Page images
PDF
EPUB

du matin ; son billet d'enterrement, imprimé chez le sieur Lottin l'aîné, libraire imprimeur de Mgr le Dauphin et de la Ville, paraît à tout le monde très singulier, en ce qu'il contenait l'énumération fastueuse de toutes ses qualités (1). Il n'en est tiré que 650, dont 500 sur papier ordinaire de grand raisin pour Paris, remis au courrier de l'Université, et 150 sur papier fin pour Versailles. Ce seigneur qui laissait une veuve, depuis un certain temps retirée dans le monastère des religieuses de la Visitation Ste-Marie à St-Denis, et un fils unique, âgé de 24 ans, connu sous le nom de duc de St-Mégrin et menin de Mgr le Dauphin, n'était regretté de personne, à l'exception de l'archevêque de Paris et des Jésuites. On débitait que ce qui avait accéléré sa mort était une morțification qu'il s'était attirée de la part de Mgr le Dauphin auquel il avait, disait-on, manqué essentiellement, en rendant compte au Roi de ce qu'il avait surpris ce prince lisant des ouvrages qui paraissaient en faveur des Parlements et contre le système actuel du Chancelier, quoiqu'il lui eut expressément recommandé de n'en rien faire : ce qui avait, avec raison, indisposé tellement Mgr le Dauphin contre lui qu'un jour qu'il se présentait à son lever en sa qualité de premier gentilhomme de la chambre, il lui avait adressé la parole à peu près en ces termes : « Monsieur le duc, je vous trouve bien plaisant d'aller instruire le Roi de mes lectures, surtout après que je vous l'ai défendu ; vous vous en repentirez, Monsieur le Duc, et avant peu. « Et sur ce qu'il avait voulu entreprendre de se justifier, M. le Dauphin lui avait dit encore très sèchement : « Retirez-vous, Monsieur le Duc. « On ajoutait à cela que, dans un autre moment, Mme la Dauphine lui avait aussi parlé comme il suit : « Monsieur le Duc, Monsieur le Dauphin est d'un âge à n'avoir plus besoin de gouverneur, et moi je n'ai pas besoin d'espion ; je vous prie de ne plus reparaître chez moi » ; que depuis ces deux scènes qui avaient été pour lui comme autant de coups de foudre, la suppuration du cautère qu'il portait au bras s'étant arrêtée, son sang avait tourné et s'était gangréné, ce qui avait en si peu de temps

(1) Grimm (Correspondance littéraire, teme IX, p. 457) a reproduit en entier les titres et appellations du défunt et cette énumération, n'occupe pas moins de vingt-et-une lignes ; il propose aussi de créer une chaire où seraient expliquées cos appellations dont plusieurs étaient depuis longtemps déjà tombées en désnétudes et recommande aux curieux de conserver cette lettre d'invitation comme un effet de bibliothèque ».

tranché le fil de ses jours. Le scellé avait été apposé partout, dans l'appartement qu'il occupait à Paris au Louvre. On disait que ses affaires étaient si dérangées qu'il pouvait bien se faire qu'il fût mort insolvable. Mais on attribuait ce dérangement, au cas qu'il fût réel, au défaut d'ordre et d'exactitude du sieur Locquet, son secrétaire de confiance qui venait de disparaître et dont tous les effets se trouvaient saisis à cause des dettes immenses qu'il avait contractées.

-

5 février. Ce jour, sur le soir, les formalités de justice usitées en pareil cas ayant été remplies, est inhumé en l'église de St-Cosme, sa paroisse, un jeune metteur en œuvres, demeurant rue des Francs-Bourgeois, près la place St-Michel, lequel s'était tué lui-même d'un coup de pistolet quelques jours auparavant, de désespoir, disait-on, de ce que le maître chez lequel il demeurait lui avait refusé un certificat dont il croyait avoir besoin dans le dessein où il était de s'expatrier et de passer en Prusse. Les exemples de suicide se multipliaient journellement dans notre capitale, où l'on semblait adopter à cet égard tout le caractère et le génie de la nation anglaise, dont on prenait à tâche de copier les vices et les défauts, tandis qu'on négligeait ce qu'elle avait de bon et de louable : à quoi pouvait-on attribuer une conduite si opposée au christianisme et à la religion, si ce n'était au dépérissement total des instructions puisées dans la saine et pure morale dont on persécutait depuis tant d'années les prédicateurs et les soutiens?

