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point ils exiftoient en calculer la force & les progrès dans le calme, afin de voir comment on pourroit y remédier, & de hasarder mes réflexions.

Nous avons une Nation voifine, notre rivale; une Nation dont nous louons la Conftitution; une Nation dont nous fommes les enthoufiaftes aveugles, & dont nous admirons jufqu'aux excès; une Nation qui s'adminiftre elle-même, & dont les opérations ont toujours forcé les nôtres; je cherchai à en faire un modèle de comparaifon qui pût me mettre à portée de juger fainement de la bonne ou mauvaise adminiftration de ceux que nous blâmons. Je penfai que fi cette Nation avoit moins d'impôts, plus d'objets de dépenfes & moins de dettes, ce feroit déja un grand préjugé contre notre administration: mais que fi au contraire les impôts y étoient plus multipliés, avec moins d'objets de dépenfes, ramené par des principes de juftice, il falloit moins s'occuper de blâmer, que des moyens de remédier au mal paffé, de perfectionner pour l'avenir les opérations, de manière à avoir l'avantage fur les autres Nations. Le réfultat de mes recherches, comme vous allez le voir, fut entièrement à notre avantage.

L'impôt en France en 108 années ne s'eft accru que de 264 millions, tandis que dans ce même efpace de tems celui d'Angleterre a été augmenté de 319 millions, dont 229 y ont été ajoutés dans le court efpace de 37 années. La dette Nationale, en Angleterre, s'eft accrue de deux milliards deux cent quatre-vingt douze millions, tandis que celle de France, dans le même efpace de tems, n'a été augmentée que d'un peu moins d'un milliard cinq cents millions; il eft cependant, prouvé que la France n'a de libre à dépenfer que so millions de plus que l'Angleterre, quoique la différence de fa pofition exige des fommes bien plus confidérables.

L'Angleterre en effet eft une île, la France eft un pays ouvert une barrière naturelle défend celle-là des

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invasions; des vaiffeaux fuffifent à fa fûreté. La France au contraire eft obligée d'avoir une Marine pour protéger les côtes, en même tems que des armées & des villes de guerre pour défendre fes frontières, ce qui fait que les fonds deftinés en France à la guerre furpaffent de plus de so millions ceux confacrés en Angleterre à leur fervice de terre.

Un territoire plus étendu, d'ailleurs, exige plus de frais d'adminiftration; ceux de juftice & des routes qui, payés par l'Etat, font très-chers en France, ne font pas en Angleterre à la charge du Gouvernement.

Affuré par ces recherches & comparaifons qui portent fur plus de cinquante ans, que nos maux étoient plutôt encore le résultat des circonftances générales qui avoient enchaîné toutes les Nations, & que le Légiflateur collectif des anglois avoit été même moins modéré lorsqu'il s'étoit agi des dépenfes nationales, & moins économe que notre Légiflateur, lors individuel, je devins plus circonfpect. Ramené à des fentimens moins tumultueux que ceux qui portant à tout fronder, fans connoiffance de cause, ne font qu'échauffer les efprits & accroître les maux publics, je crus qu'il feroit beaucoup mieux de chercher d'où venoit le mal & comment on pouvoit y remédier.

Je vis alors que fi les Anglois n'ont point de déficit, c'eft qu'ils mettent des impôts, en raifon des emprunts qu'ils font, pour en payer l'intérêt, ce qui leur donnant un avantage important fur nous, pour emprunter à meilleure compofition, prouve encore que notre gouvernement a été plus économe, puifque notre dette n'eft pas auffi confidérable tandis qu'elle auroit dû furpaffer celle de nos voisins, nos emprunts fur-tout, depuis quelques années, ayant été faits à un taux très-confidérable, comme feul propre à déterminer les capitaliftes en raison de ce qu'on leur donnoit moins de fûreté.

Réfléchiffant enfuite que fi les Anglois, après s'ètre affurés par l'apurement des comptes de la guerre d'Amé

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rique, qu'ils avoient un déficit confidérable, s'étoient en preffés d'offrir les fommes propres à le combler une grande Nation comme la nôtre pourroit, à plus forte raifon, par un nouvel ordre de chofes dont le but feroit de fimplifier toutes les branches de l'administration, au point d'en écarter les abus, de répartir l'impôt d'une manière plus égale, moins fufceptible de frais, de va riations, d'arbitraire, & fur-tout moins à charge à la partie la moins fortunée, trouver non- feulement les moyens de balancer les avantages que le crédit national anglois lui donne fur nous, mais encore nous mettre à portée de couvrir notre déficit, de ramener bientôt le bonheur public, & de fonder, d'une manière plus folide même que ne peut faire le crédit anglois & celui de tout autre Nation, la puiffance & la profpérité nationale françoise.

