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Le lecteur en jugera; pour moi, je n'ajouterai pas un seul mot. J'ai quelquefois répondu ci-devant avec mes passages; mais c'est avec le vôtre que je veux vous répondre ici.

Où est donc, M. T. C. F., la bonne foi philosophique dont se pare cet écrivain?

Monseigneur, je ne me suis jamais piqué d'une bonne foi philosophique, car je n'en connois pas de telle: je n'ose même plus trop parler de la bonne foi chrétienne, depuis que les soi-disant chrétiens de nos jours trouvent si mauvais qu'on ne supprime pas les objections qui les embarrassent. Mais, pour la bonne foi pure et simple, je demande laquelle de la mienne ou de la vôtre est la plus facile à trouver ici.

Plus j'avance, plus les points à traiter deviennent intéressants. Il faut donc continuer à vous transcrire. Je voudrois, dans des discussions de cette importance, ne pas omettre un de vos mots.

On croiroit qu'après les plus grands efforts pour décréditer les témoignages humains qui attestent la révélation chrétienne, le même auteur y défère cependant de la manière la plus positive, la plus solennelle.

On auroit raison, sans doute, puisque je tiens pour révélée toute doctrine où je reconnois l'esprit de Dieu. Il faut seulement ôter l'amphibologie de votre phrase; car si le verbe relatif y défère se rapporte à la révélation chrétienne, vous avez raison; mais s'il se rapporte aux témoignages humains, vous avez tort. Quoi qu'il en soit, je prends acte de votre témoignage contre ceux qui osent dire que je rejette toute révélation; comme si c'étoit rejeter une doctrine que de la

reconnoître sujette à des difficultés insolubles à l'esprit humain; comme si c'étoit la rejeter que ne pas l'admettre sur le témoignage des hommes, lorsqu'on a d'autres preuves équivalentes ou supérieures qui dispensent de celle-là! Il est vrai que vous dites conditionnellement, On croiroit: mais on croiroit signifie on croit, lorsque la raison d'exception pour ne pas croire se réduit à rien, comme on verra ci-après de la vôtre. Commençons par la preuve affirmative.

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Il faut, pour vous en convaincre, M. T. C. F., et en même temps pour vous édifier, mettre sous vos yeux cet endroit de son ouvrage : « J'avoue que la majesté des « Écritures m'étonne; la sainteté de l'Évangile parle «< à mon cœur. Voyez les livres des philosophes: avec << toute leur pompe, qu'ils sont petits près de celui-là! «Se peut-il qu'un livre à-la-fois si sublime et si simple << soit l'ouvrage des hommes? Se peut-il que celui dont «< il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même ? « Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux << sectaire? Quelle douceur, quelle pureté dans ses «< mœurs! quelle grace touchante dans ses instruc<«<tions! quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde sagesse dans ses discours! quelle présence « d'esprit! quelle finesse et quelle justesse dans ses

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réponses! quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et

**La négligence avec laquelle M. de Beaumont me transcrit lui a fait faire ici deux changements dans une ligne : il a mis la majesté de l'Écriture au lieu de la majesté des Écritures, et il a mis la sainteté de l'Écriture au lieu de la sainteté de l'Évangile. Ce n'est pas à la vérité me faire dire des hérésies, mais c'est me faire parler bien niaisement.

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" mourir sans foiblesse et sans ostentation1? Quand Platon peint son juste imaginaire couvert de tout «l'opprobre du crime et digne de tous les prix de la « vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ: la res« semblance est si frappante, que tous les pères l'ont sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper. «Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point « avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au « fils de Marie! Quelle distance de l'un à l'autre! So« crate mourant sans douleurs, sans ignominie, sou« tint aisément jusqu'au bout son personnage; et, si «< cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douteroit si « Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu'un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale; d'autres « avant lui l'avoient mise en pratique; il ne fit que dire « ce qu'ils avoient fait, il ne fit que mettre en leçons « leurs exemples. Aristide avoit été juste avant que << Socrate eût dit ce que c'étoit que justice; Léonidas « étoit mort pour son pays avant que Socrate eût fait << un devoir d'aimer la patrie; Sparte étoit sobre avant « que Socrate eût loué la sobriété; avant qu'il eût dé« fini la vertu, Sparte abondoit en hommes vertueux. « Mais où Jésus avoit-il pris parmi les siens cette mo« rale élevée et pure dont lui seul a donné les leçons « et l'exemple? Du sein du plus furieux fanatisme la