7 février. Ce jour, on est informé par une personne tout nouvellement arrivée de Langres, qu'avant son départ pour Paris, il s'était donné dans une salle de l'Hôtel de Ville un bal masqué des plus magnifiques et des plus brillants, auquel s'étaient trouvées des personnes de la ville même et des environs; que pendant ce bal quelque inconnu masqué avait trouvé le moyen, on ne pouvait trop comprendre comment, de mutiler un portrait du Roi qui était dans cette salle, en lui enlevant la tête; que le procureur du Roi, averti du fait et se proposant d'en informer, s'était transporté sur le lieu à l'effet de le constater et d'en dresser son procès-verbal, dans lequel, il avait, disait-on, assez ingénieusement inséré que ne pouvant se persuader qu'il y eut, non seulement dans la ville, mais dans toute la province, un seul sujet du Roi qui fût capable de manquer de respect à S. M. au point de lui insulter par un attentat aussi

atroce que celui qui se présentait à la première idée, il lui paraissait beaucoup plus naturel de croire que quelque amateur entraîné par son goût pour la peinture s'était permis de faire le dégât et la mutilation qui excitaient l'attention de son ministère.

11 février. Ce jour, le sieur Locquet, secrétaire de confiance du feu duc de La Vauguyon, pair de France, lequel se trouvait, disait-on, coupable des plus grandes prévarications, puisque, ayant eu en maniement, non seulement tous les fonds destiné à payer les fournitures différentes faites à l'occasion des deux mariages de M. le Dauphin et de M. le Cte de Provence, mais même ceux de la cassette de ces princes et de celle de M. le Cte d'Artois, il avait diverti les fonds et fait accepter ses propres billets à tous les fournisseurs dont il avait tiré quittance,

се

qui n'empêchait point qu'il ne se trouvât redevable d'une somme d'environ 500.000 livres. Ayant essuyé une forte réprimande de la part de M. le Duc de la Vrillière, qui lui avait dit le matin : « Songez, Locquet, à me rendre ce soir le compte le plus exact de votre administration, sentant bien l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de rendre ce compte, puisque, quoiqu'il se fût déjà exécuté lui-même en faisant vendre nombre d'effets, il n'était encore parvenu qu'à liquider quelques faibles objets, embrasse pour se tirer d'embarras le funeste parti que lui inspire son désespoir et étant monté vers 5 heures du soir dans un petit cabinet au troisième étage de la maison qu'il avait achetée à Versailles, sans en payer un sol, et dans laquelle il demeurait, rue Satory, après avoir fermé trois portes sur lui, se tire d'abord un coup de pistolet dans la tête, mais ce premier coup ayant manqué, il se tire un second coup dans l'oreille, après s'être enveloppé la tête d'une serviette et en se jetant sur son lit. Il avait eu la précaution d'écrire auparavant une espèce de petit bulletin portant qu'il priait qu'on n'inquiétât personne à l'occasion de sa mort, que lui-même s'était défait, que ses créanciers prissent patience et qu'il se trouverait de quoi faire honneur à toutes ses affaires. Il était âgé de 42 ans. Il avait, disait-on, plusieurs maîtresses qui n'avaient pas peu contribué à sa ruine. Son épouse qui était à Paris occupée à vendre différents effets pour tâcher de boucher quelques trous, ayant été informée de ce terrible évènement, arrive le même soir à Versailles sur les 8 heures. Un nommé de Lermoi, marchand mer

cier, papetier de Versailles, à qui il était dû une somme de 650 fr. pour la fourniture de l'année 1770, et une autre somme de 750 fr. pour celle de 1771, avait eu le bonheur de recevoir de lui dans la matinée du même jour, le montant de l'année 1770, et il ne lui avait point dissimulé qu'il avait beaucoup de chagrin. Ce n'était pas la seule personne qui eût reçu, car on prétendait que depuis la mort du duc, il avait payé plus de 20.000 livres. Une première ordonnance de la Prévôté de l'hôtel, signifiée au sieur abbé Lecomte, chargé des convois sur la paroisse St-Louis, avait enjoint de l'inhumer dans le lieu des enfants morts-nés Par une espèce de conflit de juridiction, une autre ordonnance du bailliage avait statué qu'il serait fait une fosse dans le petit bois, hors de la porte de Satory, dans laquelle serait jeté son cadavre et cette fosse avait même été ouverte ; mais, à la sollicitation de M. le Duc de St-Mégrin, ces deux ordonnances demeurèrent, pour ainsi dire, sans exécution, et l'on se borna à faire porter nuitamment son corps par quatre bedeaux accompagnés d'un huissier dans une fosse qui avait été creusée derrière la porte du cimetière de la paroisse de St-Louis, en lui refusant toute prière et toute cérémonie ecclésiastique. On disait que ce suicide avait fait dans tout Versailles la plus grande sensation.

