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changer la maxime de l'inaliénabilité qui a été jufqu'à préfent en vigueur.

Nous vous préfenterons enfuite le tableau des propriétés domaniales actuellement difponibles & aliénables.

PEMIÈRE PART I E.

SUR la maxime de l'inaliénabilité des Domaines.

C'EST une vérité générale, fondée fur l'expérience dans l'administration des chofes publiques, que les frais de régie abforbent prefque toujours une grande partie du produit.

L'adminiftration des domaines corporels ou territoriaux doit réunir encore plus de vices & d'inconvéniens que les autres adminiftrations publiques. D'abord on répare peu & à grands frais; enfuite des formes difpendieufes font néceffaires pour conftater, ordonner, vérifier & recevoir les réparations. Quant aux frais, le Roi a cette préférence bien marquée, qu'ils font plus confidérables & plus chers pour lui qu'ils ne le feroient pour des particuliers.

S'agit-il du revenu? tout concourt à l'atténuer.

Les baux à ferme font paffés par des prépofés qui n'ont jamais vu les biens qu'ils afferment, ou qui ne les connoiffent que très-fuperficiellement. Les baux font à terme fixe. Le fermier, qui s'attend bientôt à voir expirer fon bail, ou qui voit fans cela une éviction poffible par don, échange , appanage ou engagement, cultive fans intérêt, n'améliore jamais & détruit prefque toujours.

Tels font, fans doute, les motifs qui ont atténué lè revenu des biens damaniaux corporels, tandis que toutes les autres terres procurent des accroiffemens fucceflifs dans le revenu & dans le prix; les conferver dans cet état d'administration & d'inaliénabilité, ce feroit priver le Tréfor public de toutes les augmentations de valeur dont cette portion de biens eft fufceptible dans la main des particuliers, au moyen des ventes.

Un motif plus puiffant encore eft pris de l'infuffifance évidente des domaines, pour la dépense ordinaire de nos Rois.

Dans l'état actuel, le domaine & les bois doivent produire, au moins, treize millions; & fuppofons-les fufceptibles d'augmentation, ils pourront s'élever à une fomme de deux millions plus forte, ce qui feroit quinze millions il ne feroit donc pas poffible, avec cette fomme, de fournir au Roi le montant de la lifte civile.

Un autre motif auffi fort de faire décréter l'aliénation, eft pris de la néceffité d'enlever aux courtífans les moyens d'ufurper les biens de la Nation ou de tenter la bonté des Monarques.

Les conceffions, les engagemens, les échanges, les déprédations déguifées fous toutes les formes, ont réduit les biens domaniaux à fi peu de chofe; ils ont été fi long-temps l'objet des follicitations, de la faveur & de limportunité, dont le cours n'a été arrêté que par ce qu'il n'a plus refté des domaines, que c'eft rendre un véritable fervice au Monarque, même le plus réfervé dans fes dons, de lui enlever les occafions de furprife, & de le délivrer ainfi des follicitations importunes des Courtifans.

La maxime de l'inaliénabilité étoit bonne,quand les Rois de France vivoient des revenus de leur domaine.Ce principe étoit aufli facré que celui qui dit que l'impôt ne peut être établi fans le confentement de la Nation. Ces deux princi

pes ne font même que des corrélatifs; car fi le domaine a été primitivement confacré à l'entretien de la maifon Royale, la Nation avoit le plus grand intérêt à empêcher qu'il ne fût pas diminué, ponr n'être point obligé d'en acquérir ou d'en former un nouveau, ou d'y fuppléer par des impôts fur les peuples.

Mais cette grande maxime, bonne pour les tems qui la virent naître, a été inutile, lorfque la prodigalité des guerres a confeillé les Monarques. Elle a été illufoire, forfque les Courtifans fe font partagés les dépouilles du trône; elle a été enfin nuifible à la Nation, lorfque les déprédations miniftérielles ont déguifé l'aliénation des domaines, fous le nom d'échanges, de dons, de conceffions, d'engagemens, d'inféodations, &c. &c.

Aujourd'hui que le domaine fe trouve réduit par les conceffions, les échanges & las envahiffemens de tous les genres à un tel état d'exiguité, qu'il fuffiroit à peine à former un appanage, & que l'on fent par-tout la funefte stérilité du principe, que les fonds de la couronne font inaliénables, il feroit abfurde d'appliquer ce principe au domaine d'un Roi qui jouit d'une lifte civile, qui eft payé par des tributs. L'utilité que la Nation retireroit de cette al énation, eft devenue d'ailleurs l'opinion commune & générale.

