Page images
PDF
EPUB

7 décembre. Ce jour, le Parlement s'étant assemblé au Palais à 6 heures du matin en part à 7 heures pour se rendre au château de Versailles et y assister au lit de justice indiqué la veille. Arrivé à Versailles dans la salle des gardes du corps disposée exprès, Messieurs ayant pris leurs places ont fait les députations ordinaires pour aller, suivant l'usage, au devant du Chancelier et ensuite au devant du Roi qui y est entré accompagné de M. le Dauphin, de M. le Cte de Provence et de M. le Cte d'Artois, du duc d'Orléans, du duc de Chartres, du prince de Condé, du duc de Bourbon, du Cte de Clermont, du prince de Conty, du Cte de la Marche, princes du sang. La séance se trouvant composée de la manière qui suit, savoir: 10 un seul pair ecclésiastique, l'évêque comte de Noyon; 2o 3 maréchaux de France; 3° 26 pairs laïques, parmi lesquels on remarqua le duc d'Aiguillon, qui n'avait pas encore pris séance depuis l'arrêt du Parlement rendu contre lui, et l'archevêque de Paris; 4o 7 présidents à mortier; 5o 5 présidents des enquêtes et requêtes; 6o 21 conseillers de la Grand'Chambre; 7° 12 conseillers d'Etat; 8° 6 maîtres des requêtes; 9o 5 chevaliers de l'ordre, 3 gouverneurs des provinces, 8 licutenants généraux des provinces; 10o 65 conseillers des enquêtes et requêtes.

A peu près vers le même temps et à la même époque, il me tombe entre les mains 2 petites pièces satyriques, production ordinaires de l'imagination des Parisiens qui, heureusement, ne savent plus employer pour se venger ou satisfaire leur mécontentement que les seules armes de l'esprit. L'une de ces pièces est l'épitaphe de M. Phélipcaux de St-Florentin, oncle du duc d'Aiguillon, devenu depuis peu duc de la Vrillière, avant sa mort; et l'autre contre M. le duc d'Aiguillon et l'avocat Linguet son défenseur. On parlait aussi beaucoup des galons d'une nouvelle fabrique, faux et qui ne rougissaient pas. Il plaisait au public d'appeler ces galons, galons à la Chancelière, par allusion au caractère vrai ou supposé du Chancelier dont Dieu seul devait être le juge.

Epitaphe de M. Phélipeaux de Saint-Florentin, duc de la Vrillière, ministre et secrétaire d'Etat, faite de son vivant.

Ci-git, MALGRÉ SON RANG; UN HOMME TRÈS COMMUN,
AYANT PORTÉ TROIS NOMS ET N'EN LAISSANT Aucun.

(Il n'avait que des enfants naturels et point de légitimes).

Vers contre M. le duc d'Aiguillon, pair de France, et Mc Linguet avocat au Parlement, auteur de son Mémoire.

Lorsqu'aux abois, le pacha d'Aiguillon
Eut de Linguet découvert le repaire,

Il l'y surprit travaillant au factum
Qu'il a produit en faveur de Tibère.
Hors ça, l'ami, dit le tyran breton,
Tu sais mon cas, fais mon apologie.
- C'est, reprit l'autre, arriver à propos,
Vous me voyez en haleine et dispos ;
Je pelottais en attendant partie ».

Le même jour, le Parlement qui était arrivé de Versailles sur les 2 heures après midi, se rassemble au Palais vers les 7 heures du soir et, sur ce que, dans cette séance, il s'ouvre différents avis, entre autres celui de cesser absolument tout service, quelques-uns des magistrats jugent à propos de représenter à la Compagnie qu'il paraissait plus avantageux de remettre l'assemblée au lundi suivant 10 du même mois, 7 heures du matin, afin d'avoir le temps de se mieux concerter, et cet avis est unanimement adopté.

Le même jour, il éclate 3 banqueroutes considérables dans le corps des marchands drapiers de Paris, savoir de la part des sieurs Laignel, demeurant rue du Petit-Pont, près le petit Châtelet, à l'enseigne du Grand Monarque; Cagniard, demeurant rue St-Denis, près la rue de la Tableterie, et Rollin, demeurant rue des Bourdonnais. Le premier des trois allait être nommé consul au mois de janvier suivant et était désigné pour passer dans quelques années dans l'Echevinage, comme notable bourgeois. On assurait que sa banqueroute, ainsi que celle du sieur Cagniard, montait à la somme de 800.000 livres, et qu'ils étaient entraînés tous trois par le nommé Durant, gros fabricant de drap de la ville de Louviers, qui, de son côté, faisait aussi une banqueroute très considérable.

