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Parlement (le sieur abbé Dupré) s'étant présenté et ayant voulu se placer au premier rang, le Suisse qui gardait les places lui ayant dit de se retirer et quelques ecclésiastiques assis au second rang, ayant dit à ce Suisse : « Vous renvoyez M. l'abbé, c'est pourtant un inamovible », l'abbé Dupré, qui dut entendre très bien ce discours, jugea à propos de se placer beaucoup plus loin. Tous les députés du premier et du second ordre, ainsi que nombre d'archevêques et d'évêques qui n'étaient point de l'assemblée, mais qui se trouvaient néanmoins à Paris, assistent à cette cérémonie, avec plusieurs autres personnes de distinction.

Le mercredi précédent, tous les députés s'étaient assemblés aux Augustins, en soutane noire et manteau long, pour y faire la lecture des procurations, et le dimanche suivant 14, ils devaient être présentés au Roi avec les honneurs qu'a coutume de recevoir le clergé quand il est en corps et l'archevêque de Toulouse (de Brienne) devait porter la parole; l'archevêque de Lyon (de Malvin de Montazet), second président, ayant refusé de le faire, sous prétexte qu'il n'avait pas le temps suffisant pour s'y préparer.

15 juin. Sur le soir, un particulier, allemand d'origine, arrivé à Paris depuis quelques jours, et qu'on disait y être sous la protection du prince de Deux-Ponts, est arrêté et conduit chez le commissaire Coquelin, rue Michel-le-Comte, comme soupçonné de jouer le rôle d'un personnage extraordinaire et même d'un prophète, ayant fait en apparence plusieurs guérisons miraculeuses et touchant simplement quelques personnes affligées de différentes maladies, après leur avoir demandé si elles avaient de la foi et si elles croyaient en Dieu. Le susdit commissaire ayant dressé un très long procès-verbal en présence de médecins et chirurgiens, opération qui dure plus de 4 heures, ce particulier, qui demeurait rue des Moineaux, butte St-Roch, est conduit en carrosse par un exempt dans une maison à porte cochère de la rue Grenéta, où quelques jours après, dans la nuit, un autre exempt, avec un carrosse à 4 chevaux de poste, vient prendre ce prétendu faiseur de miracles avec sa femme et sa fille et les conduit hors du royaume en leur notifiant de la part du Roi des défenses de ne jamais y revenir.

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16 juin. Ce jour on est informé que, par erreur, on avait arrêté et conduit à la Bastille, l'un des jours précédents, la

personne qui gardait malade la Vve Méquignon, libraire, dont un des fils avait été également arrêté ci-devant et qu'on était revenu ensuite pour enlever la domestique de la dite dame Méquignon, mais que cette fille s'était évadée pour se soustraire à toute poursuite. On apprend aussi que l'on avait arrêté et conduit à la Bastille, trois commis des fermes, savoir : le nommé Laroche et les nommés François frères, chez l'un desquels, disait-on, on avait trouvé des cachets volants à l'aide desquels ils envoyaient dans les provinces, sous le contreseing de différentes personnes distinguées, les écrits prohibés dont il paraissait qu'ils faisaient commerce. Le maître clerc de Me Pépin, procureur, avait aussi été arrêté et le tout pour les Œufs rouges, etc..... (1)

On annonçait un très grand nombre d'édits qui devaient ordonner différentes suppressions, telles que celles de la plus grande partie des offices de la Chambre des Comptes, des Secrétaires du Roi, des Notaires qui devaient à ce qu'on disait, être réduits à 50 au lieu de 113 et donner à chacun une somme de 100.000 livres, des commissaires auxquels on devait aussi demander des sommes, etc. Ces bruits de suppression et d'augmentation de finances répandaient la plus grande incertitude sur la conservation de la fortune des citoyens de tous les ordres qui se voyaient menacés.

