande. Il faut voir comment un hiftorien anglois, M. Smolett, parle du projet de cette expédition, & du célebre marin qui devoit la diriger ce font-là des témoignages qu'il eft flatteur d'obtenir ils ne fauroient être fufpects. » On équipa à Dunkerque une petite efcadre dont le commandement fut donné au capi> taine Thurot, l'un des plus hardis corfaires » qui eût paru depuis long-tems au fervice de France. L'année précédente, ce brave aventu 2rier avoit déja fignalé fon courage & fon ha

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bileté dans les mers du Nord, où il comman» doit le vaiffeau corfaire le Belle-Ifle, avec lequel > il prit un grand nombre de bâtimens ennemis » & foutint un combat très-vif contre deux fré. gates angloifes, qui furent forcées de l'aban> donner & de fe retirer en très-mauvais état. » Le nom de Thurot étoit alors la terreur de > toute la marine marchande, qui, en rendant » juftice à fa valeur dans les combats, admiroit fon adreffe à éviter la pourfuite des corfaires qu'on avoit envoyés fucceffivement pour l'attaquer dans toutes les parties de l'océan ger> manique & de la mer du nord, jufqu'aux ifles Orcades. On doit encore remarquer, à l'honneur de ce grand homme, que, quoiqu'il ne » fût originairement qu'un marinier, privé de tous les avantages de la naiffance & de l'édu>cation, il fe diftingua toujours par fa géné

rofite, fon humanité & fa compaffion envers > ceux qui tomboient entre fes mains; & ce fut > en partie cette bonne conduite qui l'éleva à

un rang honorable dans fa patrie. La cour de > Versailles reconnut fon mérite; le monarque françois lui donna une commiffion, & le chargea de commander le petit armement qu'on équipoit alors à Dunkerque....... Auffi tộc » que le miniftere anglois eut avis que Thurot avoit fait voile de Dunkerque avec fa pe> tite efcadre, pour faire une defcente en > Ecoffe ou en Irlande, on envoya des couriers

à tous les commandans des troupes de la GrandeBretagne feptentrionale. Ils eurent ordre de tenir les forts fur toute la côte du royaume

dans le meilleur état de défense, & d'être prêts à repouffer les François par-tout où ils pourroient le préfenter. Conformément aux inftructions qu on donna à ces commandans, > on éleva des fignaux de diftance en distance, > on indiqua des quartiers & des rendez-vous aux troupes réglées & à la milice, & l'on publia des ordres pour qu'aucun officier nè pût s'écarter de fon corps fous quelque pré> texte que ce fût. Le plus grand éloge que l'on puiffe faire de ce fameux corfaire, eft de rap> porter les alarmes que fon petit armement • répandit dans une fi grande étendue de pays > d'un puiffant empire, dont les flottes couvroient • l'océan, <<

Cette expédition, qui devoit mettre le comble à la gloire de Thurot, ne le conduifit qu'à une mort honorable. D'abord la flotte de M. de Conflans fut honteufement battue en fortant du port, & devint la proie des Anglois. De plus, le miniftere de la marine commit l'impardonnable faute de féparer les pouvoirs du chef d'efcadre & ceux du commandant des troupes de débarquement', comme fi dans une expédition de cette nature tous les moyens quelconques ne devoient pas être aux ordres de celui qui la conduit, ou com me fi l'on pouvoit commander une flotte fans commander en même tems les foldats. Cette abfurde inconféquence perdit tout: M. de Folbert, brave homme d'ailleurs, & qui fe montra bien dans l'occafion, haïffoit mortellement Thurot : la méfintelligence fe mit entre eux, & M. de Folbert pouffa la violence & l'abus de fon autorité

jusqu'à vouloir deux fois faire arrêter Thurot fur fon bord. Heureufement les foldats eurent honte de l'emportement de leur chef, & respecterent Thurot; mais on peut imaginer ce que produifit cette oppofition obftinée entre deux com. mandans qui avoient des vues tout-à-fait différentes. On perdit en débats & en délais un tems précieux, à Carrikfergus, où l'on étoit débarqué. Les Anglois eurent le tems de raffembler une efcadre fupérieure en canons & en hommes, & fondirent fur Thurot au moment où il fortoit du port. Ecoutons encore un autre écrivain anglois, auteur d'une hiftoire de la guerre de 1756, où il raconte la mort de Thurot.

» Thurot fit tout ce qu'on pouvoir attendre. » de l'intrépidité de fon caractere; il combattit >> avec fon vaiffeau jufqu'à ce qu'il fût plein > d'eau & couvert de morts enfin il fut tué... » Le public pleura la mort du brave Thurot, » qui combattit moins pour l'intérêt que pour > l'honneur... Il eft honteux de voir dans le > fein de la France des hommes jaloux du vrai » mérite, chercher à ternir l'éclat de la gloire > du célebre capitaine Thurot, dont les Anglois > même ont admiré les exploits. «

Il n'étoit pas moins honteux que le gouverne meni laiffât dans l'indigence un frere & une fille de cet excellent citoyen, qui avoit fi bien mé→ rité de fa patrie, & qui n'avoit rien laiffé après lui que fon nom. L'affemblée nationale vient de laver dignement cette tache, en affurant à Mlle. Thurot une penfion de 2000 livres. L'ouyrage, dont on rend compte ici, eft imprimé à

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