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grande agitation, allant et venant du Parc Civil à l'escalier et s'entretenant avec les officiers de la compagnie de robe courte, à l'un desquels on l'entend dire tout bas dans l'oreille au moment que la protestation faite par le lieutenant civil avait donné lieu aux applaudissement du public, d'un air furieux et courroucé: Je saurai bien empêcher tous ces battemens de mains-là. Il avait une croix de St-Louis cachée sous sa redingote et l'on eut lieu de présumer par les informations qui furent faites que ce pouvait être le chevalier de Maupeou, proche parent du chancelier. Les juges de la juridiction consulaire qui ont toujours coutume de se rendre, quand ils y sont obligés, dans une des boutiques du Pont-au-Change où ils y prennent leurs robes et se joignent au Parlement à son passage pour assister avec lui à la séance, ne s'y trouvent pas, ayant eu l'adresse d'éviter la notification des ordres du Roi, parce que le Grand Juge (le Sr Lebreton), ancien syndic de la communauté des libraires et imprimeurs, qui avait prévu le cas, était parti pour la campagne quelques jours avant, et les quatre consuls qui n'avaient pas jugé à propos d'enfreindre l'ancien usage de cette juridiction qui est qu'aucun paquet ou lettre-close ne peut être ouvert et décacheté que par le Grand Juge, ayant convoqué une assemblée des anciens qui approuve leur résolution et déclare que le paquet ne pouvait être ouvert que le mercredi, jour du retour du Grand Juge; ce qui les met dans le cas de prétendre cause d'ignorance des ordres du Roi et, par conséquent, de ne pas y obtempérer. La séance finie, les Gens du conseil, après s'être vus exposés à des huées et à des sifflements qui annonçaient le mécontentement général, se retirent comme ils étaient venus, ayant un air morne et confus. Eux retirés, les officiers du Châtelet qui étaient demeurés assemblés à la chambre du Conseil pour y entendre le récit que devait leur faire le lieutenant civil de la manière dont les choses se seraient passées, prennent l'arrêté suivant :

« Arrêté qu'il sera fait registre du récit fait par M. le Lieutenant civil, et que la compagnie, persistant dans ses arrêtés du jour d'hier et d'aujourd'hui avant les services ordinaires, proteste de nouveau contre tout ce qui a été fait et ce qui vient de se passer à l'audience du Parc Civil de la part de Messieurs du Conseil, sauf à la compagnie à délibérer plus amplement sur le tout, au premier jour ».

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26 mars. - [Le Premier Président de la Cour des Aides mandé par le Roi. Le sieur Dufranc, greffier du Parlement, également mandé.— Annonce de deux ouvrages nouveaux sur les affaires du Parlement. Bruit d'une réponse du Roi au Mémoire des princes et d'une réplique des princes à cette réponse. Remontrances du Parlement de Rouen sur les affaires du Parlement de Paris.]

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27 mars. A 11 heures du soir, le nommé de Veugny, ci-devant avocat au Parlement, qu'on disait âgé de 74 ans, homme vif, frondeur de caractère et trop libre dans ses discours sur le gouvernement, est arrêté par deux exempts et un commissaire qui fait l'examen de ses papiers; deux escouades de guet gardaient les avenues de la maison à lui appartenant et dans laquelle il demeurait rue Copeau, faubourg St-Marcel, paroisse St-Etienne-du-Mont. Le bruit public était qu'on l'avait conduit au château de Bicêtre. Quelques personnes assuraient même qu'il avait été enfermé dans les cabanons, lieux destinés aux plus grands criminels, ce qui paraissait aussi cruel que contraire à la liberté de tout citoyen domicilié. On débitait que c'était pour avoir parlé la veille indiscrètement au Châtelet, lors de la séance des gens du Conseil représentant le Parlement. On lui attribuait aussi un propos très inconsidéré tenu dans le jardin du Luxembourg, où il s'entretenait, en se promenant avec quelques amis, de l'exil et de la disgrâce de l'évêque d'Orléans ; il s'était échappé au point de s'exprimer en ces termes: « Le Roi aimait l'évêque d'Orléans, mais ce prélat s'est rendu désagréable au Chancelier qui a demandé qu'il fut écarté et le benêt [parlant de son souverain], qui n'a pas la force de lui résister, y a consenti ». On assurait que depuis la malheureuse affaire de l'exil du Parlement, il avait déjà été averti une fois, de la part de M. le lieutenant de police, d'être plus circonspect.

