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Dupont s'occupe encore du projet de publier le Journal de Hardy, et je regrette, avec lui, que le comité ne se décide pas à prendre sous son patronage cette publication, complément sérieux du journal de Barbier, avec moins de hardiesse ou de cynisme. La véracité de Hardy est incontestable, quoiqu'il se serve fréquemment des expressions dubitatives de La Motte-Goulas: « le bruit court, l'on dit, l'on croit, l'on a creu. »>

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« Quant au nouvel auteur, à qui l'on attribue le Journal de 1764 à 1789, la question, sans doute, n'intéresse plus la Société; cependant, je demande la permission d'appuyer la tradition qui nomme son auteur Hardy et non Lottin.

« Nulle part le manuscrit n'est signé; mais sous la date du 1er mars 1780, l'auteur se révèle à demi, en énonçant qu'il vient d'écrire une lettre au rédacteur du Journal de Paris, pour recommander le projet d'établissement d'un hospice (l'hospice Cochin), sur la paroisse Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Il signe sa lettre S. P. H. L. J'ouvre le Journal de Paris et j'y trouve sa lettre avec les mêmes initiales. Il s'agit de les interpréter.

« Je crois qu'elles représentent la signature de (S.) Siméon, (P.) Prosper, (H.) Hardy, (L.) Libraire. Examinons maintenant l'opinion de M. Rathery, qui attribue le Journal de 1764 à 1789 au libraire imprimeur Lottin.

« L'Almanach royal mentionne deux frères Lottin, membres, ainsi que Hardy, de la chambre syndicale de la librairie et imprimerie; Lottin aîné, mort en 1793, se prénommait Augustin-Martin, et Lottin jeune, assassiné en 1812, se prénommait Antoine-Prosper (Biogr. univ., Michaud, t. XXV, p. 85).

« Ces deux frères ont écrit plusieurs ouvrages; je n'en trouve aucune mention dans le Journal, et leurs prénoms ne correspondent nullement aux initiales de Hardy, notre auteur.

« Sous la date du 30 avril 1780, Hardy rapporte les détails de l'inhumation de Claude-Joseph Dorat, poète et bel esprit, en l'église de Saint-Séverin, « sa paroisse et la mienne. » C'était également la paroisse de Barbier. Sans aller plus loin, interrogeons Lottin l'aîné lui-même. Dans son Catalogue chronologique des libraires et des imprimeurs de Paris, depuis l'an 1470 (in-8, 1789, chez Jean-Roch Lottin de Saint-Germain, rue Saint-Andrédes-Arts), Lottin l'aîné nous apprendra que Hardy se prénommait Siméon-Prosper, et qu'il demeurait rue Saint-Jacques (pp. 77 et 227).

<< Siméon-Prosper Hardy, natif de Paris, fut reçu libraire le 15 mai 1755, épousa, le 16 août 1757, Elisabeth fille de Louis-Augustin Du Boc, libraire. Il fut adjoint au syndic de la librairie du 26 juin 1771 au 30 juin 1793 et depuis...... etc. »

« Bon ou mauvais, le journal anecdotique, de 1764 à 1789, est donc l'ouvrage non de Augustin-Martin Lottin, non d'Antoine-Prosper Lottin de Saint-Germain, mais de Siméon-Prosper Hardy, reçu libraire en 1755 (1) ».

M. Edmond Dupont, alors sous-chef du secrétariat des archives de l'Empire, et dont, selon le rapport de M. Ravenel (1856), M. Parent de Rosan aurait été, au début, le porte-parole, semble, d'après cette lettre, avoir songé à poursuivre seul un projet auquel il ne tarda pas à renoncer, et dont aucune trace ne subsiste aujourd'hui.

(1) Bulletin de la Société de l'Histoire de France, 2a série, t. II (1859-1860) (p. 168-170, in-8).

Si, dans son ensemble, le Journal de Hardy ne paraissait pas alors devoir vaincre la malechance dont il était depuis longtemps victime, le nom de l'auteur émergeait enfin, à quelques années de là, sous les yeux d'un public qui avait tout intérêt à le connaître. Le 1er novembre 1871, la Revue des Deux Mondes publiait un article de M. Ch. Aubertin, maître de conférences à l'Ecole Normale supérieure, intitulé: Le Bourgeois de Paris au XVIIIe siècle, Mémoires manuscrits de Siméon-Prosper Hardy (1764-1790), donnant, avec une esquisse de la vie de l'auteur et du milieu où il avait vécu, des extraits habilements choisis destinés à montrer dans quel esprit ces mémoires avaient été rédigés (1). L'article eut toute la publicité à laquelle il pouvait prétendre et désormais le Journal, si improprement qualifié de Mémoires, a été mis à contribution pour une foule de travaux subséquents, notamment en ces récentes années par les érudits et les publicistes qui ont étudié les prodromes et les premiers actes de la Révolution française à Paris (2). Cette partie du manuscrit de Hardy ne contient donc plus rien d'essentiel à recueillir, mais il n'en est pas de

(1) Cet article a été réimprimé sans changements dans le livre intitulé: l'Esprit public au XVIIIe siècle, études sur les mémoires et les correspondances politiques des contemporains (1715 à 1789), Paris, Didier, 1872, in-8, 2e éd. 1873, in-12.

