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de singularité. Le susdit sieur Davignon se croyait obligé de déclarer à tous ceux qui se trouvaient autour de lui pendant la grand'messe que cette relique était beaucoup plus authentique que celle qui était derrière le chœur (voulant parler du corps du bienheureux Paris, diacre, qui reposait toujours dans le cimetière dont l'entrée avait été murée), attendu, disait-il, qu'elle était reconnue, comme si la voix du peuple, regardée de tous les temps comme la voix de Dieu même, n'avait pas suffisamment préconisé les vertus et les prodiges du saint personnage dont certaines gens étaient si fort intéressées à obscurcir la gloire et les mérites!

7 mai. Ce jour, il se répand, peut-être faussement, que la veille dans la soirée, le Roi, feignant d'aller de Versailles au château de St-Hubert, et le duc d'Orléans, premier prince du sang, feignant également d'aller à Crécy, où était pour lors le duc de Penthièvre, s'étaient rencontrés sur le chemin et avaient eu ensemble une conférence de près d'une heure. Un brigadier de maréchaussée, qui était de garde sur le chemin, l'avait dit à quelqu'un comme témoin oculaire, en lui recommandant de ne point le nommer. Il ajoutait même que voyant passer M. le duc d'Orléans, son premier mouvement avait été d'aller au devant de ce prince, pour le prévenir que le Roi ne tarderait pas à passer, dans l'appréhension qu'il ne se rencontrât sur le passage de S. M., ce qui aurait peut-être pu lui faire de la peine. L'un des jours de la semaine de Pâques, M. le duc d'Orléans, étant allé au Concert spirituel, y avait reçu les applaudissements les plus redoublés, et il n'était parvenu à les interrompre et à les faire cesser qu'en annonçant par ses gestes qu'ils pouvaient lui causer autant de peine qu'ils devaient lui faire de plaisir.

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16 mai. Ce jour, on est informé que l'Académie française, qui avait d'abord fait choix du sieur abbé Delille, professeur au collège de La Marche, et du sieur Suard, l'un des anciens rédacteurs de la Gazette de France pour remplir les deux places vacantes par les décès des sieurs Bignon et Duclos, était forcé: par le Roi qui avait refusé de ratifier leur nomination, lorsque le sieur d'Alembert, secrétaire de l'Académie, la lui avait présentée, de s'assembler le 23 du même mois et de procéder de nouveau à la nomination de ces deux places comme si elles eussent été encore vacantes, ce qui ne s'était jamais vu. On

disait que M. le Chancelier destinait ces deux places au sieur de Vergès, premier avocat général du nouveau Parlement, et au sieur Moreau, avocat des finances.

On débitait que pour écarter les sieurs Delille et Suard, M. le Chancelier les avait représentés au Roi, comme gens sans religion.

17 mai. Ce jour, on est informé que l'un des jours précédents il y avait eu dans l'enclos du prieuré de St-Martin-desChamps, une espèce d'émotion occasionnée par une visite que les jurés luthiers avaient jugé à propos de faire chez un ouvrier en instruments de musique, domicilié dans le dit enclos; on y enlève le pavé pour briser les vitres de la maison où s'étaient retirés les jurés luthiers, assistés du commissaire Thiéry qui court le plus grand risque, et l'on s'y bat contre le guet à pied et à cheval, dont quelques soldats sont blessés assez considérablement. On arrête dans cette émeute plusieurs particuliers qui sont conduits dans les prisons du Grand-Châtelet dont on disait que M. le lieutenant de police devait instruire le procès en première instance, pour ensuite aller par appel au nouveau Parlement dont on ne devait pas attendre beaucoup d'indulgence sur un pareil fait, vu les circonstances.

