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ET

PROJET DE DECRET

SUR LES CLASSES,

MESSIEURS,

Le régime des classes nous semble devoir être conservé tel qu'il est prescrit par l'Ordonnance du 31 Octobre 1784 ; et voici les motifs de notre avis: Nous supplions l'Assemblée Nationale de les méditer avec attention et de les peser rigoureusement dans sa sagesse, puisqu'il s'agit d'un point important d'où peut dépendre le sort de nos armées na

vales. Ce sont des Marins qui les présentent; des Marins qui prennent l'intérêt le plus vif à cet état, et qui ne s'élèvent qu'avec regret contre l'opinion de la majorité du Comité de la Marine, dont ils font eux-mêmes partie.

1o. Il faut convenir qu'embarquer sur un vaisseau de guerre, sera toujours une corvée pour le Matelot, quand même on y doubleroit sa paye; c'est que l'on se bat sur un vaisseau de guerre et que l'on prévoit la possibilité d'y être estropié ou de laisser une veuve et des orphelins; c'est que le Matelot s'y trouve dans un degré de subordination - et de dépendance qu'il ne connoît pas sur le bâtiment de commerce; c'est qu'enfin il y est privé de son coffre, de ses aisances, qui lui rendroient les fatigues de la navigation plus supportables.

Il ne faut pas croire cependant que cet éloignement pour les vaisseaux de guerre soit général et absolu; les Matelots de Brest, par exemple, les meilleurs peut-être du monde entier, se livrent presque exclusivement, et par goût, au service des vaisseaux du Roi, et ce n'est qu'au défaut de ces armemens qu'ils vont chercher quelquefois des embarquemens dans les ports de Commerce.

2o. Il est trois manières de se procurer des Matelots: l'une, en les engageant comme les Soldats. Le Dannemarck, qui a cependant des classes, a un établissement semblable pour les travaux de ses Arsenaux; mais cela ne peut convenir à une grande puissance dont les armemens, dépendans de la situation politique de l'Europe, n'ont jamais rien de fixe ni de déterminé, et cela lui conviendroit moins encore si ses finances étoient obérées. Une autre manière est d'enlever des hommes de

force, lorsqu'on en a besoin, ainsi que cela se fait en Angleterre. Cette manière, que l'on nomme la presse, est certainement la plus violente de toutes: l'on peut prévoir même qu'elle ne réussiroit point en France, parce que cette contrée n'est point une île dont tous les points soient peu distans des côtes, et dont presque tous les habitans connoissent la mer, et mettent leur amourpropre à dominer sur la mer; parce qu'elle exciteroit conséquemment des troubles lors du transport des hommes pressés, et qu'elle ne fourniroit point un nombre suffisant de Marins. Enfin, la troisième manière est celle que nous employons. Louis XIV établit les classes. Les hommes qui habitent les côtes et qui tirent leur subsistance de la mer par la pêche, par la construction des Navires, par la Navigation sur les bâtimens de commerce, etc., sont enregistrés et assujettis à être employés tour-à-tour sur les bâtimens de guerre.

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3. Peu de personnes ont une idée exacte de l'état des classes. Beaucoup les regardent comme vexatoires et iniques, parce qu'ils les jugent sur leur établissement réellement trop sévère dans le principe. Ils ignorent, sans doute, que depuis par l'Ordonnance de 1784, chaque homme classé peut se faire rayer à sa volonté de la matricule, en renonçant toutefois à son état, c'est-à-dire, au bénéfice qu'il retireroit de la mer : seulement on a exigé que l'homme fût encore sujet, un an après sa demande, à la police des classes, et cet assujettissement ne doit être considéré que comme une précaution contre des demandes combinées ou trop contraires aux circonstances. En effet, pendant la guerre, le déclassement ne seroit pas li

bre, et la politique l'interdiroit. Or, qui ne sent combien ce régime est préférable à celui de l'Angleterre, et combien il est plus doux ? Il est de fait que cette Nation si célèbre sur les mers nous envie cet établissement auquel nous devons de primer constamment nos ennemis la première année, d'une guerre, et auquel nous ne pourrions renoncer sans porter un coup funeste à notre Marine.

par

4o. Parmi les adoucissemens que l'Ordonnance de 1784 a apportés au régime des classes, celui de se déclasser à volonté n'est pas le seul important pour les Matelots. Cette même ordonnance (titre 13) a rendu leurs marches, dans les temps de levées, plus faciles et plus salubres, en établissant pour eux, comme pour les Soldats, des ordres de transport, de logement et de réception aux hôpitaux. Elle a dispensé du service tout homme de mer, ayant trois fils classés, et elle a prescrit que ceux des enfans qui auroient été tués au service, ou seroient devenus invalides leurs blessures, seroient à cet égard comptés comme existans (article 10, titre 12). En toute occasion, un père peut se faire remplacer par son fils, quel que soit son grade au service, pourvu toutefois que le fils y consente (article 24, titre 12). Elle autorise même tout homme de mer, avec l'agrément du Chef des classes, à se faire substituer par un autre homme du même Syndicat et de même qualité que lui (art. 23, tit. 12). On a étendu la prévoyance et l'intérêt jusqu'à défendre d'inscrire sur les rôles, à la suite les uns des autres, les gens d'une même famille, pour qu'autant qu'il sera possible, ils soient rarement obligés de marcher tous à la même levée (art. 4,

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