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MELANGES.

L'ÉCOLE DE L'AMITIÉ,

CONTE MORA L.

SECONDE

PART I E

Cz ne fut pas, comme vous croyez bien;

fans un faififfement de furprise & de joie, que je vis Alcime introduit & comme inftallé chez ma mere. Il n'y fut pas d'abord aufsi affidu, ni auffi occupé de moi que je l'aurois voulu ; mais bientôt s'établit entre ma mere & lui une liaison plus étroite, & moi-même je fus admife dans cette douce intimité. Peu-à-peu je devins pour lui l'objet d'une attention particuliere; & je m'ap perçus que ma mere vouloit bien, fans inquiétude, nous laiffer caufer tête-à-tête, lorsque d'autres foins l'occupoient.

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Dans notre premier entretien, il me parla; ou pour mieux dire, il me fit parler de mes compagnes; & fur chacune d'elles il voulut favoir mon fentiment, foit, dit-il, en bien, foit en mal; car c'eft ainfi qu'on eft fincere.

En bien, lui dis-je, il m'eft facile de vous en dire ma pensée; mais en mal, ne feroisje pas indifcrete? & me fiéroit-il d'être

mon âge, affez hardie pour juger mes pareilles & pour les cenfurer? Je vous fais bon gré, me dit-il, de cette réserve timide. Mais n'ofez-vous pas quelquefois vous dire en fecret à vous-même ce que vous avez obfervé du caractere de vos amies? Eh bien, en me parlant, croyez que vous ne parlez qu'à vous-mêine: votre fecret fera tout auffi-bien gardé, Rien ne me flattoit plus que cette confiance, fi elle devenoit mutuelle, & je ne demandois pas mieux que d'en faire les premiers frais.

Je parcourus done, avee lui, le cercle des jeunes perfonnes qu'il voyoit chez Mad. d'Olme, & j'effayai de les lui peindre au naturel : dans l'une, la bonté, la complaifance, la candeur mais la molleffe & lindolence; dans l'autre, la vivacité de l'efprit & du caractere, mais des ca prices, de l'humeur, un air trop résolu, un ton trop décidé, & quelquefois dans fes faillies un peu d'étourderie & de légéreté; dans celle-ci, de la fageffe, mais de la diffimulation, une volonté froide qui ne cédoit jamais, & une estime d'elle-même qui quelquefois alloit pour nous juf qu'au dédain, dans celle-là, un cœur délicat & fenfible, ouvert à l'amitié, plein de chaleur & de franchife, mais jaloux, inquiet & facile à bleffer; enfin, dans toutes, un mélange de qua lités que la nature fembloit avoir associées comme l'ombre avec la lumiere, afin qu'il n'y eût rien de parfait.

Et favez-vous d'où vient ce mélange qui vous étonne? C'eft, me dit-il, qu'en nons le prin+ cipe & le germe du bien & du mal font les

mêmes.

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mêmes. Rien qui s'allie plus naturellement que la bonté & la foibleffe, que la candeur & l'imprudence, que l'envie & l'émulation. Dans une ame fenfible, tout peut être excellent, tout peur devenir déteftable ; & felon la culture, les mêmes qualités tantôt dégénerent en vices, tantôt fleuriffent en vertus. C'eft cette affinité des vertus & des vices, qui, dans l'étude de nousmêmes, doit fans ceffe nous alarmer. Ce font les paffions analogues à notre caractere, &, pour ainfi dire, voifines de notre cœur qui font pour nous à craindre; & l'inquiete vigilance du Hollandois qui travaille à fes digues, eft un apologue pour nous. Combien même eft fouvent fragile & mince la digue qui protége l'innocence & l'honnêteté! Combien peu il s'en eft fallu quel. quefois qu'un homme de bien n'ait été méchant & coupable; ou qu'une femme, que l'eftime & la vénération publique environnent dans fa vieilleffe, n'ait été livrée au mépris! Ah! défiezvous, croyez-moi, des plus beaux dons de la nature; & à côté des qualités aimables dont elle vous aura douée, regardez bien à celles qui les touchent de près : ce font des ferpens fous des fleurs.

