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A

L'ASSEMBLÉE NATIONALE;

MESSIEURS,

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C'EST parce qu'on avoit trop multiplié, trop complìqué toutes les branches de l'administration publique, qu'on a vu naître les maux qui ont fucceffivement miné ce vafte empire, & l'ont plongé dans l'anarchie qui va achever la deftruction de cette immenfe famille fi le Souverain qui, comme vous, eft animé du plus violent defir de faire le bonheur de fon peuple; fi ce Prince qui ne vous a appellés que pour vous engager à y concourir avec lui; fi ce Prince, qui a tout facrifié à ce but, ne rétablit, par une mâle fermeté, cette heureuse harmonie, fans laquelle tout le defir du bien ne fauroit P'opérer.

Déja la mifère la plus affreufe, enfantée par le défordre, défole nos Provinces & la Capitale: les manufactures, le

commercè, l'agriculture font tombés dans l'anéantiffement; l'étranger profite de nos malheurs pour élever fa fortune publique fur la nôtre: il femble acheter à prix d'argent le délire qui nous agite.

Plufieurs autres, avant moi, ont déploré nos maux. M. le Comte de Mirabeau difoit que nous dormons tranquilles, comme les habitans du mont Véfuve, entourés de précipices; il a prédit la dépopulation de cette vafte Cité, qui fera bientôt fuivie de celle du Royaume.

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Les haines qui naîtront de la défiance & de la jaloufie, fi on ne les prévient, armeront les fujets contre les fujets, les voifins contre les voifins, les frères contre leurs propres frères. Pour vous convaincre de cette vérité, jettez les yeux fur cette Capitale où les lumières étant plus réunies, les moyens de conciliation plus rapprochés, devroient auffi plus facilement établir, entre les Diftricts & la Commune, cette heureuse harmonie, fans laquelle on ne fauroit donner de bafe à l'ordre & fonder la profpérité publique: voyez la défiance qui régne entr'eux? A peine les Diftricts eurent-ils nommé des Députés à la Commune, qu'ils auroient voulu, ou les rappeller, ou réduire à rien les pouvoirs qu'ils leur avoient donnés. Perfuadés, fans doute, que les forces municipales feroient fans frein, ils cherchèrent à prendre des mefures contr'elles; au lieu d'exiger des comptes publics de fa geftion, ils voulurent l'enchaîner plutôt que de fuivre avec elle un plan complet de direction adminiftrative, fous les ordres du Pouvoir exécutif fuprême, & d'après les loix fanctionnées; ils voulurent régir d'après leur fantaifie, ils formèrent une efpèce de coalition, une autre affociation de Députés dont le rendezvous cft à l'Archevêché, contre ceux dont leur confiance avoit formé la Commune. Cet efprit de difcorde qui régne entre les Membres mêmes des différens Diftrics, ainfi rapprochés, vous annonce les maux affreux qu'il enfantera dans toutes les Provinces, dont les points font

plus éloignés, & vous annonce les principes de fermentation qui naîtront des entreprifes arbitraires que formeront les différentes parties contre d'autres, & les forceront à fe détruire réciproquement, fi un pouvoir fupérieur ne ramène tout au point central; s'il ne règle, avec énergie, les impulfions que doit donner ou recevoir chaque partie; s'il ne calme, en fixant à chacun la tâche qu'il doit remplir, les mouvemens tumultueux qui naîtront des fauffes idées qu'on aura de la véritable liberté, de l'intérêt propre; s'il n'établit promptement cette organisation harmonieufe qui doit fier, fubordonner impérieufement, pour le bien général, toutes les parties adminiftratives au pouvoir de l'Administrateur fuprême, dont elles ne doivent être que les agens circonfcrits, bornés à proposer le bien & à exécuter les ordres qu'elles en recevront, toujours d'après les loix fanctionnées.

J'ofe le dire, Meffieurs, avec la confiance que je ferai applaudi par tous les bons citoyens, comme vous; les Municipalités de Cantons, de Diftricts & de Départemens ne doivent, lorfqu'il ne s'agira pas d'élection comme je le propofai, en 1775, dans le plan que j'ai eu l'honneur de mettre fous vos yeux, que représenter les Intendans & les Subdélégués, avec la différence que ces derniers pouvoient quelquefois cacher le mal au Souverain, ou fe tromper dans le bien qu'ils propofoient; tandis que les Municipalités, plus inftruites fur tout ce qui peut nuire ou concourir au bonheur de leur localité, le diront, le propoferont avec cette noble & harmonieufe franchife que des enfans doivent à leur père.

