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N.-B. Les âmes sensibles, toujours contristées de ces sortes d'exécution aspiraient à l'heureux moment où le souverain jugerait à propos d'adoucir la rigueur de la loi ancienne qui avait prononcé la peine de mort contre tous les voleurs avec effraction, par une nouvelle loi plus conforme à l'humanité, et en même temps plus analogue à la douceur de l'Evangile, cet oracle du Souverain juge qui n'a condamné lui-même à la mort que les meurtriers de leurs frères.

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6 décembre. Dans la nuit de ce jour au lundi suivant, à une heure du matin, le prince de Condé qui, les deux jours précédents, avait assisté aux assemblées des Princes qui s'étaient tenues au Palais-Royal, reçoit un paquet de la Cour et il part en conséquence le lendemain à 7 heures du matin pour Versailles, accompagné de son fils, le duc de Bourbon. Le Cte de la Marche et le prince de Soubise s'y trouvent à leur arrivéc et vont à leur rencontre. On bat des mains dans la galerie du château sur le passage de ces princes par forme d'applaudissements. Ils sont introduits chez le Roi qui leur fait, en présence de M. le Dauphin, de M. le Cte de Provence, de M. le Cte d'Artois, seuls avec S. M., l'accueil le plus flatteur et le plus distingué. On assurait même que le Roi les avait baisés tous deux au front, en versant des larmes de joie et de tendresse Ils demeurent 22 minutes dans le cabinet du Roi et S. M., après leur avoir donné audience, les conduit elle-même chez Mme la Dauphine, chez Mme la Ctesse de Provence et chez Mesdames. Les ministres étaient-ils instruits ou non de cette entrevue ? Problème à résoudre. On apprenait que le Chancelier et le duc d'Aiguillon avaient pâli de saisissement lorsqu'ils avaient appris l'arrivée des deux princes On assurait aussi qu'à son retour de Versailles, le prince de Condé était allé souper chez M. le duc d'Orléans, ce qui semblait assez détruire l'appréhension où était un grand nombre de personnes que la division ne se fût mise parmi les Princes, ce qui pouvait produire de grands malheurs dans les circonstances délicates où l'on se trouvait, en affermissant de plus en plus l'édifice élevé par M. le Chancelier qui se négligeait aucun des moyens propres à lui assurer quelque consistance. N.-B. Un de ces esprits toujours disposés à prêter de mauvaises intentions et à jeter du louche sur les actions les plus innocentes en elles-mêmes, pour parvenir plus facilement à ternir la réputation avait composé les quatre vers suivants trop

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injurieux aux deux princes qui en étaient l'objet pour qu'ils pussent être accueillis favorablement des honnêtes gens et des personnes sensées.

Vers fails à l'occasion du retour de M. le prince de Condé à la Cour :
A faire une fausse démarche,
Condé peut être le premier,

Afin que son cousin La Marche,

Des hommes ne soit pas le dernier.

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12 décembre. Ce jour, on apprend avec la plus grande satisfaction l'acte de rigueur de M. le duc d'Orléans, premier prince du sang, qui, instruit que M. de Fontette, maître des requêtes, intendant de Caen et chancelier de M. le Cte de Provence, avait dit, étant à table, l'un des jours précédents, chez le contrôleur général où l'on parlait du retour du prince de Condé à la Cour, qu'il était assuré que lui duc d'Orléans avait écrit au Roi pour révoquer les protestations et n'avait demandé que 8 jours à S. M. pour déterminer M. le duc de Chartres à prendre le même parti, lui avait envoyé M. le Mis de Durfort, son chambellan, pour lui dire de sa part, qu'il était informé des discours injurieux à sa personne qu'il avait tenu tel jour en présence de telles et telles personnes chez M. le Contrôleur général, y dînant ; qu'il avait lieu d'en être d'autant plus surpris qu'il ne pouvait pas ignorer que dans quelque circonstance que ce fût et dans quelque position que se trouvâssent les princes, on leur devait toujours du respect; qu'il exigait de lui qu'il retournât incessamment manger chez ce ministre et qu'en présence de tous ceux qui s'y trouveraient, même du domestique, il rétractât le discours qu'il y avait tenu comme faux et supposé, et que s'il arrivait que toutes les personnes qui y étaient la première fois ne s'y rencontrâssent pas ce jour-là, il se transportât chez chacune d'elles pour y faire la même rétractation, et que s'il refusait de lui donner cette satisfaction, il saurait bien lui apprendre à quoi l'on s'exposait en insultant des princes. Autant on était indigné de la conduite indiscrète, pour ne rien dire de plus, de ce maître des requêtes, autant on applaudissait à la fermeté avec laquelle M. le duc d'Orléans en avait marqué son mécontentement et l'on ne faisait nul doute que le dit sieur de Fontette ne se fût rendu à une invitation aussi pressante. 17 décembre. Ce jour, on est informé que l'un des jours précédents, Mile de Bourbon, fille du prince de Condé, s'étant

