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duc d'Orléans, premier prince du sang, avait cru devoir représenter au Procureur général, qu'il lui paraissait convenable de ne rien faire que le prince n'eût été prévenu auparavant ; sur quoi le Procureur général avait pris sur lui d'écrire à ce prince que, comme il était de retour à la Cour et quoiqu'on ne dût plus douter qu'il ne reconnût le Parlement, cependant il n'avait point voulu prendre de parti, dans une affaire qui le regardait sans l'en prévenir auparavant, mais que le Prince après avoir lu la lettre, avait dit au secrétaire qui lui la remettait, pour toute réponse ces trois mots : « Moins que jamais... » On disait aussi que M. le prince de Condé avait déclaré qu'il aimait mieux se laisser condamner par forclusion que de se défendre dans une affaire qui était également pendante au Parlement. Quoiqu'il en fût de tous ces bruits, on ne laissait pas que de voir se répondre d'infâmes couplets manuscrits aussi grossièrement injurieux pour ces princes que composés avec peu d'esprit.

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[Sur l'air : vous partez sans que rien vous arrête !]

Vivat Vivat! Monseigneur de Lamarche,

Des princes, c'est encore le moins félon;

Sans foi, ni loi, droit dans la fange, il marche,

Sans se piquer d'avoir d'opinion.

Pour ce gredin, c'est honneur et point tache
Qu'haine, mépris, honte et abjection.

Condé, plus vil, se ceint de la rondache
De Maupeou, dont il est le nourrisson.
Il tergiverse, il intrigue, il se cache,
Travaillant comme un formicaléon.
Chaque animal à son pareil s'attache,
Ours, loup, renard, tigre et caméléon.

Mais d'Aiguillon que cette union fâche,
Fait à son tour association.

Avec Philippe [1], il se bâte, il s'harnache,
Et se dispose à la soumission :

Le lourd baudet, tout fier, son billot mâche
Et, vers le Roi, mande le sire de Pons.

(1) Duc d'Orléans très gros de stature. (HARDY).

Un autre fourbe [1] avant cela lui gâche
Un plat écrit plein de restriction;
Philippe signe et, signant, se détache
Pour jamais du corps de la nation.

« Ce n'est point tout, dit-il, qu'une démarche,

Car je persiste en mon opinion.

Le seul honneur que ce tripot s'arrache,

C'est le matin de voir en cotillon

La Dubarry qui vit et sur eux crache

En relevant son quintal de t...

Qui, pour Zamor, des nègres le bardache,

Pend chaque nuit avec profusion.

Au champ de Mars, donnez-moi le panache »,
Lui dit le borgne, en baisant son jupon, [2]
Votre crédit et ma rousse moustache,
D'un vrai guerrier me fera le renom.
Philippe dit : « Pour moi, j'aime une vache,
Je voudrais être hissé sur ce tendron » [3].

La Dubarry répond à la moustache [4]:
Le Roi te fait son premier espion,

Ce lâche emploi convient à un bravache. »
Pétri de fiel, nourri de trahison,

Car un Condé, quand il n'est qu'un bravache,

Ne doit avoir que cette ambition.

Puis à Philippe : Et toi, lourde ganache,
Louis y consent, épouse Montesson;
Je le permets et veux aussi qu'on sache
Que tu vivras sous ma protection.
Quand le remords du sal.... L... p... L...
M'élèvera au rang de Maintenon. »

Le seul Conti dont l'honneur est sans tache
Demeure ferme en sa protestation ;

Sur ses cousins, s'armant d'une cravache,

Il les fustige au bas de son perron,

En attendant que du bourreau la hache

Tranche leurs chefs pour orner Montfaucon.

(1) L'abbé de Breteuil, chancelier du duc d'Orléans, probablement

auteur des Lettres au Roi (HARDY).

(2) Le prince de Condé qui était louche et roux (Id.).

(3) Madame de Montesson (Id.).

(4) Le prince de Condé. (Id.).