Préfervons-nous donc, Meffieurs, le plus promptement poffible, des maux dont l'anarchie peut nous accabler. Telles les abeilles, ces infectes que Dieu a donné à l'homme comme l'exemple le plus frappant du pouvoir de l'ordre & de l'économie, lorfque leurs ruches font renversées par quelque orage impétueux, s'enfuient d'abord en tremblant, & bientôt devenues furieufes par

la temptère qui les agite, emportées dans les airs, elles fe jettent fur tout ce qui les environne; elles trouvent par-tout la mort, par les bleffures qu'elles font à ceux mêmes qui font le plus touchés de leurs maux (1); elles périffent en cherchant à fe venger de ceux qui ont le plus d'intérêt à les fauvér. Tels auffi les peuples, lorfqu'égarés par de faux principes, emportés par les fureurs qui naîtront de la mifère où les auront réduits l'anarchie & le défordre, ils s'acharneront les uns contre les autres; après s'être entr'égorgés, après avoir tout dévafté, après avoir ôté à leurs bienfaiteurs jufqu'aux derniers des moyens de les fecourir, accablés de tous les maux, ils imploreront eux-mêmes la puiffance publique; ils demanderont à grands cris au Monarque de les fouftraire à leur propre rage: alors, s'il n'eft point trop tard, femblable à l'aftre radieux qui, par l'influence de fes rayons, chaffe les nuages, échauffe la nature, raffemble les abeilles & leur roi, les troupeaux & leurs bergers, diftribue à chacune des parties de ce vafte univers, la tâche qu'elle doit remplir & lui donne fans ceffe une nouvelle vie; de même auffi la force du Pouvoir fouverain, entre les mains du plus jufte des Monarques, ramenera l'ordre, rétablira & entretiendra, en confultant fouvent ceux dont il exigera cependant l'obéiffance néceffaire pour le bonheur commun, le calme qui feul peut opérer le bien de toutes les Nations.

J'ai vu croître le mal, j'ai long-tems médité fur les moyens d'y remédier: preffé par un defir invincible de me rendre utile à ma patrie, il me fembloit que j'étois plus heureux lorfque je cherchois les moyens qui pourroient concourir au bonheur de mes Concitoyens, Quoique très-jeune encore, je m'étois déja rangé dans

(1) Tout le monde fait que l'abeille, en piquant, laiffe fon dard dans la blessure, & périt

la claffe de ceux dont le nom eft une espèce d'injure; de ces hommes à projet dont tous les inftans font employés à rêver fur les biens ou fur les maux publics, lorfque notre augufte Monarque fuccéda au

trône

de fes ancêtres. Pénétré de reconnoiffance pour les bontés dont fon augufte père avoit honoré mes premières années, je fis des vœux pour la profpérité de fon règne; le defir de le voir rendre les peuples heureux, me fit épier fes actions. Sa première démarche parut du plus heureux augure; elle fut celle d'un bon Prince qui defire faire prefider la fageffe à fes Confeils. Le rappel qu'il fit d'un vieillard, d'un ancien Miniftre qu'il crut avoir été facrifié à une intrigue de Cour, & pour avoir voulu faire fon devoir, me donna la plus haute idée d'un jeune Prince, qui croyoit hélas! mettre à la tête de la France un Neftor dont il vouloit être le Pupille; mais combien de circonftances vintent traverfer fes vues bienfaifantes : l'état de délabrement où étoit, notre Marine, & qui nous afferviffoit à l'Angleterre, le defir fi naturel de nous fouftraire à l'esclavage où nous tenoit cette Nation qui nous forçoit de payer à Dunkerque un Commiffaire dont l'objet étoit de s'oppofer à nos propres travaux, nous Occafionnerent des frais immenfes,

La guerre d'Amérique accrut à elle feule, de deux milliards, la maffe de nos dépenfes, & prépara l'excès de nos malheurs par la forme que nous fûmes forcés d'adopter

pour nos emprunts.

Difpofé à me plaindre du poids de l'impôt, comme tous les autres fujets; envisageant avec effroi la dette accablante de l'État; tremblant à l'afpect d'un déficit qui pouvoit compromettre fes créanciers légitimes, ou exiger de notre part de nouveaux facrifices; gémiffant fur le fort d'une foule d'infortunés. que la cherté des denrées de première néceffité plongeoit dans le marafme, je crus cependant, avant de mêler ma voix à celle de tant d'autres qui crioient contre les abus, devoir m'aflurer jufqu'à quel

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