Oui, j'y regarderai, lui dis-je; & j'efpere bien que ma mere, & mes amis, fi je puis en avoir de fages, y regarderont avec moi.

Ici ma mere interrompit le tête-à-tête; & moi, recueillie en moi-même, je commençai mon exa¬ men. Plus je m'étudiai, plus j'appris à me craindre. Ah! difois-je, il a bien raifon, le naturel le plus heureux a fes écueils. La route du deTome ler,

I

voir eft un fentier étroit, gliffant, bordé de précipices, où l'on ne doit marcher à mon âge qu'à pas tremblans. Dès-lors je fus en défiance & des louanges qu'on me donnoit, & de l'opinion que j'avois de moi-même, me gardant de mon amour-propre, comme d'un flatteur dangereux; & ma mere, qui s'apperçut de l'air férieux & réfléchi que j'avois avec mes compagues, y reconnut le fruit de cette premiere leçon.

La feconde roula fur un objet moins férieux. Si vous n'aviez, lui demandai-je, qu'un confeil à donner à une perfonne de mon âge, que lui recommanderiez vous? De favoir s'occuper, me dit-il car l'oifiveté & l'ennui de foi-même eft de tous les périls le plus redoutable pour elle. Il eft un tems, lui dis-je, où une femme eft affez occupée de fes devoirs, pour n'avoir pas à craindre d'être oifive tous fes momens font bien remplis. Mais pour moi, par exemple, pour celles de mon âge, il eft des heures qui feroient vides, fi on ne les employoit pas à fe donner quelques talens; & j'ai cru remarquer que ces talens frivoles n'avoient pas votre eftime. Vous n'aimez pas la danfe, vous faites peu de cas du

chant.

J'aime la danfe, me dit-il, mais au village & fous l'ormeau; c'est - là qu'elle eft l'expreffion d'une gaîté fimple & naïve. Je l'aime auffi fur un théatre où elle varie avec art les mouvemens, les attitudes, les caracteres de la beauté : c'est une peinture vivante, c'est une fculpture animée le gladiateur, le faune an tique, ne me font pas plus de plaifir que les

Veftris; je crois voir dans Guimard la Galathée de la fable, & la Diane dans Heinel. Mais au bal, & dans les perfonnes de votre état & de votre âge, la danse me femble aujourd'hui trop artificielle & trop étudiée; elle ne diffimule pas affez les leçons qu'elle a prifes: fon élégance la dépare, fa régularité gâte le caractere d'ingénuité, de candeur qu'on aime à vous attribuer ; & lorfqu'une fille bien née est parvenue à si bien danfer, elle fait dire d'elle qu'elle danfe trop bien. J'aimerois qu'on danfât pour fon amufement, fans penfer que l'on eût ni des témoins ni des rivales. Je veux bien cependant que l'art fe mêle un peu de régler les pas, le maintien, les mouvemens de fon éleve, mais jamais audelà des fimples bienféances; car l'épithete la plus jufte qu'on ait donnée aux graces eft celle de Décentes; & tout ce qui rappelle les Nymphes, plutôt que les Graces, ne me semble pas digne de votre émulation. D'ailleurs la danfe n'a qu'un tems très-fugitif: vous ne danferez plus dès que vous ferez mere; & les agrémens que j'eftime font ceux qu'on peut encore avoir en vieillissant.

Dès ce moment, vous pensez bien que je me propofai de négliger la danfe.

Et le chant, lui demandai - je avec un peu d'émotion? Le chant, dit-il, eft donné par la nature à l'homme, comme à l'oiseau, pour réjouir les ennuis de fa folitude, & plus encore pour adoucir & pour égayer fes travaux : auffi ai-je un plaifir fenfible à entendre le laboureur chanter en creufant fon fillon, ou le pafteur en

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