16 février. Il se répand que la marquise de Rosen, petite nièce du duc de Fitzjames, de la maison de Matignon, et l'une des dames préposées pour accompagner Mme la Ctesse de Provence, laquelle avait eu l'imprudence de tenir quelques propos indiscrets sur le compte de Mme la Ctesse du Barry qui en avait porté ses plaintes au Roi, ayant reçu de S. M. des ordres d'aller en faire des excuses à cette dame, et s'étant rendue chez elle pour obtempérer à ces ordres, avait été introduite par un escalier dérobé dans un petit cabinet où elle avait trouvé 4 ou 5 femmes de chambre de la Ctesse qui s'étant jetées sur elle, l'avaient fouettée cruellement (1) ; que vainement elle avait cherché à s'échapper de leurs mains, et qu'elle n'avait pu en venir à bout qu'après avoir subi une correction des plus injurieuses; qu'ayant voulu dans la rage qui l'animait si justement courir chez la Ctesse pour se plaindre à elle-même d'un traitement aussi indigne, elle n'avait trouvé sur ses pas que des gens qui criaient tout haut: au Cul fouetté, ce qui l'avait forcée de se retirer sans pouvoir exécuter sa résolution ; on ne pensait pas, si cette aventure incroyable était telle qu'on la racontait, que cette dame pût jamais reparaître à la Cour, où elle se verrait sans cesse exposée à une infinité de mauvaises plaisanteries.

17 février. Ce jour, on est informé que les ennemis de l'archevêque de Lyon (de Malvin de Montazet), jaloux sans doute de la gloire que pouvait acquérir ce prélat par la nouvelle instruction pastorale qu'il venait de donner à ses diocésains et que toutes les personnes religieuses paraissaient empressées de se procurer, venaient de faire répandre dans toutes les maisons distinguées un billet conçu à peu près en ces termes : (on ne disait point s'il était imprimé ou manuscrit)... « Vous êtes prié d'assister à la bénédiction nuptiale de Mile d'Aumont Mazarin avec M. le duc d'Aiguillon fi....fi....fi...., de la part de M. l'archevêque de Lyon et de M. de Ste-Foix, ses pères ». Par ce billet diffamatoire on cherchait à réchauffer une anecdote

(1) Hardy inscrit en marge de son mss. Aventure singulière et peut-être fausse d'une dame de la Cour : elle est fausse en effet de tous points et Ch. Vatel, qui a signalé ce passage, l'a surabondamment réfutée (Hist. de Mine Du Barry, tome II), mais il était bon de consigner le témoignage de Hardy qui, tout étranger qu'il fut aux intrigues du palais de Versailles, n'était pas dupe d'un récit scandaleux dont Pidansat de Mairobert s'est fait l'écho dans ses Anecdotes sur Mme Du Barry.

beaucoup plus scandaleuse peut-être qu'elle n'était vraie et qui avait couru dans le public il y avait environ 15 ou 16 ans, relativement à une faiblesse qu'on prétendait que le susdit prélat avait eue, dans le temps, avec la duchesse de Mazarin.

