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cadavre fut placé, et conduit par un des bourreaux sous les charniers de la paroisse de St-Jean-en-Grève. Deux seigneurs arrivèrent quelque temps après, qui demandèrent à signer l'extrail mortuaire comme témoins. Cet extrait fut rédigé dans les mêmes termes que celui de Moriac, décolé, il y a environ 29 ans. On lui fit un convoi honnête. Il fut inhumé dans la cave de la chapelle de la Communion et l'on célébra des messes basses le lendemain toute la matinée à cinq autels pour le repos de son âme. Il était âgé d'environ 66 ans Il y cut des patrouilles du régiment des gardes françaises pendant l'exécution: un détachement de 120 hommes de guet à pied se plaça en 4 corps aux quatre coins de l'échafaud et un détachement du nouveau guet du Chevalier de l'Etoile et les gardes de la robe courte formaient l'enceinte. Plusieurs brigades du guet à cheval allaient et venaient. On ne souffrit pas qu'aucun carrosse, même bourgeois, traversa la Grève, pour éviter les accidents, attendu la grande quantité de peuple. Toutes les croisées de la Grève avaient été louées des prix fous,on avait découvert les toits de plusieurs maisons pour construire des échafauds et l'on voyait des hommes jusque sur les souches des cheminées. On observa qu'il y avait au moins autant de monde qu'à l'exécution de Damiens en 1757. Ainsi finit cet homme qui s'était vu pour ainsi dire souverain dans l'Inde et que son ambition, jointe à la férocité naturelle de son caractère, avait rendu le tyran du militaire et celui des peuples dans toute cette contrée. Je fus témoin de ce triste spectacle d'une croisée du troisième étage chez le marchand de vin, près l'Arcade Saint-Jean.

9 mai. [Assemblée des chambres du Parlement ; plusieurs dénonciations faites par un de Messieurs.]

10 mai. La Grand'Chambre et la Tournelle assemblées comme pour le jugement du Cte de Lally procédèrent à celui des sieurs Armand-Antoine-François Frétard de Gardeville, cidevant maréchal de logis de l'armée du Roi dans l'Inde, JacquesHugues de Chaponay, ci-devant capitaine au régiment de Lally, Jacques Poully, ci-devant prévot de l'armée du roi dans l'Inde, auquel il avait été sursis jusqu'après l'exécution dudit sieur Cte de Lally qui, heureusement pour eux ne les chargea point. Les deux premiers furent mandés aux pieds de la cour où après qu'on les eût fait mettre à genoux et nu-tête, le Premier président leur dit à chacun séparément : « La Cour te blâme, te déclare

infâme, et à jamais incapable de jamais posséder aucune charge dans l'Etat, retire-toi. » Le troisième fut également mandé et étant debout à la barre de la Cour, le Premier président lui dit : « La cour vous admoneste et vous enjoint d'être plus circonspect à l'avenir, retirez-vous ». L'arrêt du Cte de Lally avait été imprimé et crié dans toutes les rues le jour de l'exécution; celui-ci le fut de même.

12 mai. Les archevêques et évêques qui composaient l'assemblée générale du clergé, commencée l'année dernière et prorogée par permission du roi, firent célébrer dans l'église du couvent des Grands-Augustins un service solennel pour le repos de l'âme de Mgr le Dauphin, auquel assistèrent près de 60 prélats, entre autres l'archevêque de Paris, le cardinal de Luynes, l'évêque d'Orléans et le nonce du pape, ainsi que quantité de personnes de la première distinction de l'un et l'autre sexe; entre autres, M. le duc de La Vauguyon, gouverneur des Enfants de France. L'archevêque, duc de Reims, grand aumônier de France et président de l'assemblée, officia pontificalement à cette cérémonie et M. l'évêque d'Auxerre (Champion de Cicé) prononça l'oraison funèbre. On remarqua la singularité du catafalque qui formait comme une espèce de salle, dont l'architecture était figurée sur de la tenture noire avec des galons d'argent faux; on n'y voyait clair que par la multitude des bougies rangées avec beaucoup d'art. Le dessin de tout le catafalque était de l'invention du sieur Guillaumont, tapissier du clergé, jeune homme de beaucoup de goût.

13 mai. [Assemblée des chambres du Parlement sur affaires concernant l'archevêque de Paris, les actes de l'assemblée générale du Clergé et sur les remontrances par rapport à l'enlèvement des minutes qui se trouvaient achevées.]