Ce jour, il me tombe entre les mains une de ces pièces qni caractérisent si bien le génie de la nation française qui pousse la frivolité jusqu'au point de s'amuser à de ridicules plaisanteries dans les circonstances les plus désastreuses. Ce qui avait donné lieu à cette pièce, c'était le bruit qui avait couru vers le milieu du mois de mars que le chancelier s'occupait d'un édit portant suppression de la Cour des Aides.

REMONTRANCES DE Mmes LES PRÉSIDENTES ET CONSEILLÈRES
AU PARLEMENT DE PARIS EXILÉ [Du 15 MARS 1771]

Sire, dans le désastre où la France est réduite,
Il est temps de vous rendre à ses gémissements ;
Seriez-vous inflexible aux cris de vos enfants,
Quand l'amour le plus tendre a réglé leur conduite ?
De leurs cœurs alarmés les vœux vous sont offerts;
Ils réclament leurs droits et respectent les vôtres ;
Languiront-ils encor dans le fond des déserts ?
Vous voyez à vos pieds leurs femmes éplorées
Par leurs ennuis secrets nuit et jour dévorées,
Des Ministres des lois implorer le retour ;
Devez-vous traverser un légitime amour?

O! vous, dont le grand cœur fut aux plaisirs sensible,
Daignez nous protéger dans ce moment terrible;
Un pouvoir étranger nous ôtant nos époux,

Vous devez nous les rendre, ou les remplacer tous ;
Mais si contre nos maux il n'est point de remèdes,
Pour nous faire oublier la rigueur de vos coups,
Sire, laissez-nous donc au moins la Cour des Aides.

1er avril.

4 avril.

[Nouvelles de Toulouse.]

[Bruits d'un lit de justice que le Roi devait, disait-on venir tenir à Paris. Annonce de deux nouveaux écrits relatifs aux circonstances.]

5 avril.

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Ce jour, on fait courir le bruit que les princes du sang se donnaient plus de mouvements que jamais pour faire parvenir au Roi la vérité ; ils s'étaient tous éloignés de la Cour sous différents prétextes le jour de Pâques et les deux fêtes suivantes et l'on en était assuré par ce qui se lisait dans la Gazette de France, ce même jour, à l'article de Versailles et qui ne s'y était pas vu depuis longtemps à pareille solennité : le Roi a assisté à l'office et au sermon, accompagné de la famille royale et du duc de Bourbon, seul fils du prince de Condé, âgé seulement de 15 ans.

6 avril.

7 avril.

[Mémoire justificatif en faveur du duc d'Aiguillon.]

[Bruits concernant un nouveau Mémoire qu'on prétendait avoir été remis au Roi de la part des princes du sang.]

8 avril. Ce jour, vers la fin de l'après-midi, le Chancelier revenant de Versailles et traversant le Cours la Reine, y est ¡nsulté, suivant les uns, par les écoliers et, selon d'autres, par la populace qui clabauda près lui. L'adresse et l'activité de son

postillon qui pique des deux, le tirent aisément d'inquiétude et d'embarras. On assurait qu'on lui avait même jeté quelques pierres.

8 avril. [Ordres donnés au Procureur du Roi par les officiers du Châtelet.- Lettres de cachet adressées aux Présidents et Conseillers de la Cour des Aides et suppression d'icelle faite par le maréchal de Richelieu.]

10 avril.

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[Mercuriales des gens du Conseil tenant le Parlement.Nouvelles concernant le Parlement de Rouen.]

11 avril. [Ordres du Roi notifiés à tous les membres du Grand-Conseil de se rendre à Versailles pour le lendemain.]

