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gais, les Speciofa miracula rerum, ne trouvéront leur contre-point que dans le fecond épique d'Homere.

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>> Pour ce qui regarde Camoens Camoens, on y trouve, à la vérité, des fautes groffieres, mais il poffede en même-tems les beautés les plus originales, qui fervent également à prouver de grands talens. Il n'eft pas correct comme Virgile; mais une plume guidée par un jugement troid & mûri par l'âge, n'auroit pas manqué d'effacer les vols d'imagination qui ne laiffent pas de nous ravir de nous furprendre & de nous éblouir. Ce font des infirmités fublimes, qui ne peuvent, à la vérité, foutenir l'inquifition de la critique. Le poëme de Camoens, dit Voltaire, eft une espece de poéfie jufqu'ici inconnue. J'accepte la description, mais non pas au déshonneur de Camoens. Les mœurs de la Lufiade font nouvelles & frappantes; & quant aux images, l'apparition qui jetta l'épouvante parmi la flotte, près du cap de Bonne-Efpérance, eft une fiction fi noble, fi pompeufe, qu'elle feule fuffiroit pour faire adjuger à Camoens la fupériorité de génie au-deffus de Virgile. Ofera-t-on même comparer la defcription des champs-élyfées de Virgile à la defcription de l'ifle de Vénus par Camoens? Lifez la Lufiade dans la traduction de Mickle, & l'Eneïde dans l'original: & fi vous pouvez réuffir à écarter les préjugés claffiques, vous préférerez certainement cet endroit de Mickle, quelque étrange que doive paroître la comparaifon faite d'un poëte moderne avec l'original du chefd'œuvre des anciens poëmes épiques. Une telle

fupériorité doit paroître un phénomene en lit térature mais la Lufiade, peut être, doit beaucoup de fes beautés à la traduction faite par cet auteur élégant. <<

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En admettant ces éloges de Camoens, nous devons au moins avouer qu'il y a lieu de le faire concourir avec Virgile mais nous ne voyons pas ce que nous pourrons oppofer à la Pharfale de Lucain, & à la froide narration de Silius : les modernes ne femblent pas, nous fournir des objets propres à être mis en comparaifon avec ces ouvrages. Peut-être que le Léonidas de Glover n'est pas inférieur au premier; & certainement la Henriade de Voltaire furpaffe le fecond. Le génie & la maniere correcte du Taffe, les extravagances fublimes de l'Ariofte, les defcriptions variées, mais toujours riches, que préfentent les Enchantemens du Nord, écrits par M. Hole, dans un ftyle fi châtié & fi poétique, qu'on les croiroit prefque de Virgile, doivent certainement contre-balancer le feul ouvrage de fuperf tition populaire dont l'antiquité peut fe vanter : nous parlons des métamorphofes d'Ovide, que M. Polwhele femble avoir laiffé dans un de fes étranges oublis, de même que les Argonautiques d'Apollonius, qui néanmoins n'auroient pas manqué d'ajouter confidérablement au contre-poids des anciens, dans la balance du mérite.

Si nous paffons au drame, les Grecs ne nous fourniront que trois excellens auteurs en tragé die: Efchyle, Sophocle & Euripide. Pour les Romains, ils n'ont pas fourni un feul tragique qui mérite d'être cité. Au triumvirat des Grecs, le

docteur Warton oppose Shakespear, Corneille & Racine. Mais Shakespear, ajoute-t-il, eft trop excentrique pour pouvoir le juger par aucune regle dramatique; ceci toutefois ne fait rien à la chose. La feule queftion ici eft de favoir lequel de ces trois écrivains poffédoit le plus de génie la décifion; comme je crois, ne pourra manquer d'être en faveur de notre compatriote, puifque dans les grands traits de nature & de caractere, il furpaffe décidément fon compétiteur Efchyle. » Dans ces points, (dit Warton) il ne le cede nullement aux Grecs. << Et ces points ne conftituent-ils pas la principale excellence du drame ? La vérité eft qu'Elchyle empruntoit beaucoup de fes prédéceffeurs, quoiqu'en plufieurs occafions il pense noblement par lui-mê→ me Shakespear n'empruntoit rien que de fon archetype, la nature. Il faut encore ajouter, qu'autant Shakespear pouffe fa hardieffe à l'extrêmité, autant Efchyle eft incompréhenfible dans fon obfcurité.