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14 mai. Sur ce qu'on ne vit point paraître le matin comme à l'ordinaire le R. P. gardien des Capucins du faubourg StJacques, on fut à sa cellule qui se trouva fermée en dedans, et regardant à travers la porte, on aperçut un corps nu et beaucoup de sang répandu, ce qui détermina les religieux à faire avertir M. le lieutenant criminel (Testart-Dulys), lequel se transporta sur le champ au couvent,fit faire ouverture de la porte,et trouva effectivement le cadavre du P. gardien,percé de plusieurs coups de couteau et baigné dans son sang. M. le lieutenant cri minel retourna l'après-midi au couvent et y fit encore une nou

velle descente le lendemain. On avait fait la veille la cérémonie de bénir une cloche chez ces pères, il y avait eu un souper auquel le parrain, M. de Paulmy d'Argenson, avait assisté et le Père gardien y avait paru assez gai. Ce R. P. était âgé de quarante et quelques années, fort bel homme et devait être, suivant le bruit public, élu gardien du couvent St-Honoré à un chapitre qui devait se tenir dans le courant de la semaine. Sur ce triste événement, les uns disaient qu'il s'était tué luimême, et d'autres que quelqu'un de ses religieux était coupable de sa mort; le temps seul peut éclaircir la vérité qui ne sera peut-être jamais publiquement manifestée.

Le même jour, à 5 heures du soir, le nommé Jean Migny, dit Choisy, brocanteur dans les ventes, atteint et convaincu : d'avoir assassiné dans sa chambre, à l'hôtel du Saint-Esprit rue Gallande, le nommé Pujol, qui avait exigé un intérêt trop considérable d'une somme d'argent qu'il lui avait prêtée, en l'assommant d'un coup de manche à balai sur la tête, d'avoir enfermné ce cadavre dans une armoire, de l'y avoir laissé pendant cinq jours, fut confronté avec le cadavre et avoua tout. Ce jeune homme, ayant environ trente et quelques années, ayant demandé qu'on l'exécutât promptement, fut rompu après quatre jours de prison. Il fit une fin des plus chrétiennes. On l'étrangla avant de lui donner les coups. Cette exécution se fit en place de Grève.

16 mai. [Le sieur Dufour de Villeneuve, maître des requêtes, licutenant civil du Châtelet de Paris, sur la démission du sieur d'Argouges fils, est fait conseiller d'Etat.]

17 mai. (Enlèvement de plusieurs religieuses hospitalières du couvent de St-Mandé, près Vincennes, fait par ordre du Roi.]

26 mai. [Le promoteur de l'officialité se transporte par ordre de l'archevêque de Paris à l'hôpital de St-Mandé pour y faire procéder à l'élection d'une nouvelle supérieure. · Les députés de l'assemblée générale du clergé reçoivent un paquet de la Cour contenant trois arrêts du Conseil, le premier pour la réforme des ordres religieux; le second concernant le réquisitoire du sieur de Castillon, avocat général du Parlement d'Aix, contre les actes de l'assemblée, et le troisième sur les droits respectifs de la puissance temporelle et de la puissance spirituelle.]

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28 mai. Dans la nuit de ce jour au jeudi suivant,le nommé Guerlin, maître pâtissier demeurant rue St-Nicolas, vis-àvis la rue de Seine, près l'hôpital de la Pitié, homme adonné au vin et qui pour cette raison avait avec sa femme de fréquentes

JOURNAL DE HARDY I

querelles, l'ayant menacée plusieurs fois de la brûler elle et ses enfants dans leurs lits, jugea à propos d'exécuter en partie cette menace,en rassemblant tout ce qu'il avait de meubles et de hardes sur son lit et mettant le feu à sa paillasse après s'être enfermé dans sa chambre. On sonna le tocsin à l'abbaye St-Victor et après avoir éteint promptement le feu, on s'assura de la personne du susdit Guerlin qui fut constitué prisonnier au GrandChâtelet. Sa femme et ses enfants avaient eu la précaution de se mettre à l'abri des suites de cet événement.

31 mai.

