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M. de Mirabeau a eu pour lui le vaillant de Custine, qui, se jetant hors de la question, insistoit pour que l'on supprimât la gabelle. L'empressement pour la parole étoit tel, que l'assemblée est restée assez long-tems dans une stagnation bruyante. Nos législateurs parloient plusieurs à la fois, & aucun d'eux n'étoit entendu. Cependant M. Desmeuniers a obtenu du silence. Il s'agit de savoir, s'est-il écrié avec le patriotisme qui l'inspire toujours, si la loi provisoire, que vous voulez porter, tendra seulement à réprimer les troubles, sans s'occuper de l'interruption des impôts. La constitution ne peut s'écrouler que de deux manieres: 1°. si les canaux du trésor public sont interrompus; 2°. si l'on vient à bout d'établir l'anarchie dans les pouvoirs. Cette désunion, qui regne dans cette assemblée depuis près de deux mois, fait tout craindre ; je demande donc que l'on se rallie, que l'esprit de parti disparoisse à la vue des maux qui nous menaçent, & qui déjà se sont faits sentir dans quelques contrées de l'empire. Comme la chose publique ne peut se soutenir si le trésor public n'est alimenté comme à l'ordinaire par les impôts des peuples, je demande que l'on fasse marcher de pair la loi qui doit faire cesser & prévenir les troubles & assurer la perception des impôts.

M. l'abbé Gouttes, au nom du comité des finances, est entré dans les vues de M. Desmeuniers. Il a insisté pour qu'on éclairât les peuples sur leurs vrais intérêts. Il a attribué les malheurs arrivés à Beziers au débordement des brigands du Roussillon dans le Languedoc, qui, sous prétexte que l'impôt désastreux de la gabelle subsistoit encore en partie, avoient entraîné, dans leur révolte, de très-honnêtes gens, & commis les horreurs dont le ministre du roi avoit rendu compte.

M. d'Harambure a présenté, hors de saison, un projet de décret, dont les premiers articles tendoient seulement à engager chaque municipalité à se cotiser, pour fournir en écus, à l'assemblée nationale une somme de 22 millions sur les contributions de l'année présente, & ce, pour pouvoir payer, en sus de 300 mille livres que la caisse d'escompte paie journellement en écus pour retirer ses billets, la somme de cent cinquante mille livres. On s'est écrié de plusieurs côtés de la salle que la caisse ne faisoit pas ses paiemens, d'autres raisons encore, que l'on sent sans qu'on ait besoin de les expliquer, ont monté la tête de nos législateurs, qui n'ont point voulu permettre à M. d'Harambure de finir la lecture de son projet. L'impatience étoit telle qu'on n'a

pas même permis à M. Malouet de prendre la parole, & que la discussion sur la priorité a été fermée. Le député de Rioms s'est formalisé, & à prétendu que la discussion avoit été fermée avant d'être ouverte; cependant on peut dire qu'il y avoit guerre ouverte depuis plus d'une heure sur cet objet entre les deux partis. Quoi qu'il en soit, le vote sur la priorité des différens projets a été ouvert, & il a été contraire aux projets du comité de constitution, à celui de M. de Mirabeau puis à celui de M. Malouet.

M. Muguet & d'autres ont insisté pour faire accorder la priorité au projet de M. Boisson. Le vote lui a été favorable. On en a demandé lecture. M. Garat l'aîné s'est élevé fortement contre la disposition du troisieme article; il a prétendu que des hommes attroupés qui se portoient à des violences contre les personnes, les propriétés, étoient dans un état de rébellion qui ne permettoit pas aux officiers municipaux d'employer les voies de conciliation. La force militaire, en pareille circonstance, devoit, suivanr lui, se déployer dans toute son étendue, sans être même requise des officiers municipaux il réservoit seulement à ceux-ci le droit de les arrêter. M. de Foucault s'est rangé du parti de M. Garat. M. de Robespierre, constant dans son

systême de modération, a combattu l'un & l'autre, & a soutenu que les voies de conciliation étoient plus efficaces auprès du peuple, que les voies de rigueur ; qu'il y avoit cent exemples contre un que le peuple même irrité étoit rentré dans l'ordre à la voix d'un supérieur qu'il aimoit.

M. de Montlausjer est aussi entré dans l'arêne; mais, zélé partisan de la dictature, il a débité du phébus, dans la tribune, qui a fait rire à ses dépens. Entr'autres phrases, il a lâché celle-ci : la force publique entre les mains des municipalités, tournée par leurs intérêts intestins, produira incessamment l'anarchie. Hâtons-nous de relever la force vivifiante, le pouvoir exécutif, sans lequel le reste n'est rien, &c. En vain, nous dira-t-on que le pouvoir exécutif recevra son complément à mesure que nous organiserons les différentes parties du pouvoir social; si dans un moment de convulssion l'action royale vous est inutile, à plus forte raison la regarderons-nous comme nulle dans un tems de calme. N'accoutumons pas les peuples, ne nous accoutumons pas aussi à nous passer de la puissance royale. M. Toustain étoit encore un partisan de M. de Cazalès. La délibération alloit se prolongeant, il sembloit qu'on vouloit l'éterniser, lorsque M. Desmeuniers a ramené l'assemblée à son vrai point de délibération, c'està-dire, au projet de M. Boisson, qui avoit obtenu la priorité. Il a amendé ainsi le premier article, dans la disposition qui portoit: s'ils ne sont (les décrets) sanctionnés, acceptés ou approuvés par le roi. Il a fait voir que les craintes de ceux qui prétendoient que l'on remettoit tout le pouvoir

entre les mains des municipalités au préjudice du roi étoient chimériques, puisque, par des décrets précédens, les assemblées administratives sont subordonnées au roi, comme chef suprême de l'aministration.

M. de Mirabeau est venu à l'appui de M. Desmeuniers. Il a fait sentir visiblement que tous les amendemens que l'on faisoit pour investir le pouvoir exécutif d'une puissance excentrique étoient des inconséquences absurdes; que l'organisation de ce pouvoir marchoit de front avec l'organisa-. tion des différentes parties de la constitution, que l'on n'y faisoit point un pas sans travailler pour le pouvoir exécutif, dernier résultat d'une sage constitution. I recevra, a-t-il dit, un accroissement lors de l'organisation de l'armée, & lorsque le pouvoir judiciaire sera déterminé, c'est encore pour lui qu'on agira. Ce sont autant d'intermédiaires qui viendront aboutir au pouvoir exécutif comme à leur centre naturel; mais il faut attendre que nous ayons organisé l'un & l'autre, autrement c'est vouloir mettre en jeu une machine. sans que les rouages en soient engrainés. M. de Mirabeau s'est mis à dire : vous avez entendu parler de ces sauvages qui disent lorsqu'une montre est tombée, elle est morte, & lorsqu'elle marche. elle a une ame; ni l'un ni l'autre n'est vrai. Cette comparaison pourroit s'appliquer au cas présent. Le pouvoir exécutif n'est pas mort; mais il faut attendre les que de la machine soient engenés pour la faire marcher. De-là il s'est jetté sur les obstacles qui contrarioient la révolution : il a prétendu que si les ministres mettoient plus de candeur dans leurs opérations, si la candeur pouvoit exis

rouages

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