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''Je remplis, selon ma coutume, les lacunes faites par M. de Beaumont; non qu'absolument celles qu'il fait ici scient insidieuses comme en d'autres endroits, mais parceque le défaut de suite et de liaison affoiblit le passage quand il est tronqué, et aussi parceque mes persécuteurs supprimant avec soin tout ce que j'ai dit de si bon cœur en faveur de la religion, il est bon de le rétablir à mesure que l'occasion s'en trouve.

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plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité « des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous « les peuples. La mort de Socrate philosophant tranquillement avec ses amis est la plus douce qu'on puisse desirer; celle de Jésus expirant dans les tour« ments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est << la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate pre« nant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente et qui pleure. Jésus, au milieu d'un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. « Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, << la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. Dirons« nous que l'histoire de l'Évangile est inventée à plaisir? Non, ce n'est pas ainsi qu'on invente; et les « faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins << attestés que ceux de Jésus-Christ. Au fond, c'est « reculer la difficulté sans la détruire. Il seroit plus <«< inconcevable que plusieurs hommes d'accord eussent fabriqué ce livre, qu'il ne l'est qu'un seul en ait «< fourni le sujet. Jamais des auteurs juifs n'eussent << trouvé ni ce ton ni cette morale, et l'Évangile a des « caractères de vérité si grands, si frappants, si par<< faitement inimitables, que l'inventeur en seroit plus " étonnant que le héros *. »

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Il seroit difficile, M. T. C. F., de rendre un plus bel hommage à l'authenticité de l'Évangile 1. Je vous sais gré, monseigneur, de cet aveu; c'est une injustice que vous avez de moins que les autres. Venons maintenant à la preuve négative qui vous fait dire on croiroit, au lieu d'on croit.

Émile, tome II, page 100.

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Mandement, § XVII.

Cependant l'auteur ne la croit qu'en conséquence des témoignages humains. Vous vous trompez, monseigneur; je la reconnois en conséquence de l'Évangile et de la sublimité que j'y vois sans qu'on me l'atteste. Je n'ai pas besoin qu'on m'affirme qu'il y a un Évangile lorsque je le tiens. Ce sont toujours des hommes qui lui rapportent ce que d'autres hommes ont rapporté. Et point du tout; on ne me rapporte point que l'Évangile existe, je le vois de mes propres yeux; et quand tout l'univers me soutiendroit qu'il n'existe pas, je saurois très bien que tout l'univers ment ou se trompe. Que d'hommes entre Dieu et lui! Pas un seul. L'Évangile est la pièce qui décide, et cette pièce est entre mes mains. De quelque manière qu'elle y soit venue et quelque auteur qui l'ait écrite, j'y reconnois l'esprit divin, cela est immédiat autant qu'il peut l'être; il n'y a point d'hommes entre cette preuve et moi; et, dans le sens où il y en auroit, l'historique de ce saint livre, de ses auteurs, du temps où il a été composé, etc., rentre dans les discussions de critique où la preuve morale est admise. Telle est la réponse du vicaire savoyard.

Le voilà donc bien évidemment en contradiction avec lui-même ; le voilà confondu par ses propres avéux. Je vous laisse jouir de toute ma confusion. Par quel étrange aveuglement a-t-il donc pu ajouter: « Avec tout « cela ce même Évangile est plein de choses incroya«bles, de choses qui répugnent à la raison, et qu'il « est impossible à tout homme sensé de concevoir ni « d'admettre. Que faire au milieu de toutes ces contradictions? Être toujours modeste et circonspect, res

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