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Thurot, dont le nom fera immortel dans les faftes de la marine françoife, étoit fils d'un maître de pofte de Nuits en Bourgogne. Il commença par étudier en chirurgie, pour obéir à fon pere. Une aventure affez finguliere le fit renoncer à cet état, pour lequel il n'avoit d'ailleurs aucun goûr. Sa mere fe trouvoit, depuis la mort de fon mari, dans la plus grande détreffe. Le jeune Thurot égaré par l'amour filial, qui lui fait oublier qu'il y a d'autres devoirs dont rien ne peut dispenser, vole des couverts d'argent chez une de fes tan. tes, pour fecourir fa mere. C'étoit un délit mais, graces au motif, heureusement ce n'étoit pas une baffeffe. A peine eut il commis la faute qu'il ouvrit les yeux fur lui même, & fut défefpéré de ce qu'il avoit fait. Il part précipitamment avec deux chemifes & 24 livres; vole à Calais, & s'embarque, en qualité de chirurgien, fur un corfaire de Dunkerque, qu'on venoit d'armer en courfe. Nous étions alors en guerre avec les Anglois; le corfaire eft pris, & Thurot conduit prifonnier à Douvres, au mois d'août 1744. Tels furent fes commencemens ; ils n'étoient pas très-encourageans, & ne lui furent pourtant pas inutiles. Il employa le tems de fa captivité à étudier la langue angloife, & à prendre fur ce pays des renfeignemens dont il profita dans la fuite. Cette même année le maréchal de Belle-Ifle & le comte fon frere, arrêtés à Caffel, contre le droit des gens, furent menés prifonniers en Angleterre, & bientôt après relâchés avec quelques autres François, fur un cartel d'échange. Thurot fit ce qu'il put pour être de ce nombre ;

mais n'ayant pu y parvenir, il prend un parti' qui annonçoit déjà un caractere d'une trempe peu commune. Au moment du départ du maréchal, il s'échappe de fa prifon, où il n'étoit pas bien févérement gardé. » Errant pendant tout le jour, il attend le moment de la nuit > pour se rendre au port. Là, ne prenant con > feil que de fon courage, il fe précipite dans une' > chaloupe qu'il apperçoit à l'écart, s'en empa>re, la détache, fe fait une voile de fa che> mife, qu'il fixe à une petite traverse, & fe > livre en cet état, feul, à l'inconftance des » vents & à la fureur des flots. Il vogue, il rame avec tant de vigueur & de vivacité, qu'il fe trouve fort éloigné des côtes de l'Angleterre, lorfque le jour paroît. La fatigue l'accabloit; mais la préfence d'efprit ne l'abandonne pas. » Il dirige vers Calais, & après avoir couru > mille dangers, il entre dans le port de cette ville, quelques heures après le maréchal de > Belle-Ifle. «

Sur le bruit que fit une éyafion fi aventureufe, ce général voulu le voir; il conçut de l'eftime & de l'amitié pour lui, lui recommanda de s'appliquer à l'étude de la marine, & lui promit fa protection. Jufque-là c'eft un procédé fort fimple, mais ce qui eft digne de remarque, & ce qui fait honneur à la mémoire du maréchal, c'eft qu'il lui tint exactement parole, qu'il ne négligea pas un moment les moyens de l'avancer; qu'en un mot, Thurot trouva en lui un protecteur auffi zélé qu'inébranlable, malgré la foule d'ennemis que lui fit bientôt, un mérite qu'on

ne pardonnoit pas volontiers à un homme qui n'avoit aucune autre recommandation. La meilleure que puiffe avoir Thurot auprès de la poftérité, c'est cette haine jaloufe qui ne tarda pas à fe déclarer contre lui, & qui employa fes armes ordinaires, l'intrigue & la calomnie, dont il fut bien vengé par l'eftime générale de ses concitoyens, & encore mieux par le témoignage même des Anglois nos ennemis.

Thurot débuta dans fon métier comme un homme qui veut le bien favoir. Il fut fucceffivement, mouffe, matelot, pilote, & enfin capitaine de navire, fe montrant toujours au-deffus de fon grade, dès qu'il l'avoit obtenu. En deux campagnes, il s'étoit déja fait connoître affez pour mériter la confiance des armateurs. Il étoit de la plus rare intrépidité, & joignoit à la plus parfaite intelligence dans la conduite d'un vaiffeau le fang froid le plus imperturbable dans les dangers de la mer & des combats. Avec ces qualités, des prifes fréquentes & des actions tou jours heureuses ou honorables, il étoit déja célebre à la paix de 1748.