Telles furent, Meffieurs, les réflexions qui me dictèrent les combinaifons qui ont formé le plan que j'ai eu l'honneur de vous offrir.

La Conftitution des Milices Nationales auxiliaires combinée avec celle des travaux publics, telle que je la conçus, me parut devoir fervir de bafe au plan qui embraffe, comme vous l'avez vu, l'enfemble des branches les plus importantes de l'adminiftration publique.

Depuis long-tems je voyois, avec infiniment de peine, que les milices, par les exemptions arbitraires, & par une foule de vexations dont elles fervoient de prétexte, étoient le fléau de la Nation dont elles. auroient dû être le bouclier invincible. J'étois furtout affligé de ce qu'elles éloignoient de leurs foyers une foule de fujets qui, pour s'y fouftraire, s'enfuyoient dans les Villes qui étoient exemptes du tirage, où ils finiffoient par accroître le nombre des infortunés, fouvent même celui des vagabonds, faute de trouver les reffources fur lefquelles ils avoient compté. Perfuadé cependant qu'elles font effentiellement néceffaires, je.

cherchai par quelles combinaisons on pourroit leur donner une bafe conftitutionelle, qui pût non-feulement les rendre plus généralement utiles, fans être à charge aux peuples, mais encore les faire concourir à leur bonheur, en donnant l'effor à plusieurs autres vues d'utilité publique.

Long-tems j'avois gémi fur le fort du Villageois, du Laboureur flétri fous le poids des corvées, lorfque je défirai qu'on trouvât les moyens de les remplacer à fi peu de frais, & avec tant d'autres avantages pour la Nation, qu'on fût porté à s'y déterminer.

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Vous aurez eu, Meffieurs une idée de l'économie qu'on trouveroit dans le plan que j'ai eu l'honneur de mettre fous vos yeux, lorfque vous aurez vu que quoique M. Turgot, Adminiftrateur auffi patriotique qu'éclairé, eût prouvé que la dépenfe relative au rachat des corvées ne pouvoit être au-deffous de douze à treize millions, auxquels elles font portées, ce qui, avec les frais des ponts & chauffées, va à dix-huit ou vingt millions pour les feuls pays non d'Etat; cependant on pourroit, avec 8,760,000 liv., non-feulement procurer à la France entière un résultat de travaux beaucoup plus confidérable que celui les corvées du royaume, donneroient toutes, que mais encore fournir gratis à l'Etat les mains d'œuvre pour les grands ponts & autres conftructions publiques, faciliter la fuppreffion de tous les frais des prifons des déferteurs & autres vagabonds, d'établir une police fi douce & fi bien organifée, qu'elle détruiroit toute efpèce de vagabondage en forçant ceux qui feroient tentés de s'y livrer à rentrer dans la claffe des Citoyens utiles fans les renfermer ni les rendre malheureux, & fans cependant qu'ils puiffent s'en défendre, de prévenir prefque tous les crimes afin de n'avoir pas à les punir, de détacher des travaux publics, à la première guerre, fans ceffer l'entretien des grandes routes, & de veiller à leur fûreté, un Corps de feize mille hommes tous payés,

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bœufs

1600 chevaux pour l'artillerie, un grand nombre de pour fournir à la fubfiftance des troupes réunies. L'arbitraire dans la répartition des contributions qui feroient payées par chaque Communauté, feroit tellement banni, & l'ordre établi, qu'une communauté qui paye aujourd'hui à 600 livres pour le rachat de fes corvées, s n'en payeroit pas 100 pour concourrir à tous les objets que je viens d'avoir l'honneur de vous indiquer, quoique tous les travailleurs fuffent payés de manière à chérir leur fort.

J'avais placé à la fuite de cet enfemble, fous le nom de Réflexions diverfes, l'extrait de ce que j'avois propofé fur l'impôt, fur les moyens d'affurer la fubfiftance. Nationale, d'une manière également propre à encourager l'agriculture & toutes les autres branches de la fociété ;

Sur le parti qu'on auroit pu tirer des biens du Clergé;

Sur une banque Nationale qui me paroiffoit devoir vivifier le commerce, l'agriculture & toutes les autres parties de ce vafte Empire.

Vous ne vous êtes pas contentés, Meffieurs, d'accueillir favorablement l'ouvrage où j'ai traité ces objets, vous avez encore daigné ordonner que les projets de Décrets qui en prefentent l'ensemble, fuffent imprimés aux dépens de la chofe publique. Heureux! fi mes vues pouvoient être de quelque utilité à ma Patrie.

Si après les avoir examinés avec l'attention que méritent des fujets auffi importans, vous ne les croyez pas fufceptibles d'exécution, elles auront du moins à vos yeux le mérite de m'avoir été dictées par le zèle le plus pur, l'attachement le plus fincère, le plus inviolable & le plus refpectueux pour ma Patrie, & pour notre augufte Monarque.

DE PAWLET.

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