11 décembre. Ce jour, 8 heures du matin, M. le Premier président ayant rendu compte au Parlement, toutes les Chambres assemblées, de son voyage de la veille, qui n'avait pas eu grand succès, car s'étant rendu à Versailles aussitôt après l'assemblée de la veille pour faire part au Roi de l'arrêté de la Compagnie, sur ce qu'il lui avait été dit, quoique S. M. fût encore à Versailles, qu'elle en était partie pour aller à la chasse et qu'elle coucherait au château de la Muette, il avait jugé à

propos de se transporter le même jour au dit château, ou, après avoir attendu fort longtemps sans pouvoir parvenir à parler au Roi, il s'était enfin adressé à M. le prince de Soubise, pour le prier de vouloir bien avertir S. M. qu'il désirait avoir l'honneur de lui parler; que ce prince étant venu deux différentes fois lui annoncer que le Roi ne voulait point le voir et n'avait rien à lui dire, sur ses instances réitérées et sur les représentations du susdit prince de Soubise, le Roi s'était enfin déterminé à écrire avec son crayon sur une carte (il jouait pour lors au jeu de whist) la réponse suivante : Le Premier président se trouvera mercredi prochain à Versailles à 7 heures du soir, où je lui ferai réponse. J'ordonne à mon Parlement de reprendre ses fonctions, il est arrêté qu'il serait fait registre de la première phrase de la réponse qui avait indiqué au Premier président l'audience pour le lendemain 7 heures du soir, et sur le surplus la délibération continuée au jeudi suivant 9 heures du matin, les Chambres demeurant toujours assemblées, ce qui commençait à faire éprouver à toutes les personnes de pratique l'effet cruel d'une vacance, puisqu'il ne paraissait au Palais aucun procureur, ni aucun avocat en robe, et qu'au Châtelet même les avocats avaient cessé tout service.

-

13 décembre. On désirerait pouvoir effacer jusqu'au sou venir de l'horrible attentat qui suivit l'évènement des démissions du Parlement. Un fanatique insensé de la lie du peuple, laquais de profession, nommé Robert-François Damiens, attenta à la vie du Roi et le blessa d'un coup de couteau au côté droit, entre les côtes, dans la cour du Château de Versailles, sur les 5 heures 3/4 du soir, le 5 janvier 1757, S. M. étant prête à monter en carrosse pour aller souper et coucher à Trianon. Ce scélérat est arrêté sur le champ, jugé le 26 mars par la Grand'Chambre assistée des princes et des pairs, et exécuté le 28 à la satisfaction de toute la nation indignée. Il avoue avoir cu le dessein d'exécuter son crime le jour même du lit de justice, 13 décembre 1756, dans la cour du Palais, et l'on tente les moyens de lui faire inculper plusieurs magistrats du Parlement dans ses déclarations (1). [L'abbé d'Imbercourt, vicaire général du diocèsc d'Orléans trouvé mort dans sa chambre, inhumé à St-Séverin.]

19 décembre.

(1) Ge paragraphe n'est poin', comme on pourrait être tenté de le croire, une interpolation, inais une reminiscence inspirée à l'auteur par la crise que subissait alors le régime parlementaire.

22 décembre.

-

Ce jour on me fait payer au marché le pain de 4 livres 13 sols et demi au lieu de 13 sols, mais on le remet à 13 sols le jour de marché suivant.

Le même jour, il me tombe entre les mains un anagramme assez singulier fait sur les noms de baptême et de famille de M. le Chancelier qui s'appelait René-Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou.

ANAGRAMME.

11. 19. 4.

L

14. 13. 1. 10. 8. 12. 9. 2.
R E N É, N I C O
A S,
5. 6. 7. 27. 28. 23. 35. 33. 3. 32. 18. 21. 34. 20. 21.
CH A R L E S,
A U G U S T I N,
15. 16. 17. 24.
29. 25. 26.
M A U P

30. 31.