M. le duc de La Vrillière, le sieur abbé Terray, contrôleur général, et deux intendants des finances se rendent, en qualité de commissaires du Roi, à l'assemblée générale extraordinaire du Clergé qui se tenait aux Augustins pour y former au nom de S. M. la demande d'un don gratuit de 10 millions. Le cardinal de La Roche-Aymon, archevèque duc de Reims et président, prononce un discours des plus courtisan. Le don gratuit est accordé et le Clergé obtient, comme par une espèce de dédommagement, que toutes les rentes ecclésiastiques sur les revenus du Roi ne seraient point soumises au quinzième nouvellement établi, comme celles des autres particuliers, mais qu'elles continueraient d'être payées sur l'ancien pied.

19 juin. Ce jour, vers les 11 heures du matin, la Vve Méquignon, libraire, rue de la Juiverie, dont l'un des fils, âgé de 20 ans, avait été arrêté quelques jours auparavant, est égale

(1) Sur ces diverses arrestations et détentions, voyez les nos 4924-4929 des listes établies par M. F. Funck-Brentano.

ment arrêtée elle-même dans sa propre maison, quoiqu'on n'eût rien trouvé dans la perquisition qui y avait été faite. Elle est conduite sur le champ dans les prisons du château de la Bastille.

On parlait aussi d'un tailleur qui avait été pris et mis au For-l'Evêque, comme étant l'agent des trois commis des fermes qu'il avait dénoncés et chez lesquels on prétendait qu'il avait été trouvé des listes de toutes les personnes auxquelles ils fournissaient toutes les nouveautés contraires aux opérations de M. le Chancelier. On ne faisait autre chose que d'arrêter journellement nombre de particuliers sur le simple soupçon d'avoir eu quelque part à la distribution des Eufs rouges. Le mardi suivant, 23 du même mois, on assurait très positivement que le nombre des personnes constituées prisonnières à la Bastille était déjà de 17, et que dans peu, il serait encore beaucoup plus considérable.

21 juin. Ce jour, on publie au prône de l'église paroissiale de St-Landry en la Cité, une ordonnance de M. l'archevêque de Paris, par laquelle il était indiqué une visite pastorale pour le dimanche 5 juillet suivant, à l'effet de procéder à l'examen du spirituel et du temporel de cette église dont les marguilliers étaient en fort mauvaise intelligence avec leur curé. On débitait que M. l'archevêque commençait par cette petite paroisse dont le curé (le sieur Bouthet de la Richardière) lui était servilement dévoué, pour passer ensuite successivement à toutes les autres, et qu'il n'avait d'autre objet que celui de détruire, s'il lui était possible, les fabriques et de concentrer l'administration du temporel dans celle du spirituel, au moyen de quoi les curés se trouveraient maîtres absolus dans leurs paroisses. Peut-être aussi le prélat n'avait-il d'autre but dans cette visite que celui de mettre fin aux divisions qui subsistaient depuis longtemps entre le curé et les marguilliers qui, de leur côté, avaient, disait-on, formé opposition à l'exécution de cette ordonnance. 22 juin. Ce jour, Me Jacques de Vergès, premier avocat général, fait en la Grand Chambre du nouveau Parlement son plaidoyer dans la cause d'entre les libraires Lebreton et Briasson, Luneau de Boisjermain et 7 autres intervenants, par rapport aux souscriptions du Dictionnaire encyclopédique. Cette cause avait occupé 8 ou 10 audiences, pendant lesquelles le sieur Luneau avait plaidé lui-même à la barre de la Cour ; le sicur Gerbier de La Massilaye avait défendu les libraires avec