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18 février. Ce jour on racontait dans tous les cercles une anecdote assez humiliante du sieur abbé de Langeac, l'un des fils naturels du duc de La Villière, ministre et secrétaire d'Etat ayant le département de Paris, connu sous le nom de Sabatin, lequel avait été envoyé à Vienne en Autriche en qualité de conseiller du prince Louis de Rohan-Guéménée, coadjuteur de l'évêché de Strasbourg, notre ambassadeur en cette Cour. On débitait donc que cet abbé traversant les rues de Vienne dans un cabriolet qu'il conduisait lui-même et ayant rencontré sur sa route un des carrosses de l'Empereur, vide et dont le cocher ne s'était par apparemment rangé aussitôt qu'il l'eût désiré, avait eu l'imprudence de lui donner un coup de fouet, que le cocher lui avait rendu sur le champ; que cet abbé, ayant raconté l'aventure à l'ambassadeur qui en avait senti toutes les conséquences, l'ambassadeur avait fait venir le cocher pour tâcher d'assoupir cette affaire, mais que le cocher lui avait dit que cela regardait le prince dont il portait les livrées; sur quoi l'ambassadeur fort embarrassé, ayant cependant pris sur lui d'en parler le premier à l'Empereur qui ne lui en disait rien, L'Empereur lui avait répondu en ces termes: « M. l'Ambassadeur, ce différend ne regarde ni vous, ni moi; c'est une querelle de cocher à cocher, ils la videront ensemble, mais je vous préviens que les nôtres ne sont pas aisés et je crois que l'abbé de Langeac ferait très bien de se mettre à l'abri de leurs poursuites ». En supposant que cette aventure fût vraic, elle était bien propre à déconcerter un peu les projets ambitieux de cet abbé qui ne se proposait rien moins, à l'aide du crédit de son père, que d'envahir les meilleurs bénéfices du royaume; on ajoutait que très prudemment il avait quitté Vienne et était allé voyager dans d'autres Cours où il se proposait sans doute de ne plus commettre de semblables étourderies.

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20 février. On apprend que le Conseil du Roi venait de nommer pour commissaires relativement aux discussions qui s'étaient élevées entre les chanoines-comtes de l'église métropolitaine et primatiale de St Jean de Lyon et l'arche

MES LOISIRS. TOME I.

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vêque de la même ville, par rapport à un nouveau bréviaire et quelques autres points de discipline: 1o L'archevêque duc de Reims (cardinal de La Roche Aymon); 2o celui de Toulouse (de Brienne); 3° l'évêque de Mâcon (Morcau), et 4° celui d'Autun (de Marbeuf).

22 février. Ce jour, entre 6 et 7 heures du soir, le feu prend, sans qu'on pût trop savoir comment, dans le grand bateau étant sur la rivière et sous une des arches du Pont-Neuf, près du bâtiment de la Samaritaine, servant au laminage de la Monnaie. Ce bateau, qui avait trois étages et 80 pieds de long sur 22 de large et 30 de haut, renfermait une mécanique ingénieuse et servait aussi aux orfévres et à tous autres ouvriers en métaux. Il contenait de plus une infinité de machines différentes et curieuses inventées par un particulier qui en était propriétaire. On craint beaucoup pour le bâtiment de la Samaritaine à cause du vent prodigieux qui soufflait dans le moment, mais on parvient enfin à le préserver de l'incendie en coupant les amarres de ce bâteau, qu'on abandonne ensuite au courant de l'eau et qui, après avoir brûlé et éclairé tous les quais voisins, l'espace d'environ trois-quarts d'heure, échoue enfin entre le Pont Royal et le Pont-Neuf, vis-à-vis le guichet Marigny. On disait qu'il n'y avait péri personne, les ouvriers qui, peut-être, avaient mis le feu par inadvertance ayant eu le bonheur de se sauver; mais une telle perte ne pouvait être qu'un objet très considérable pour celui sur qui elle devait tomber.

23 février. Le mauvais temps qu'il avait fait la veille et la surveille, et qui durait encore ce jour, semblait conjurer avec les malheurs du temps et les circonstances critiques où l'on se trouvait, contre les scènes bruyantes que la police s'était proposée de donner au peuple de Paris pour l'étourdir dans sa misère et charmer ses besoins. On ne voit pas au faubourg St-Antoine un aussi grand concours que l'année précédente de fous masqués et de spectateurs en voiture. On ne laissait pas cependant que d'assurer qu'il y avait eu beaucoup de monde à tous les bals qui s'étaient donnés à l'Opéra pendant le carnaval, comme aussi qu'il y avait eu un très grand nombre de bals particuliers et d'assemblées de danses bourgeoises.

25 février. Ce jour, on apprend à la Cour par un courrier extraordinaire que Charles-Emmanuel de Savoie, roi de Sar

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