placée dans une loge de la Comédie Française pour y assister au spectacle, il s'était élevé aussitôt du parterre une espèce de brouhaha, ou bruit confus en signe de murmure et de mécontentement; mais que M. le duc de Chartres y étant également arrivé peu de temps après, on avait battu des mains et des pieds pendant un espace de temps assez considérable, comme pour applaudir à sa généreuse fermeté et à celle de M. le duc d'Orléans, son père, ce qui avait déterminé ce prince à se retirer par prudence, dès que le premier acte de la pièce avait été achevé, ce qui annonçait d'une manière sensible comment était monté le public sur les évènements actuels, puisqu'il paraissait continuer de blâmer et de désapprouver la conduite du prince de Condé, quoique ce prince cût employé jusqu'à ce moment tous les moyens possibles pour la justifier.

Le même jour, dans l'après-midi, le Roi va voir Mme Louise de France, religieuse carmélite à St-Denis, lui porte ses étrennes en espèces d'or, un magnifique service complet d'argenterie marqué aux armes de France et à ceux de l'ordre. lequel devait demeurer à la maison lors de son décès, et du poisson pour les deux jours suivants qui étaient les Quatre-Temps, ce qui fait que S. M. soupe et couche le même soir au château de la Muette. On ne parlait presque plus dans le monde de cette princesse dont le renoncement avait paru d'abord faire tant de bruit, parce qu'il avait été célébré et exalté sans mesure dans les chaires par les ecclésiastiques.

20 décembre. Ce jour, M. l'archevêque de Paris va rendre visite à M. le Prince de Condé qui lui donne audience avant son départ pour Versailles. On disait que c'était pour féliciter ce prince sur son retour à la Cour et relativement au Cordon bleu que son fils le duc de Bourbon devait prendre le 1er jour de l'an 1773, jour auquel ce Prélat devait officier en sa qualité de prélat commandeur des ordres du Roi, n'y ayant plus que lui ou l'archevêque d'Arles qui puissent remplir cette fonction, mais on sut ensuite que le véritable objet de cette visite avait été de remercier le prince de ce qu'il avait pris, du consentement du Roi, pour son premier écuyer, aux lieu et place du marquis de Chamborant, disgrâcié, le sieur de Beaumont d'Autichamp,

son nevcu.

24 décembre. Ce jour à 10 heures du matin, se font en l'église des prêtres de l'Oratoire de la rue St-Honoré, chef-lieu MES LOISIRS. TOME I.