D

E

E

O U.

Nous chancelier mauvais, né pour le dégât.

[ocr errors]

24 décembre. Ce jour, vers la fin de la matinée, M. le duc de La Vrillière, secrétaire d'Etat, ayant le département de Paris, se transporte chez le duc de Choiseul, ministre et secrétaire d'Etat, ayant le département de la guerre, et celui des affaires étrangères, il lui demande de la part du Roi la démission de ces places et de la surintendance des postes et lui notific des ordres de S. M. de se retirer à sa terre de Chanteloup dans 24 heures. Il va ensuite chez le duc de Praslin, ministre et secrétaire d'Etat au département de la marine, lui demande également la démission de ses places et lui notifie des ordres de se retirer à sa terre de Praslin, dont l'exécution est suspendue à quelques jours, attendu sa mauvaise santé. Le duc de Choiseul se rend le même jour de Versailles à Paris pour se disposer à son départ. Il quitte son hôtel de la rue de Richelieu le lendemain à midi moins 5 minutes, pour se rendre à sa terre de Chanteloup, autrement dit Amboise, dans la Touraine, environ à 47 lieues de Paris. Ce seigneur qui avait été appelé au ministère des affaires étrangères en 1759, lors de la disgrâce du cardinal de Bernis qui en était chargé, s'était acquitté depuis ce temps de tout ce qui y avait rapport de manière à lui concilier l'estime et la considération de toutes les Cours. Deux préposés de la police ne quittèrent la porte de son hôtel que lorsqu'ils eurent été témoins que son départ s'exécutait dans les 24 heures. Il est visité pendant ce temps par un très grand nombre de per

sonnes de la première distinction, qui se font inscrire chez lui, attendu qu'il ne recevait personne. Les ambassadeurs des Cours étrangères parurent touchés de sa disgrâce à laquelle Mme la Dauphine témoigna aussi de son côté être fort sensible. On disait de lui que, comme beaucoup d'autres, il avait eu des ennemis étant en place, mais que comme nul autre déplacé, il avait eu des amis. Le prince de Conti qui ne l'aimait pas, à ce qu'on assurait, le regardait comme l'homme le plus haut, le plus ingénieux et le plus nécessaire à la Cour. Il donne ordre avant de partir que l'on vende tous ses équipages, ce qui commence à s'exécuter dès le samedi suivant; un grand nombre de seigneurs et de gentilshommes s'empressent de se trouver sur la route de son exil pour le saluer, ce qui faisait dire à bien des gens que sa retraite était glorieuse, tandis que d'autres cherchaient à le noircir en lui imputant les malversations les plus répréhensibles. Les personnes les plus raisonnables se contentaient de dire que ses successeurs dans les différentes parties du ministère dont il avait été chargé, deviendraient ses apologistes ou ses accusateurs. Ces deux exils font une grande sensation, à la Cour comme à la Ville, et chacun en raisonnait selon qu'il en était affecté ; on les regardait comme l'ouvrage de la Case du Barry, du Chancelier et de sa cabale, on prétendait même que le prince de Condé y avait beaucoup de part. On assurait que le duc de Choiseul avait dit que ce qui le consolait de sa retraite, c'était d'être parvenu auparavant à cimenter la paix entre les Cours de France, d'Espagne et d'Angleterre. Ce qui étonnait beaucoup tout le monde, c'était de voir, contre les règles ordinaires, disgrâcier deux ministres sans qu'on cût prévu auparavant qui serait en état de les remplacer.

26 décembre.

[Placard levé par un commissaire rue de Bièvre.]

31 décembre. Ce jour, les chambres du Parlement s'étant assemblées, conformément à l'arrêté du samedi précédent, et n'ayant reçu aucune réponse de la Cour, arrêtent de demeurer toujours dans le même état, et s'ajournent au vendredi suivant 4 janvier 1771. Il court un bruit que l'on négociait un arrangement et que le Roi suspendrait purement et simplement l'exécution de son édit.

Le même jour, on apprend que MM. de Loyac et Lanoué, conseillers du parlement de Bretagne, qui avaient été arrêtés à Compiègne au mois d'août précédent et enfermés au château de Vin

« PreviousContinue »