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volonté puissante et sage; il avoue que cela lui importe à savoir, et cependant il ne sait, dit-il, s'il n'y a qu'un seul principe des choses ou s'il y en a plusieurs, et il prétend qu'il lui importe peu de le savoir. S'il y a une volonté puissante et sage qui gouverne le monde, est-il concevable qu'elle ne soit pas l'unique principe des choses? et peut-il être plus important de savoir l'un que l'autre? Quel langage contradictoire! Il ne sait quelle est la nature de Dieu, et bientôt après il reconnoît que cet Être suprême est doué d'intelligence, de puissance, de volonté, et de bonté. N'estce donc pas là avoir une idée de la nature divine? L'unité de Dieu lui paroît une question oiseuse et supérieure à sa raison; comme si la multiplicité des dieux n'étoit pas la plus grande de toutes les absurdités! La pluralité des dieux, dit énergiquement Tertullien, est une nullité de Dieu; admettre un Dieu, c'est admettre un Être suprême et indépendant auquel tous les autres êtres soient subordonnés. Il implique donc qu'il y ait plusieurs dieux.

XIV. Il n'est pas étonnant, M. T. C. F., qu'un homme qui donne dans de pareils écarts touchant la Divinité s'élève contre la religion qu'elle nous a révélée. A l'entendre, toutes les révélations en général ne font que dégrader Dieu en lui donnant des passions humaines. Loin d'éclaircir les notions du grand Être, poursuit-il, je vois que les dogmes particuliers les embrouillent; que, loin de les ennoblir, ils les avilissent; qu'aux mystères inconcevables qui les environnent, ils ajoutent des contradictions absurdes. C'est bien plutôt à cet auteur, M. T. C. F., qu'on peut reprocher l'inconséquence et l'absurdité. C'est bien lui qui dégrade Dieu, qui embrouille et qui avilit les notions du grand Être, puisqu'il attaque directement son essence en révoquant en doute son unité.

1 Deus cùm summum magnum sit, rectè veritas nostra pronuntiavit: Deus si non unus est, non est. Tertul. advers. Marcionem, Lib. I.

XV. Il a senti que la vérité de la révélation chrétienne étoit prouvée par des faits; mais les miracles formant une des principales preuves de cette révélation, et ces miracles nous ayant été transmis par la voie des témoignages, il s'écrie: Quoi! toujours des témoignages humains! toujours des hommes qui me rapportent ce que d'autres hommes ont rapporté ! Que d'hommes entre Dieu et moi ! Pour que cette plainte fût sensée, M. T. C. F., il faudroit pouvoir conclure que la révélation est fausse dès qu'elle n'a point été faite à chaque homme en particulier; il faudroit pouvoir dire: Dieu ne peut exiger de moi que je croie ce qu'on m'assure qu'il a dit, dès que ce n'est pas directement à moi qu'il a adressé sa parole. Mais n'est-il donc pas une infinité de faits, même antérieurs à celui de la révélation chrétienne, dont il seroit absurde de douter? Par quelle autre voie que par celle des témoignages humains l'auteur lui-même a-t-il donc connu cette Sparte, cette Athènes, cette Rome dont il vante si souvent et avec tant d'assurance les lois, les mœurs et les héros? Que d'hommes entre lui et les évènements qui concernent les origines et la fortune de ces anciennes républiques! Que d'hommes entre lui et les historiens qui ont conservé la mémoire de ces événements ! Son scepticisme n'est donc ici fondé que sur l'intérêt de son incrédulité.

XVI. « Qu'un homme, ajoute-t-il plus loin, vienne nous «tenir ce langage, Mortels, je vous annonce les volontés "du Très-Haut; reconnoissez à ma voix celui qui m'envoie. « J'ordonne au soleil de changer sa course, aux étoiles de «former un autre arrangement, aux montagnes de s'apla«nir, aux flots de s'élever, à la terre de prendre un autre «< aspect: à ces merveilles, qui ne reconnoîtra pas à l'in<< stant le maître de la nature? » Qui ne croiroit, M. T. C, F., que celui qui s'exprime de la sorte ne demande qu'à voir des miracles pour être chrétien? Écoutez toutefois ce qu'il