Ici fe préfente à vos regards la loi de Finaliénabilité des domaines de la Couronne, loi fondée fur la néceffité de les conferver, & qui, par là, femble devoir être regardée comme ayant toujours été une toi fondamen¬ tale du Royaume dont on devoit reconnoître l'autorité, même avant qu'elle eût été confacrée par les ordonnan ces, & par le ferment folemnel des Rois lors de leur facre.

Cette maxime ne doit pas être confidérée comme particulière à la France. Les anciens publiciftes l'envifageoieng comme la loi de tous les Etats, & une forte de Droit des gens. Car les Rois étant faits pour les peuples, ne

font que des dépofitaires & des adminiftrateurs, obligés de tranfmettre à celui qui leur fuccède. Ce qui a fait confidérer les Couronnes comme une forte de fubftitution ou de fidéi-commis légal & perpétuel quant aux domaines qui y font attachés.

Si nous confultons les monumens de l'Hiftoire de France (1), nous verrons que la maxime de l'inaliénabilité des domaines étoit conftante dès les premières races de nos Rois, puifque ceux qui en ufurpoient quelque partie, étoient regardés comme criminels & punis de banniffement & de confifcation.

On convient cependant que cette maxime (2) n'a pas été déclarée par une loi fous les deux premières Races. Qu'étoit-il befoin de la déclarer pendant le grand période de la féodalité? Les Rois, chargés de leur dépenfe perfonnelle, y fubvenoient avec les revenus de leurs domaines qu'ils adminiftroient, qu'ils défendoient comme faifoient les autres Seigneurs particuliers.

Les guerres fréquentes néceffitèrent les premières aliénations. Les ufurpations firent les fecondes. Les libéralités & les fondations pieufes concoururent bientôt à l'épuifer,

Une autre caufe de la dégradation des domaines fut la dot des Reines & des Filles de France, qui confiftoit en domaines, ufage qui a duré depuis HuguesCapet, jufqu'au règne de Philippe-Augufte.

Dans ce même tems les appanages des puînés mâles étoient auffi en pleine propriété.

Le premier trait de la fageffe de nos Rois fut de rendre les appanages mafculins fous Charles V: on impofa

(1) Mezerai, Abrégé historique, in-12, Edit. de 1717, fur la fin du règne de Charlemagne.

(2) Voyez la Note qui fe trouve fur l'Ordonnance de Philippe le-Long, du 18 Juillet 1318.

enfuite la condition du retour à la Couronne, à défaut d'héritiers mâles, & cette loi fubfifte depuis Philippele-Bel.

L'époque à laquelle commence à être déclaré le principe de l'aliénabilité du domaine, remonte à Philippe V (le-Long).

Les aliénations multipliées de Philippe-le-Hardi firent fentir l'importance de ce principe, & portèrent les Rois à lui imprimer, par leurs Ordonnances, le caractère de leur autorité.

L'Ordonnance du 29 Juillet 1318 eft la première qui révoqua les ufurpations & aliénations des domaines, en rappelant les noms des familles puiffantes qui s'en étoient emparées.

Le principe s'établit, mais fous la réferve des cas où la raifon feroit un devoir d'y déroger.

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l'on

« Si ce n'eft au cas que nous le doyons faire par raifon»: Ordonnance de Philippe-le-Long, 29 Juillet 1218. Ce fut vers le commencement du 14 fiècle que fe forma, dans différens Etats, des maximes conftantes, & qu'on pofa les principes qui tendoient à faire regarder le domaine de la Couronne comme inaliénable: car les loix font toujours nées des abus. On dilapidoit les domaines, on trouva, dans la maxime de l'inaliénabilité, la matière d'une loi confervatrice, & on la promulga (1); c'eft d'après cette idée qu'on voit trois Ordonnances, rendues par Philippe-le-Long, qui portent révocation de tous les dons du domaine depuis Saint-Louis, & qui défendent de demander des dons à héritages.

Dans la foule des Ordonnances, je ne citerai que

les principales: une, du Avril 1321, rendue par Charles-le - Bel, ordonne la révocation de. toutes les aliénations du domaine comme contraires aux loix

(1) 18 Juillet, 29 Juillet 1718; 16 Novembre 1718.

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