(2) On trouvera de nombreux extraits des dernières pages du Journal de Hardy dans l'Etat de Paris en 1789, par M. H. Monin (Coll. de Documents, publiés sous le patronage du Conseil Municipal), 1889, in-8, et dans la Journée du 14 Juillet 1789, fragments de mémoires inédits de L. G. PITRA, électeur de Paris en 1789, publiés par Jules Flammermont (Société de l'Histoire de la Révolution française, 1892, in-8). Flammermont avait également emprunté aux manuscrits de Hardy quelques pages relatives à une grève de relieurs à Paris en 1776. Ce travail, communiqué à une séance publique annuelle de la Société de l'histoire de la Révolution française, a paru dans un Mémoire sur les grèves et les coalitions ouvrières à la fin de l'ancien régime (Extrait du Bulletin des sciences économiques et sociales du Comité des travaux historiques et scientifiques (1894), Imp. Nationale, 1895, in-8, 11 pp.

même pour les périodes antérieures et il y a quelques années M. Eugène Welvert, puis M. Pierre Caron (appartenant tous deux aux Archives Nationales), eurent le projet de mener à bien la difficile entreprise que nous abordons aujourd'hui, sans qu'il y ait eu toutefois, de la part de l'un ni de l'autre, un commencement d'exécution.

Si nous entrons en lice à notre tour, c'est que nous avons eu d'abord la bonne fortune de trouver un éditeur que ses origines et son éducation spéciale préparaient à comprendre l'intérêt et l'utilité de notre tentative, et ensuite que le problème assurément complexe de l'établissement du texte ne nous a pas semblé insoluble, à condition de nous résigner à des suppressions indispensables. Ce mot de « suppressions » sonne mal, nous le savons et le comprenons, aux oreilles des lecteurs, surtout lorsqu'il s'agit d'un document d'histoire moderne et ce n'a pas été sans de longues et fréquentes hésitations que nous avons accompli certains sacrifices.

II

Le manuscrit original ne comporte pas moins de huit volumes in-folio de grand format, transcrits sur des registres de commerce dont les réglures marginales à l'encre rouge ont servi à l'auteur pour calligraphier les titres courants (toujours les mêmes) et pour inscrire alternativement à droite et à gauche de chaque feuillet, recto et verso, les manchettes destinées à résumer un fait ou à signaler un document contenu dans le texte même, puis à former la table de chaque volume. Si l'on

additionne les totaux fournis par ces volumes, on obtient le chiffre déconcertant de quatre mille quatre-vingtdeux pages sans une rature ni une suppression ! Malgré la netteté d'une écriture ronde et régulière comme le serait la lettre moulée, le premier contact avec l'œuvre de Hardy ne laisse pas d'être rebutant, mais un examen plus attentif vous permet de constater bientôt les avantages et les défauts d'une production matérielle aussi abondante; comme Hardy a toujours négligé de procéder par allusion et ne cite jamais un document sans le reproduire in-extenso, de même qu'il n'écrit pas le nom d'un grand personnage sans le faire suivre de l'énumération de ses titres et qualités, nous nous sommes sentis d'autant moins astreints à respecter ses scrupules que la plupart de ces documents ont été imprimés ailleurs (par exemple, les remontrances du Parlement de Paris et souvent même celles des Parlements de province) et qu'il est superflu de rappeler les qualificatifs auxquels avaient droit Christophe de Beaumont ou M. de Sartine.

Cette première liberté prise, nous n'avons pas tardé à nous en octroyer d'autres: puisque Hardy s'imposait la tâche de recueillir au jour le jour tout ce qui se passait dans son quartier et aux alentours, nous nous sommes demandé si, à cent cinquante ans de distance, il importait vraiment de relater des crimes, des délits ou des accidents tels qu'en présente la chronique quotidienne d'une grande ville et dont l'intérêt ne survit pas le plus souvent à la date où ils se sont produits, et Hardy lui-même nous a procuré le moyen de mettre sur ce point notre conscience en repos : en effet, il nous a suffi dans l'occurence de reproduire en petit texte la « man

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