23 mai, Ce jour on est informé que les personnes arrêtées relativement à l'émotion populaire excitée dans l'enclos du prieuré de St-Martin-des-Champs, à l'occasion de la saisie faite par les jurés luthiers, chez un tailleur de cet enclos, qui avait chez lui un magasin d'instruments de musique, venaient d'être transférées dans les prisons de la Conciergerie du Palais, après avoir été jugées par M. le lieutenant de police de la manière qui suit, savoir le plus coupable condamné au carcan, au fouet, à la marque et aux galères pendant neuf ans, trois autres à assister à l'exécution et le quatrième, qui était un jeune enfant, à être fouetté sous la custode par le questionnaire, etc. Le tailleur chez lequel se faisait la saisie et qui avait crié : A moi les privilégiés s'était heureusement évadé ainsi que douze autres qui tous avaient été décrétés de prise de corps. On craignait que la Tournelle du nouveau Parlement n'usât de rigueur en condamnant à être pendu, sur l'appel à minima, celui qui n'avait été condamné qu'aux galères par le jugement de M. le lieutenant de police, mais on espérait en même temps que peut-être ne se presseraient-ils pas de prononcer de jugement en pareille

matière pour ne pas réveiller le chat qui dormait d'un sommeil si profond et qui leur était si avantageux. Quelques personnes blåmaient le commissaire de s'être exposé à faire la saisie sans en avoir prévenu auparavant, comme il le devait, disait-on, le bailli de l'enclos. La sentence de M. le lieutenant de police portait que l'exécution s'en ferait dans l'enclos, disposition qui paraissait assez surprenante.

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29 mai. Le public est singulièrement frappé de la manière dont se trouvait détaillé à l'article de Copenhague, dans la Gazette de France de ce jour le jugement des sieurs Cte de Struensée et Brandt, et des motifs de la condamnation prononcée contre ces deux coupables exposés dans la sentence dont on y donnait la traduction. Tout le monde se demandait : « Avezvous lu la Gazette d'aujourd'hui ? « Tout le monde cherchait à la lire et la dévorait avec une sorte d'avidité, parce qu'on croyait y trouver un fidèle tableau de la conduite tenue par le Chancelier de France, et qu'on se flattait que les mêmes crimes pouvaient un jour lui attirer les mêmes châtiments, si la vérité pouvait jamais franchir les barrières que ce second Struensée avait élevées autour du trône pour lui en interdire l'accès. Quelques personnes allaient même jusqu'à prétendre que le détail circonstancié fait dans la Gazette de France de la conduite criminelle de Struensée était une preuve qu'il y avait à la Cour un parti pris contre le Chancelier, qu'on verrait éclater au moment qu'on s'y attendait le moins, mais le plus grand nombre était de ceux qui n'en voulaient rien croire, et qui craignaient beaucoup de voir encore subsister longtemps les choses dans le malheureux état de désordres et de confusion qui excitait depuis 18 mois la consternation générale.

1er juin. Ce jour, on ne parlait dans le public que de la suppression projetée d'un grand nombre de payeurs et de contrôleurs de rentes de l'Hôtel de Ville, ainsi que de celle de receveurs des domaines et bois et de toutes les charges des eaux et forêts qu'on disait devoir être unies aux fermes générales. Toutes ces suppressions annoncées jetaient la consternation et l'alarme dans l'esprit des particuliers qui ne voyaient plus d'assurance dans aucun état. Ce bruit n'était pas destitué de tout fondement, puisque dès le samedi suivant, 6 du même mois, on criait l'édit portant suppression de 44 payeurs et de 44 contrôleurs des rentes.

On distribuait aussi à la même époque des exemplaires d'un nouvel écrit portant pour titre: Mandement de Mgr l'Archevêque de Paris, qui proscrit les œufs rouges, à commencer du vendredi dans l'octave de l'Ascension inclusivement jusqu'à la Résurrection des Morts exclusivement. Paris, Vve Simon, imprimeur de M. l'archevêque, 12 pages d'impression, format in-12, du prix de 10 sous, commençant par la phrase suivante: «Ayant égard, nos très chers frères, aux représentations et aux besoins urgents de nos âmes et féaux les magistrats de la création du sieur de Maupeou, chancelier de France...... et finissant par ces mots : Signé CHRISTOPHE, archevêque de Paris; par Mgr: GRISEL. Ce petit ouvrage, aussi plaisant que satirique, amusait beaucoup les lecteurs. On débitait qu'il avait été remis à M. le Chancelier d'une manière assez singulière: un soi-disant jardinier du monastère des Carmélites de St-Denis avait apporté de la part de Mme Louise de France un panier de fraises au fond duquel s'étaient trouvés les exemplaires du susdit mandement et Mgr lui-même avait donné au porteur un écu de six livres. Il courait toujours des bruits sourds de négociations pour l'arrangement des affaires, mais sur lesquels on ne croyait pas qu'il fût possible d'établir aucune espérance.