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ajoute: «Reste enfin, dit-il, l'examen le plus important « dans la doctrine annoncée... Après avoir prouvé la doc<< trine par le miracle, il faut prouver le miracle par la doc« trine.... Or que faire en pareil cas? Une seule chose : re« venir au raisonnement, et laisser là les miracles. Mieux « eût-il valu n'y pas recourir. » C'est dire : Qu'on me montre des miracles, et je croirai; qu'on me montre des miracles, et je refuserai encore de croire. Quelle inconséquence ! quelle absurdité. Mais, apprenez donc une bonne fois, M. T. C. F., que dans la question des miracles on ne se permet point le sophisme reproché par l'auteur du livre de l'Éducation. Quand une doctrine est reconnue vraie, divine, fondée sur une révélation certaine, on s'en sert pour juger des miracles, c'est-à-dire pour rejeter les prétendus prodiges que des imposteurs voudroient opposer à cette doctrine. Quand il s'agit d'une doctrine nouvelle qu'on annonce comme émanée du sein de Dieu, les miracles sont produits en preuves; c'est-à-dire que celui qui prend la qualité d'envoyé du Très-Haut confirme sa mission, sa prédication, par des miracles qui sont le témoignage méme de la Divinité. Ainsi la doctrine et les miracles sont des arguments respectifs dont on fait usage selon les divers points de vue où l'on se place dans l'étude et dans l'enseignement de la religion. Il ne se trouve là ni abus du raisonnement, ni sophisme ridicule, ni cercle vicieux. C'est ce qu'on a démontré cent fois; et il est probable que l'auteur d'Émile n'ignore point ces démonstrations: mais, dans le plan qu'il s'est fait d'envelopper de nuages toute religion révélée, toute opération surnaturelle, il nous impute malignement des procédés qui déshonorent la raison; il nous représente comme des enthousiastes, qu'un faux zéle aveugle au point de prouver deux principes l'un par l'autre sans diversité d'objet ni de méthode. Où est donc, M. T. C. F., la bonne foi philosophique dont se pare çet écrivain?

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XVII. On croiroit qu'après les plus grands efforts pour décréditer les témoignages humains qui attestent la révélation chrétienne, le même auteur y défère cependant de la manière la plus positive, la plus solennelle. Il faut, pour vous en convaincre, M. T. C. F., et en même temps pour vous édifier, mettre sous vos yeux cet endroit de son ouvrage : « J'avoue que la majesté de l'Écriture m'étonne; la « sainteté de l'Écriture parle à mon cœur. Voyez les livres « des philosophes: avec toute leur pompe, qu'ils sont pe<< tits auprès de celui-là! Se peut-il qu'un livre, à-la-fois si « sublime et si simple, soit l'ouvrage des hommes? se peutque celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme « lui-même ? Est-ce là le ton d'un enthousiaste, ou d'un « ambitieux sectaire? Quelle douceur! quelle pureté dans « ses mœurs! quelle grace touchante dans ses instructions! ❝ quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde sa❝gesse dans ses discours! quelle présence d'esprit, quelle « finesse et quelle justesse dans ses réponses! quel empire « sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans foiblesse et sans ostenta«tion?... Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un «sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. Dirons"nous que l'histoire de l'Évangile est inventée à plaisir?..... « Ce n'est pas ainsi qu'on invente, et les faits de Socrate, « dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de «Jésus-Christ. Il seroit plus inconcevable que plusieurs «hommes d'accord eussent fabriqué ce livre, qu'il ne l'est qu'un seul en ait fourni le sujet. Jamais les auteurs juifs « n'eussent trouvé ce ton ni cette morale; et l'Évangile « des caractères de vérité si grands, si frappants, si par«faitement inimitables, que l'inventeur en seroit plus « étonnant que le héros. » Il seroit difficile, M. T. C. F., de rendre un plus bel hommage à l'authenticité de l'Évangile. Cependant l'auteur ne la reconnoît qu'en conséquence des témoignages humains. Ce sont toujours des hommes qui

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lui rapportent ce que d'autres hommes ont rapporté. Que d'hommes entre Dieu et lui! Le voilà donc bien évidemment en contradiction avec lui-même; le voilà confondu par ses propres aveux. Par quel étrange aveuglement a-t-il donc pu ajouter : « Avec tout cela ce même Évangile est plein de choses incroyables, de choses qui répugnent à la << raison, et qu'il est impossible à tout homme sensé de «< concevoir ni d'admettre. Que faire au milieu de toutes << ces contradictions? Être toujours modeste et circonspect... « Respecter en silence ce qu'on ne sauroit ni rejeter ni comprendre, et s'humilier devant le grand Être qui seul sait « la vérité. Voilà le scepticisme involontaire où je suis «resté. » Mais le scepticisme, M. T. C. F., peut-il donc être involontaire, lorsqu'on refuse de se soumettre à la doctrine d'un livre qui ne sauroit être inventé par les hommes, lorsque ce livre porte des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables, que l'inventeur en seroit plus étonnant que le héros? C'est bien ici qu'on peut dire que l'iniquité a menti contre elle-même 1.

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XVIII. Il semble, M. T. C. F., que cet auteur n'a rejeté la révélation que pour s'en tenir à la religion naturelle : « Ce que Dieu veut qu'un homme fasse, dit-il, il ne le lui « fait pas dire par un autre homme, il le lui dit à lui-même, « il l'écrit au fond de son cœur. » Quoi donc! Dieu n'a-t-il pas écrit au fond de nos cœurs l'obligation de se soumettre à lui dès que nous sommes sûrs que c'est lui qui a parlé? Or, quelle certitude n'avons-nous pas de sa divine parole! Les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont, de l'aveu même de l'auteur d'Émile, moins attestés que ceux de Jésus-Christ. La religion naturelle conduit donc ellemême à la religion révélée. Mais est-il bien certain qu'il admette même la religion naturelle, ou que du moins il en reconnoisse la nécessité? Non, M. T. C. F. «Si je me

· Mentita est iniquitas sibi. Psal. 26, †. 12.

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