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de la Congrégation, avec les cérémonies accoutumées, les obsèques du P. Louis de Thomas de Lavalette, sixième supérieur général, depuis son institution par le cardinal de Bérulle. Le dit P. de Lavalette, élu le 13 juin 1733, est décédé le mardi précédent à 3 heures du matin dans sa 95o année. Ce supérieur respectable et fort estimé avait eu la faiblesse de céder aux circonstances et de tergiverser beaucoup dans l'affaire de la Constitution Unigenitus, conduite sur laquelle il n'avait pas été sans remords pendant les dernières années de sa vie, puisqu'on assurait qu'il lui était échappé de dire qu'il avait fait bien des choses par le désir de conserver sa congrégation et qu'il avait cru pouvoir sacrifier quelques branches pour sauver le tronc ; mais il n'avait d'ailleurs jamais cessé d'édifier ses frères par sa grande régularité, son exactitude à remplir les devoirs de sa charge et la tendre piété dont il avait toujours paru animé. On disait que les dernières paroles qui étaient sorties de sa bouche étaient celles-ci : « Je désirerais que tout le monde aimât JésusChrist. « Quatre députés étaient partis pour Versailles, le jour même de son décès, à 4 heures du matin, afin d'informer le ministre de sa mort. L'élection de son successeur ne devait se faire, disait-on, qu'après l'espace de 4 mois, pendant lequel il devait nécessairement se former des brigues et des cabales, dans des circonstances surtout aussi favorables pour leur succès que celles où l'on se trouvait. Les personnes sensées désiraient que l'on pût donner à cette congrégation, si utile à bien des égards, un chef et un supérieur capable d'y maintenir le bien qu'avait su y conserver encore, au milieu de la défection générale, celui qu'elle venait de perdre.

29 décembre. Ce jour, on est informé que M. le duc d'Orléans, premier prince du sang, qui avait adressé la veille au Roi la lettre que l'on trouvera ci-dessous transcrite qui avait été signée de M. le duc de Chartres, lettre que quelques personnes approuvaient, tandis que d'autres en étaient fort mécontentes, avait reçu à 4 heures du matin des ordres de S. M. de se endre à la Cour, lui et son fils, et qu'ils étaient partis à 1 heure l'un de l'autre pour Versailles. M. de Șartine en avait prévenu, disait-on, par un mot d'écrit M. Bertier, Premier Président du nouveau Parlement, et MM. les Inamovibles s'entretenaient en conséquence le même jour au Palais du prochain lit de justice sur lequel ils paraissaient faire beaucoup de fond. Cet

événement subit et inattendu donnait encore lieu à une infinité de conjectures qui, pour la plupart, pouvaient bien être hasardées, les uns espéraient tout, tandis que les autres craignaient tout. On maintenait toujours néanmoins qu'avant le 8 janvier on verrait du nouveau qui étonnerait.

Lettre adressée au Roi par M. le duc d'Orléans et M. le duc de Chartres.

« Sire,

« Nous avons été, mon fils et moi, jusqu'à présent persuadés que l'ordre rigoureux qui nous tient éloignés de la personne de Votre Majesté, n'avait d'autre motif que notre réclamation. Pénétrés de douleur d'être, depuis près de deux ans dans votre disgrâce, il nous restait au moins la consolation que nous donnait la pureté de nos intentions.

« Il ne nous est plus permis, Sire, de douter que V. M. regarde cet acte de notre part comme une désobéissance. Cette idée est trop affligeante pour que nous ne cherchions pas à nous justifier. Elevés près du trône, dévoués à la personne de V. M., comblés dans tous les temps de ses bontés, nous vous avons donné les marques les plus sincères de notre amour, de notre fidélité, de notre respect et de notre reconnaissance. Non, Sirc, nous ne vous avons point désobéi, daignez nous écouter, nous vous exposerons nos sentiments avec la loyauté et la franchise dignes des princes de votre sang.

« Nous avons réclamé, Sire, contre l'exécution d'un projet qui nous a paru dangereux dans son principe, nuisible dans ses effets, mal conçu même dans les vues qu'il annonçait pour le maintien de votre autorité, et ne nous présentant dans son ensemble que de grands changements qui ne remédieraient à rien. Nous pouvons être dans l'erreur, mais il n'est pas en notre pouvoir de changer d'opinion. Notre façon de penser, Sire, n'est point incompatible avec l'obéissance due à votre autorité, dont nous serons toujours les plus zélés défenseurs. Nous vous devons la soumission la plus entière, non de nos opinions, nous ne pouvons en disposer, mais de nos démarches, et c'est en quei consiste la véritable obéissance à votre puissance souveraine, après celle que nous devons à Dicu. Comme princes de votre sang, nous devons plus que personne vous dire la vérité; comme vos premiers sujets, nous devons l'exemple de la soumission, nous avons toujours cherché à remplir le premier

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