Le nommé Laguery, bourgeois de Paris, est arrêté par des mouches, rue d'Enfer, vers les 7 heures du soir, au moment qu'il allait entrer au Luxembourg. On le fouille et on trouve sur lui un seul exemplaire de la première partie des Eufs rouges de M. le Chancelier, toute coupée. On le,mène chez lui, rue du Meunier St-Victor, où l'on fait, heureusement pour lui, une perquisition vaine; on le conduit néanmoins sur le champ dans les prisons du château de la Bastille, et quoiqu'il fût recommandé presque aussitôt par des personnes de considération, on ne laisse pas de le mettre au cachot pendant plusieurs jours, dans l'espérance de tirer de lui par ce moyen quelques aveux. On disait aussi que l'on avait arrêté à peu près vers le même temps et pour la même cause, une religieuse carme du couvent des Billettes.

2 juin. Ce jour, les recteurs et suppôts de l'Université étaient dans la plus grande perplexité, parce qu'ils avaient appris qu'il venait d'être envoyé aux gens du Roi, du nouveau Parlement, des lettres patentes qui attribuaient au Collège Royal, place de Cambrai, les 50.000 écus qu'ils avaient en

personne qui gardait malade la Vve Méquignon, libraire, dont un des fils avait été également arrêté ci-devant et qu'on était revenu ensuite pour enlever la domestique de la dite dame Méquignon, mais que cette fille s'était évadée pour se soustraire à toute poursuite. On apprend aussi que l'on avait arrêté et conduit à la Bastille, trois commis des fermes, savoir : le nommé Laroche et les nommés François frères, chez l'un desquels, disait-on, on avait trouvé des cachets volants à l'aide desquels ils envoyaient dans les provinces, sous le contreseing de différentes personnes distinguées, les écrits prohibés dont il paraissait qu'ils faisaient commerce. Le maître clerc de Me Pépin, procureur, avait aussi été arrêté et le tout pour les ŒŒufs rouges, etc..... (1)

On annonçait un très grand nombre d'édits qui devaient ordonner différentes suppressions, telles que celles de la plus grande partie des offices de la Chambre des Comptes, des Secrétaires du Roi, des Notaires qui devaient à ce qu'on disait, être réduits à 50 au lieu de 113 et donner à chacun une somme de 100.000 livres, des commissaires auxquels on devait aussi demander des sommes, etc. Ces bruits de suppression et d'augmentation de finances répandaient la plus grande incertitude sur la conservation de la fortune des citoyens de tous les ordres qui se voyaient menacés.

M. le duc de La Vrillière, le sieur abbé Terray, contrôleur général, et deux intendants des finances se rendent, en qualité de commissaires du Roi, à l'assemblée générale extraordinaire du Clergé qui se tenait aux Augustins pour y former au nom de S. M. la demande d'un don gratuit de 10 millions. Le cardinal de La Roche-Aymon, archevèque duc de Reims et président, prononce un discours des plus courtisan. Le don gratuit est accordé et le Clergé obtient, comme par une espèce de dédommagement, que toutes les rentes ecclésiastiques sur les revenus du Roi ne seraient point soumises au quinzième nouvellement établi, comme celles des autres particuliers, mais qu'elles continueraient d'être payées sur l'ancien pied.

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19 juin. Ce jour, vers les 11 heures du matin, la Vve Méquignon, libraire, rue de la Juiverie, dont l'un des fils, âgé de 20 ans, avait été arrêté quelques jours auparavant, est égale

(1) Sur ces diverses arrestations et détentions, voyez les nos 4924-4929 des listes établies par M. F. Funck-Brentano.

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