Sophocle & Corneille different tant dans leur maniere, qu'il fera toujours impoffible d'en faire une bonne comparaifon, felon les regles d'une jufte critique. En avouant que le premier eft plus régulier dans fes intrigues, on ne difconviendra pas que les caracteres du fecond font beaucoup plus variés. Je doute même fi la piece la plus défectueufe de Corneille, toute ampou lée qu'elle puit être, & dégradée même par la déclamation fentimentale, ne réuffiroit pas mieux à fatisfaire tout lecteur impartial, que ne feroit Edipus tyrannus même. Le tendre Racine

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porte quelque reffemblance avec Euripide,& l'égale même en pathos; mais il le furpaffe ent courtoisie & en douceur. Il y a certainement un grand agrément dans la diction d'Euripide, & c'eft en quoi confifte fon grand mérité.

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Cette critique de M. Polwhele eft bien froide, &, nous fentons combien elle doit engourdir nos lecteurs. Les beautés fieres & prefque furnaturelles d'Efchyle font certainement égalées par notre Shakespear, foit que nous confidérions l'énergie de fes expreffions, ou la nobleffe mâle de fes pensées, & le feu poétique de certains paffages. En réfléchiffant encore fur les avantages d'un plus parfait arrangement des scenes, des pieces plus artiftement difpofées, du théatre perfectionné, d'un drame qui comporte des scenes plus variées, les compofitions de Shakespear paroîtront, dans tous ces points, beaucoup fupé. rieures à celles d'Efchyle. Dans le Terrible, Shakefpear eft le feul des auteurs tragiques Anglois qui puiffe tenir tête à Efchyle, qui femble même feul pofféder le grand fecret d'inspirer la terreur par des pauses bien ménagées, & qui, en fufpendant l'action, la fait preffentir par la réflexion. Les auteurs Allemands poffedent ce même art, & quelques-unes de leurs tragédies ferviroient, s'il étoit néceffaire, à foutenir puiffamment la caufe des modernes contre le héros du genre terrible, parmi les anciens. - Aux pieces de Sophocle, pourquoi n'oppoferions-nous pas la All for love de Dryden; la Mourning Bride de Congreve, & les nombreuses tragédies de Voltaire. Oppofés à Euripide, on verra Rowe,

Orway & Racine, chacun triompher dans fon particulier. Les poéfies lyriques des auteurs tragiques Grecs ont été heureufement imitées par Mafon mais nous n'avons que Gray & Dryden à opposer à Pindare.

Dans ce genre de littérature, nous avons fait choix de différens auteurs, doués d'un génie égal, & poffédant des pouvoirs pareils d'efprit. Nous confeffons que d'un côté il n'eft pas jufte de raffembler de toutes les parties de l'Europe, des antagonistes, pour les oppofer aux poëtes du fehl Archipel grec, on, pour parler plus exactement, à ceux qu'a fournis la feule Attique. Cette allégation feroit, à la vérité, très-forte, fi les auteurs cités étoient les feuls qu'on pût faire entrer en lice; mais la France, l'Allemagne & l'Angleterre pourroient en fournir un grand nom bre d'autres qui fauroient, avec avantage, dif puter la palme aux héros de la littérature grecque.

La comédie ne nous donne aucune occafion de comparer les Grecs avec les mollernes. Nous ne poffédons que celles de Ménandre dans des traductions, & plus fouyent noyées dans les imitations de Térence. A en juger néanmoins par les fragmens qui nous en reflent, il est ailé de voir que les Grecs, en négligeant de varier fuffifamment les mœurs & les images de la vie hu maine, ne manquoient pas de delfiner des reffemblances parfaites, & de tracer les représentations les plus vives & les plus vraies.

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Dans la poéfie: fatyrique, nos auteurs auroient dû fe rappeller que Pope & Boileau s'enflammerent tous les deux a la lecture des ou→

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