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du Royaume (1); une autre Ordonnance conforme, de Philippe-de-Valois, du 22 Octobre 1349 celle de François II, de 1539, les fuivit de près.

Enfin, cette férie de loix nous conduit à l'époque remarquable de 1566; c'est alors que l'Ordon nancede Moulins, ouvrage du grand l'Hôpital, loi auffi refpectable par le génie de fon auteur que falutaire par la juftice de fes difpofitions, confacra folemnellement la maxime, que le domaine de la Couronne ne pouvoit être aliéné qu'en deux cas feulement.

Mais eft-il vrai que cette loi, provoquée par les EtatsGénéraux, ait empéché les autres caufes d'aliénation? la réponse eft facile. Voyez l'état auquel font réduits aujourd'hui les beaux domaines de la Couronne, malgré la rigueur du principe, & jugez fi çette loi févère a pu les garantir.

La légiflation des domaines n'eft que l'hiftoire des efforts faits par les Rois pour les difliper & les reprendre; la longue ferie des Ordonnances fur les domaines ne préfente qu'une alternative continuelle de l'exécution & de l'infractive de la loi; des principes confacrés fous un règne, font violés fous le règne fuivant, quelquefois confacrés & violés fous le même règne; enfin, une légiflation verfatile, fifcale & dégradée, tantôt prodigue, tantôt avare & très-fouvent injufte, faifant prefqu'a-la-fois des mouvemens contraires pour fe détruire & fe raffermir.

Deux exceptions à la maxime étoient portées par l'Ordonnance de 1566: l'appanage à la charge du retour à défaut d'hoires mâles, & les néceffités de la guerre à la charge du rachat perpétuel.

Mais cette prohibition plus ftricte que celle des loix de François 1er & François II, ne fut pas plus refpectée; le domaine a été diffipé fous les règnes poftérieurs aveç

Premier Volume des Rois de la première race,

plus de profufion encore qu'il l'avoit été déja fous les règnes précédens.

Un fimple apperçu des loix domaniales va vous eņ

convaincre.

Dès 1574, on vendit un grand nombre de terres, fiefs & feigneuries domaniales.

Le ministère de Sully, qu'on ne peut rappeler fans un intérêt touchant, ne fut pas exempt de cette infraction à la loi domaniale; mais les circonftances la rendoient excufable. Ce fut en 1591 & 1592 qu'on ordonna la vente à perpétuité de maisons, terres, feigneuries & fiefs, greffes, fceaux, tabellionnage, avec claufe expreffe qu'à ce moyen les juftices deviendroient feigneuriales, entre les mains des acquéreurs.

En 1619, un nouvel Edit met en vente, à titre de perpétuité, les bois en gruerie, fégrairie, tiers & danger dans toutes les Provinces du Royaume.

En 1644, on impofe une taxe du douzième du prix des domaines aliénés, à titre de cens, rentes ou inféodation, & on leur affure la maintenue à perpétuité en leur poffeffion & jouiffance.

C'eft ainfi qu'en portant atteinte à la perpétuité d'un premier titre, on le revendoit une feconde fois, jusqu'à ce qu'une nouvelle loi, du 28 Janvier 1651, réunit au domaine de la Couronne tout ce qui avoit été aliéné. Une inquifition fifcale s'établit; on fit payer des fupplémens de finance le domaine lui-même corrompoit fes propres

maximes.

Je ne vous dirai pas, Meffieurs, les nouvelles exceptions que le befoin fit faire au principe de l'inaliénabilité, introduite par les Edits & Déclarations données en 1658, 1667, 1672, 1697, 1702 & 1708, pour aliéner encore des domaines à titre de propriété incommutable & d'inféodation perpétuelle, de petits domaines, de directes de juftice, & même des bois & forêts.

Bientôt après, cette légiflation diffipatrice détruit fon

ouvrage; de nouvelles Ordonnances prononcent des réunions au domaine, des taxes, des fupplémens de finances, des reventes. Enfin, le Légiflateur lui-même fatigué, fans doute, de ces loix mobiles qui ne parloient du principe que pour le violer, qui n'aliénoit que pour trouver de l'argent, qui ne réuniffoit au domaine que pour les reventes, ce Légiflateur s'écrie lui-même, dans une de ces loix (1), que l'abus des reventes & augmentations de finances étoit tel qu'il n'en entroit aucun denier dans les coffres du Roi.

Jugez maintenant, Meffieurs, quel bien a pu faire le principe de l'inaliénabilité du domaine. Qu'a-t-il été ? fi ce n'eft une vaine théorie auffi impuiffante contre la dilapidation des domaines, qu'illufoire pour les acquéreurs, & fatiguante pour la confiance publique.

Ce fiècle n'a pas même exempté les loix domaniales de ce caractère de fifcalité & de variation qui les avoit tant de fois dégradées.