12 avril. Les princes du sang font signifier au greffe du Parlement, par un huissier de la chaîne, parlant au sieur Isabeau de Monval, l'un des quatre premiers principaux commis de la Grand'Chambre, la protestation la plus étendue et motivée dans les termes les plus forts contre tout ce qui pouvait être fait le lendemain au lit de justice qui devait se tenir à Versailles. Ces protestations sont enregistrées, quoique le Chancelier eût eu la précaution de mander le même jour à Versailles les sieurs Dufranc et Isabeau pour leur défendre de les recevoir, et elles sont portées le lendemain matin au Roi, avant le lit de justice, par M. le Cte de Pont, premier écuyer de M. le duc d'Orléans.

On lit dans la Gazette de France, à l'article de Versailles, que le mercredi précédent le Roi avait chargé l'archevêque duc de Reims (de La Roche Aymon) âgé de 74 ans, de la feuille des bénéfices dont était pourvu avant lui l'évêque d'Orléans, disgrâcié et exilé depuis peu. (On assurait que ce prélat avait hautement demandé ce ministère, comme une récompense qui était due à ses services, en quoi il s'en fallait de beaucoup que tout le monde pensât de lui ce qu'il en pensait lui-même) et que M. Bourgeois de Boynes fait conseiller d'Etat en 1761, lorsqu'il avait été obligé de renoncer à l'intendance et à la première présidence du Parlement de Franche-Comté pour des raisons trop bien connues, était nommé par le Roi secrétaire d'Etat au département de la marine, qu'avait ci-devant le duc de Praslin, exilé et disgrâcié le 24 décembre 1770; d'où il résultait qu'insensiblement tout le ministère se composait au gré de M. le Chancelier et devenait par conséquent très propre à seconder et à remplir ses vues destructives de l'ancienne constitution du gouvernement français.

On apprend que 3 libraires ou imprimeurs de la ville de Rouen, parmi lesquels on nommait les sieurs Besongne et Leboucher, y avaient été arrêtés par des émissaires venus exprès de Paris, sans qu'on pût savoir quel était le lieu qui avait été choisi pour les renfermer et qu'un quatrième était en fuite, le tout pour avoir imprimé ou distribué les différents arrêts et arrêtés, les deux lettres et notamment les remontrances émanées du Parlement de cette ville le 19 mars.

A 11 heures du matin est inhumé dans la cave étant à main gauche du bas-côté de l'église de St-Nicolas-du-Chardonnet, sa paroisse et la mienne, M. Jean-Baptiste Thurant, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, dont la mort arrivée la veille, en sa maison rue des Fossés-St-Bernard, avait été plus prompte qu'imprévue (sa maladie qui était une fièvre ma-ligne l'avait emporté en 3 jours). Ce personnage vénérable et qu'on appelait le Hamon du 18e siècle, par allusion au médecin de ce nom, auteur de plusieurs ouvrages de piété, l'un des fameux solitaires de Port-Royal, décédé dans le 17o, avait passé toute sa vie dans la plus profonde retraite, partageant son temps entre la prière et le soin des pauvres, auxquels il distribuait journellement la plus grande partie de son bien. Il répandait dans leur sein généralement tout ce qui lui restait chaque mois après avoir mis à part ce qui lui était nécessaire pour vivre le mois suivant, et comment vivait-il? Sa nourriture n'était autre chose que des légumes cuits à l'eau; depuis 12 ans il ne s'était pas couché, et l'on fût obligé de le mettre malade dans le lit de sa domestique, parce qu'il n'y en avait point dans sa chambre. Tout son extérieur annonçait l'humilité la plus profonde et le recueillement le plus parfait ; il édifiait par ses discours comme par ses exemples, assidu, autant que le devoir de son état pouvait le lui permettre, aux offices de sa paroisse, il approchait de temps en temps de la table sainte pour y manger le pain des forts, gardant un juste milieu entre l'usage trop fréquent ou trop rare de cette nourriture céleste. Enfin, sa vie sainte et pénitente, quoique couronnée par une mort qui ne pouvait qu'être précieuse aux yeux de Dieu, excita les regrets de tous ceux qui le connaissaient, mais surtout des pauvres dont il s'était toujours montré le frère et l'ami le plus tendre. Cependant on l'estimait doublement heureux, et d'avoir tant de bonnes œuvres à présenter à son juge, et d'être rappelé dans sa véritable patrie, au moment précis où celle qu'il habi

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