[L'archevêque de Paris obtient une lettre de cachet contre l'abbé Lafitte, prêtre habitué à St-Eustache, qu'il avait d'abord interdit.] 5 juin. - Les députés du premier et du second ordre à l'assemblée générale du clergé,se tenant par prorogation aux Grands-Augustins, firent la procession qu'ils avaient faite l'année dernière et qu'ils sont toujours dans l'usage de faire le dernier jour de l'octave du St-Sacrement. Ils sortirent de l'église des Augustins entre 9 et 10 heures du matin dans l'ordre qui suit: 1o plusieurs soldats du guet à pied pour faire ranger le monde ; 2o 100 domestiques des différents députés à l'assemblée ; 3o la croix des Augustins avec deux acolytes, suivie d'une vingtaine d'ecclésiastiques du séminaire St-Nicolas en surplis, lesquels précédaient tous les religieux Augustins, vêtus les uns de tuniques, les autres de chappes et d'autres de chasubles; 4o les thuriféraires,au nombre de 12,et les fleuristes, en même nombre, revêtus d'aubes avec chacun une ceinture de soie bleue,ou rouge, à franges d'or; 5o le St-Sacrement porté par M. de La RocheAymon, archevêque-duc de Reims, grand aumônier de France et président de l'assemblée, accompagné de deux députés du second ordre faisant office de diacre et sous-diacre et suivi immédiatement de l'abbé Lecorgne-Delaunay, archidiacre de Paris, aussi député du second ordre, et faisant fonction de prêtre assistant. Le dais porté par six députés du second ordre en tuniques. A la suite du dais et immédiatement derrière le St Sacrement les agents généraux du clergé anciens et nouveaux, suivis des archevêques et évêques de l'assemblée, accompagnés chacun d'un ecclésiastique portant leur cierge. Après eux les députés du second ordre en soutane no ire, manteau long et bonnet carré, portant aussi chacun un cierge, les prélats en soutane, rochet ǝt camail violets. Indépendamment des archevêques et évêques qui composent l'assemblée, comme tous ceux qui se trouvent à

Paris sont maîtres d'assister à cette procession on y en compta 37. La marche était fermée par un détachement du guet à pied. La procession descend le quai, prend la rue des Augustins, la rue Christine,la rue Dauphine et rentre par le quai. On avait dit une messe basse pour les députés de l'assemblée à leur chapelle du cloître avant la procession.

12 juin. On fit dans l'église Notre-Dame la cérémonie du catafalque et du service solennel pour le repos de l'âme de Stanislas Ier, roi de Pologne,duc de Lorraine et de Bar,père de notre reine, décédé à Lunéville le 23 février dernier. Le Corps de ville, toutes les cours souveraines et l'Université y assistèrent suivant l'usage. M. le Dauphin, accompagné du duc d'Orléans et du prince de Condé, était à la tête du deuil et fit les honneurs. On y compta cinquante deux tant archevêques qu'évêques, en y comprenant ceux qui composaient l'assemblée générale du clergé se tenant par prorogation aux Grands-Augustins. Parmi ces prélats, on remarque M. Badyer, évêque de Babylone, consul de France à Bagdad en Perse (sic), qui se trouvait pour lors à Paris. Sa physionomie fut trouvée des plus respectables. Il portait une barbe grise fort longue et était vêtu partie à la française et partie à la turque. M. de Cicé, évêque de Lavaur, prononça l'oraison funèbre, qui fut aussi bien rendue par ce prélat qu'elle parut bien composéc. M. l'archevêque de Paris officia,quoiqu'il fut indisposé depuis plusieurs jours, et qu'il eût fait la veille dans son appartement une chûte occasionnée par un étourdissement. Ce prélat fut saigné deux fois le lendemain. La cérémonie ne finit qu'à 4 heures après-midi. Il y avait à l'archevêché une table de 60 couverts. Le catafalque fut jugé beaucoup plus beau que celui qui avait été fait pour M. le Dauphin le 1er mars précédent. On le vit illuminé jusqu'à 6 heures du soir.

13 juin. - [Assemblée des chambres du Parlement dans laquelle on ne statue sur rien, Messieurs ne se trouvant pas en nombre suffisant; prorogée au 27.]

22 juin.— M. de La Roche-Aymon, archevêque-duc de Reims, grand aumônier de France, et président de l'assemblée générale du clergé, fit dans l'église des Grands-Augustins la cérémonie du sacre de M. l'abbé de Broglie, ancien agent du clergé, nommé par le Roi à l'évêché de Noyon. Tous les archevêques et évêques qui composaient l'assemblée, beaucoup d'autres prélats qui se trouvaient à Paris et quantité de personnes de la

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