Cette paix ne fut pas pour lui un tems de loifir. Ses prifes l'avoient mis en état d'équiper un vaiffeau à fes frais. L'objet de fes courLes continuelles étoit de fe procurer la connoiffance la plus exacte & la plus détaillée des côtes d'Angleterre, & en général de la mer du Nord, connoiffance qui fut depuis le principe de Les fuccès dans ces mers, & dů bonheur qu'il eut d'échapper fi long-tems à une foule de vaiffeaux ennemis qui le pourfuivoient, Au refle, il paya

d'abord un peu cher cette étude qui occupoit fon activité. Les Anglois confifquerent fon vaiffeau, qui portoit chez eux des marchandiles prohibées. Il le réclama en vain; il perdit fon procès, & ce fut l'origine de cette haine impla cable qu'il jura aux Anglois, qui dans la fuite payerent à leur tour, & au centuple, le vaiffeau qu'ils lui avoient confifqué.

A peine la guerre étoit-elle rallumée en 1755, que les armateurs fe difputoient à qui confieroit des bâtimens au brave Thurot. Celui qu'il commanda devint bientôt un des plus redoutables de la marine marchande. Il couloit has, faifoit échouer, brûloit, enlevoit tout ce qu'il rencontroit de navires ennemis. Ainfi, dit très-bien l'hiftorien de fa vie, un feul homme alors vengeoit la France; car Mahon n'étoit pas encore pris.

Le bruit de fes exploits parvint jufqu'à la cour. Le roi voulut l'avoir à fon fervice, & lui fit expédier un brevet d'officier de la marine royale. Le maréchal de Belle-Ifle faifit ce moment pour lui faire donner le commandement de la corvette la Friponne: il alla croifer dans la Manche, & avec plus de moyens, il fit des prifes plus confidérables, & devint l'entretien de la cour & de la ville.

C'eft alors qu'il forma le projet hardi de braler le port & les chantiers de Portsmouth: il le propofa au miniftere; mais, foit qu'on le trouvâc peu praticable, foit que la cour de Londres, comme on l'a prétendu, eût des penfionnaires parmi les commis de bureau, qui, dans notre gouvernement, ont toujours dirigé toutes les

DES JOURNAUX; opérations, fous le nom du miniftre qui ne faifoit que prêter fon nom à leur travail, ce projet fut rejeté. Le protecteur de Thurot le dédommagea de ce dégoût, en lui faifant obtenir le commandement d'une flotille compofée de deux frégates & de deux corvettes. Cet armement fut terriblement maltraité par les vents: Thurot fut réduit plus d'une fois aux dernieres extrémités; &, de l'aveu même des gens de fon équipage, lui feul les fauva toujours, à force de réfolution & d'activité, & fur-tout en mettant lui-même la main à des manoeuvres auffi périlleuses que favantes, que lui feul étoit capable de concevoir & d'exécuter, & fouvent fous le feu des ennemis. C'eft-là qu'il donna plus d'une fois une grande leçon à tous ceux de fon métier, en faifant voir à quoi lui fervoient dans l'occafion ces connoiffances nautiques qu'il ne devoit qu'à une pratique affidue & laborieufe, & qui furent le falut des vaiffeaux qu'il commandoit. On le vit réparer en peu d'heures le délabrement de la frégate le Belle-Ifle, qui, ayant perdu tous fes agrès, paroiffoit fans reffource, & n'attendoit que le moment de périr. C'étoit dans ces crifes terribles que Thurot paroiffoit plus qu'un homme, & favoit faire de tous ceux qui lui obéiffoient autant de héros.

fi

Parvenu enfin à réparer fa petite flotte, long-tems & fi cruellement maltraitée par les élémens & par des ennemis qu'il trouvoit toujours très-fupérieurs en force, il fit des prodiges d'audace qui furent admirés des Anglois. Avec fes quatre bâtimens, il attaqua une flotte de 17 pin

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