12 février. Ce jour, le sieur Billiard, ci-devant caissier de la ferme générale des Postes, qui avait été transféré des prisons du château de la Bastille en celles de la Conciergerie du Palais, après avoir subi en la Grand Chambre du nouveau Parlement assemblée, l'interrogatoire qui précède toujours le jugement définitif de tout procès criminel, est condamné seulement à être exposé au carcan en place de Grève pendant deux heures, ayant écriteau devant et derrière portant ces mots : caissier prévaricateur dans ses fonctions et ensuite à être banni à perpétuité hors du royaume. Cet arrêt, que bien des gens trouvaient un peu trop mitigé, avait passé à la pluralité de quinze voix contre treize qui avaient été pour qu'il fût condamné à tout, hors la mort, c'est-à-dire au carcan pendant trois jours consécutifs, deux heures chaque jour en différentes places, au fouet, à la marque et aux galères perpétuelles. Il y avait eu huit voix pour la corde. Il est reconduit le même jour des prisons de la Conciergeric dans celles du château de la Bastille. On disait que sa famille, et entre autres personnes, le sieur Billiard-Dumonceau, payeur

des rentes honoraires de l'Hôtel de Ville, son oncle, et parrain de Mme la comtesse du Barry, se donnait de grands mouvements pour obtenir par le crédit de cette dame auprès du Roi un sursis indéfini qui pût arrêter même la signature de l'arrêt, se flattant sans doute de pouvoir parvenir ensuite à faire commuer la peine prononcée en une prison perpétuelle.

15 février. Ce jour, les grands prieurs et chanoines réguliers de l'abbaye royale de St-Victor font célébrer la messe annuelle et solennelle fondée en 1764 pour la conservation du Roi et de la famille royale (S. M. entrait le même jour dans la 63o année de son âge). Le coadjuteur de l'archevêché de Reims (AlexandreAnge de Talleyrand-Périgord), officie pontificalement à cette messe. Les personnes distinguées qui y assistaient étaient : 1o Pour le clergé, le nouveau cardinal de La Roche-Aymon, archevêque duc de Reims, grand aumônier de France, et pourvu de la feuille des bénéfices depuis la disgrâce de l'évêque d'Orléans; le cardinal de Rochechouart, évêque duc de Laon; l'archevêque de Bourges (Phélipeaux); celui d'Aix (de Boisgelin); l'évêque de Lescar (de Noé); huit autres prélats, tant archevêques qu'évêques, dont il ne m'est pas possible de savoir les noms, et l'archevêque de Lyon, primat de France, titulaire de l'abbaye, qui se trouvait pour lors à Paris, à sa place d'abbé ; le doyen du Chapitre de l'église de Paris, l'abbé Tudert, accompagné de l'abbé Guillot de Montjoye, chanoine; quelques députés de différents ordres religieux, etc.....

2o Pour les Pairs, le nouveau gouverneur de Paris (le maréchal duc de Brissac) accompagné de son plus brillant cortège, placé au milieu du choeur dans un fauteuil, devant un prie-Dieu couvert d'un tapis de velours cramoisi garni de galons et de franges d'or, en habit de cérémonie, ses gardes étant rangés en deux haies à droite et à gauche. D'ailleurs, un seul cordon bleu (le prince de Tingry), l'un des quatre capitaines des gardes du corps du Roi. 3o Un sieur Bollioud de St-Julien, caissier du clergé. 4o Une seule dame de qualité, l'épouse du prince des Tingry. Le primat qui était arrivé de Lyon dans son abbatiale au commencement du mois de décembre 1771, ne juge pas à propos de faire aucune invitation pour ce jour-là et loin de traiter personne à dîner chez lui, comme il avait fait l'année précédente, il va lui-même dîner en ville, étant très mécontent de la conduite qu'avaient tenue les grands prieurs et religieux

« PreviousContinue »