Depuis l'Edit de 1717, qui ordonna la vente de tous les petits domaines, payables en billets d'Etat fur le pied du denier 30, une foule d'Arrêts du Confeil, prodigués jufques en 1777, dérogeant aux loix antérieures, ont porté de nouvelles atteintes aux véritables maximes; ils ont donné des règles aux abus mêmes; ils ont introduit une foule d'inventions fifcales pour les conceffions à vie & engagemens par ventes & reventes, & n'ont fervi que la fraude pour trafiquer honteufement des domaines

les

de la Couronne.

Un Miniftre, dont le nom reveilleroit des idées défavorables, fi je le prononçois, parce que fes opérations préfentent plus de vues de finance que de juftice, nous apprit, par fes Arrêts du Confeil de 1771, les marchés défavantageux qu'avoit faits le domaine. Aucun engagiste,

(1) Edit d'Avril 1667.

quoique dépouillé du profit de la directe, du droit de lods & vente, ne fut tenté de renoncer à fon engagement.

Où eft donc, Meffieurs, cette loi facrée de l'inaliénabilité du domaine; & quels fruits la Nation en a-t-elle retirés? n'a-t-elle pas été éludée fans ceffe? n'a-t-elle pas été défigurée fous tous les règnes? n'a-t-elle pas transformé la légiflation en un vil agiotage? n'a-t-elle pas enfin inutilement tourmenté les citoyens & ruiné les domaines de la Couronne? & ne vaut-il pas mieux effacer ces taches honteufes de la légiflation domaniale par un plan utile à l'Etat, par une loi fage qui, portant le caractère de justice & d'immobilité qui affure leur exécution, changera totalement la maxime & établira l'aliénabilité des domaines.

Ce projet auroit été exécuté, Meffieurs, fi le defpotifme ministériel & la vue du Trône avoient pu transformer des Notables en Repréfentans de la Nation.

Alors exiftoit, avec un grand pouvoir, un homme capable de porter de grandes vues dans les Finances, & qui les a ruinées; qui eût fait peut-être de grands biens fous le régime national, & qui ne fut qu'attenter aux propriétés fous un régime arbitraire, qui eut quelques talens de l'homme d'Etat & les vices d'un mauvais Miniftre : c'est cet homme qui, préfentant avec art les circonftances nouvelles qui devoient faire admettre des exceptions & des dérogations aux loix anciennes, donnoit ouverture à la puiffance arbitraire en empruntant le langage des loix. C'est lui qui propofa aux Notables raffemblés en 1787, d'aliéner tous les domaines, excepté les bois; mais il n'y avoit alors, pour aliéner, qu'un Administrateur & non un Propriétaire: la Nation n'exiftoit pas.

La voici maintenant, Meffieurs, par fes Représentans, c'est à eux d'établir les véritables maximes & les principes qui doivent fauver l'Etat.

C'est à eux qu'il appartient de prononcer l'aliénation des domaines,

Il y a certainement un Domaine de la Couronne, facré pour les Nations comme pour les Rois, inaliénable & imprefcribtible pour l'Adminiftrateur comme pour le Propriétaire, & que nulle force humaine ne peut féparer de la Couronne; c'est tout ce qui eft compris dans l'idée de cette couronne, comme étant attaché à cette idée par la raison même tel que les droits régaliens & la puiffance exécutive dont le Monarque eft le chef.

Voila le cas où la Nation affemblée décideroit inutilement le contraire; ou bien ce ne feroit qu'une erreur politique, ou l'illufion du moment, que le tems feul détruiroit bientôt: car le domaine naturel de la puiffance publique eft inaliénable.

Mais il existe un autre domaine, il eft des terres & des droits réels qu'une convention folemnelle, écrite dans les loix de l'Empire, a unie & incorporée à la Couronne, par une fiction qui, imitant la nature, renferme encore le domaine fous l'idée de la couronne. Or c'eft une convention qui forme ce lien, & une convention peut étre rétractée par une convention contraire, lorfqu'un nouvel ordre de chofes fait naître un intérêt différent.

La nature feule fait des loix que la puiffance humaine doit refpecter; mais cette stabilité n'appartient pas aux loix politiques, & le Domaine de l'Etat, le Domaine de la Couronne n'exifte que par la loi politique.

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L'intérêt de l'Etat eft donc que la maxime foit changée, & la volonté de la Nation, jointe à fa puiffance fuffit pour la changer: l'empêcher ce feroit nuire à l'intérêt d'une réformation utile dans l'Adminiftration domanjale, dans l'augmentation du revenu public, & dans l'encouragemeut de l'agriculture, J'ai prouvé que vous deviez & que vous pouviez changer la maxime.Il ne refte plus qu'une objection relative aux biens patrimoniaux & perfonnels du Monarque, car tous les autres dérivent ou de la diftribu

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