son éloquence si connue et les sieurs Bellot et Sainctin Le Blan avaient parlé pour les intervenants. Il n'avait été donné par les libraires pendant tout le cours des plaidoiries qu'un seul précis de toute la cause, très bien fait, en 42 pages d'impression in-4, imprimé chez le sieur Lebreton et signé de Me Boudet, avocat, et le jour du jugement une exposition de la diffamation dont les libraires associés à l'Encyclopédie demandaient une réparation authentique, 7 pages d'impression in-4, contenant des extraits du mémoire du dit sieur Luneau avec des observations à mi-marge, signé de Me De Junquières, avocat. Le plaidoyer de Me de Vergès qui parut assez bien fait contenait de vives sorties, tant contre le sieur Luneau que contre les libraires; il ne ménageait pas plus l'un que les autres et il le termine après avoir parlé pendant une heure et demie, par des conclusions qui tendaient à ce que les parties de Me Bellot et de Me Le Blan fussent reçues parties intervenantes et qu'avant faire droit, il fût ordonné que par devant deux commissaires de la Cour et en présence de leur avocat général, il fût dressé procèsverbal par deux experts dans l'art de l'imprimerie choisis par les parties et un troisième expert choisi par la Cour des retranchements faits dans l'édition de l'Encyclopédie relativement au nombre de lignes à chaque page et de lettres à chaque ligne, du produit total de ces lettres et de ces lignes qui se trouvait dans le prospectus, distraction faite des lettres indicatives placées au haut des pages et en ajoutant au produit total de ces diminutions les 40 sols demandés de plus par les libraires sur chaque volume et les 6 livres par eux exigés pour frais de port et d'emballage; pour le dit procès-verbal rapporté en la Cour, être d'après l'examen d'icelui fait droit sur toutes les demandes des parties et ordonné ce qu'il appartiendrait et sur ses plus amples conclusions ordonner que les anciens arrêts et règlements de la Cour concernant les délateurs seraient exécutés selon leur forme et teneur, que la requête du sieur Luneau fût et demeurât supprimée, que défenses fussent faites à Me Courneau, son avocat, d'en signer à l'avenir de pareille, etc., etc...... Les susdites conclusions ne sont point adoptées par la soidisante Cour, qui ordonne simplement que la cause [aille] en délibéré au rapport du sieur Goudin, ci-devant conseiller de la Cour des Aides. On ne savait trop si l'on devait regarder ce jugement comme de rigueur ou de faveur pour les libraires.

27 juin. Ce jour, à midi, Pierre Chapelle de Jumilhac, évêque de Lectoure, l'un des députés à l'assemblée générale du Clergé, qui se tenait pour lors extraordinairement aux Augustins, par ordre du Roi, décédé rue du Paon, à l'hôtel de Tours, quelques jours auparavant, d'une goutte remontée, âgé de 55 ans, est inhumé avec beaucoup de pompe dans le chœur et au pied du maître-autel de l'église de St-Côme, sa paroisse. Une partie des archevêques et évêques députés à l'Assemblée et plusieurs autres prélats assistent à son convoi. Sa maladie avait été si prompte qu'il n'avait pas été possible de lui administrer les sacrements.

30 juin. Le sieur Goudin, ci-devant conseiller à la Cour des Aides et conseiller de la Grand Chambre du nouveau Parlement, ayant fait son rapport dans l'affaire d'entre les sieurs Luneau de Boisjermain, Lebreton et Briasson, libraires-imprimeurs de l'Encyclopédie, sur laquelle il avait été ordonné un délibéré le lundi précédent, 22 du même mois. De 24 juges qui assistaient à ce rapport, 12 ayant été d'avis de condamner les libraires et les 12 autres, parmi lesquels se trouvaient les conseillers-clercs, le rapporteur et le Premier président ayant opiné au contraire pour leur faire gagner leur procès, on prend le parti, vu ce partage, d'ordonner un appointement à mettre au rapport du même conseiller, le sieur Goudin, ce qui renvoyait fort loin, et peut-être arrêtait pour toujours le jugement de cette affaire dont on avait tant fait de bruit.

2 juillet. Ce jour on commence à répandre dans le publicun nouvel imprimé de 98 pages, format in-12, du prix de 36 sols, portant pour titre unique, à la première page, ces paroles en lettres capitales: C'EST TOUT COMME CHEZ NOUS, employées sans doute à cause du plaisir qu'elles avaient déjà fait à Mme la Dauphine lorsqu'elle avait lu la lettre à Me Jacques de Vergès, avocat général du nouveau Parlement, et suivies d'une petite préface, à la suite de laquelle on trouvait, d'un côté la sentence sur la cause du fiscal général, comme étant chargé d'une part d'être accusateur contre le Cte Jean-Frédéric Struensée ; d'autre part, de l'autre côté, la sentence projetée de la Nation française, accusateur contre Charles-Augustin-Nicolas-René de Maupeou. Cette sentence, absolument calquée sur celle du susdit ministre du Roi de Danemarck, offrait le détail et le tableau frappant des délits dont s'était rendu coupable le

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