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ne doutez sûrement pas que tous ces détails ne nous intéressent bien vivement; vos peines sont les nôtres, et notre vœu le plus ardent serait de pouvoir en les partageant en adoucir l'amertume.

» J'ai l'honneur d'être, avec un respectueux et inviolable attachement, votre très humble et très obéissant serviteur. >>

» Ces manœuvres ont été puissamment secondées par des missionnaires établis dans le bourg de Saint-Laurent, district de Montaigu; c'est même à l'activité de leur zèle, à leurs sourdes menées, à leurs infatigables et secrètes prédications que nous croyons devoir principalement attribuer la disposition d'une très grande partie du peuple dans la presque totalité du département de la Vendée et dans le district de Chatillon, département des Deux-Sèvres : il importe essentiellement de fixer l'attention de l'Assemblée nationale sur la conduite de ces missionnaires et l'esprit de leur institution.

» Cet établissement fut fondé il y a environ soixante ans pour une société de prêtres séculiers vivant d'aumônes, et destinés en qualité de missionnaires à la prédication. Ces missionnaires, qui ont acquis la confiance du peuple en lui distribuant avec art des chapelets, des médailles et des indulgences, et en plaçant sur les chemins de toute cette partie de la France des calvaires de toutes les formes; ces missionnaires sont devenus depuis assez nombreux pour former de nouveaux établissemens dans d'autres parties du royaume ; on les trouve dans les ci-devant provinces de Poitou, d'Anjou, de Bretagne et d'Aunis, voués avec la même activité au succès et en quelque sorte à l'éternelle durée de cette espèce de pratiques religieuses, devenue · par leurs soins assidus l'unique religion du peuple. Le bourg de Saint-Laurent est leur chef-lieu, ils y ont bâti récemment une vaste et belle maison conventuelle, et y ont acquis, dit-on, d'autres propriétés territoriales.

» Cette congrégation est liée par la nature et l'esprit de son institution à un établissement de sœurs grises fondé dans le même lieu, et connu sous le nom de Filles de la sagesse, consacrées dans ce département et dans plusieurs autres au service des pauvres et particulièrement des hôpitaux, elles sont pour ces missionnaires un moyen très actif de correspondance générale dans le royaume; la maison de Saint-Laurent est devenue le lieu de leur retraite lorsque la ferveur intolé

rante de leur zèle ou d'autres circonstances ont forcé les administrateurs des hôpitaux qu'elles desservaient à se passer de leurs secours.

» Pour déterminer votre opinion sur la conduite de ces ardens missionnaires et sur la morale religieuse qu'ils professent il suffira, messieurs, de vous présenter un abrégé sommaire des maximes contenues dans différens manuscrits saisis chez eux par les gardes nationales d'Agers et de Cholet.

» Ces manuscrits, rédigés en forme d'instruction pour le peuple des campagnes, établissent en thèse qu'on ne peut s'adresser aux prêtres constitutionnels, qualifiés d'intrus, pour l'administration des sacremens; que tous ceux qui y participent, même par leur seule présence, sont coupables de péché mortel, et qu'il n'y a que l'ignorance ou le défaut d'esprit qui puissent les excuser;

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Que ceux qui auront l'audace de se faire marier par les intrus ne seront pas mariés, et qu'ils attireront la malédiction divine sur eux et sur leurs enfans;

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Que les choses s'arrangeront de manière que la validité des mariages faits par les anciens curés ne sera pas contestée, mais qu'en attendant il faut se résoudre à tout; que si les enfans ne passent point pour légitimes ils le seront néanmoins; qu'au contraire les enfans de ceux qui auront été mariés devant les intrus seront vraiment bátards, parce que Dieu n'aura point ratifié leur union, et qu'il vaut mieux qu'un mariage soit nul devant les hommes que s'il l'était devant Dieu; Qu'il ne faut point s'adresser aux nouveaux curés pour les enterremens, et que si l'ancien curé ne peut pas les faire sans exposer sa vie et sa liberté il faut que les parens ou amis du défunt les fassent eux-même secrètement.

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» On y observe que l'ancien curé aura le soin de tenir un registre exact pour y enregistrer ces différens actes; qu'à la vérité il est possible que les tribunaux civils n'y aient aucun égard, mais que c'est un malheur auquel il faut se résoudre ; ; que l'enregistrement civil est un avantage précieux dont il faudra cependant se passer, parce qu'il vaut mieux en être privé que d'apostasier en s'adressant à un intrus.

» Enfin on y exhorte tous les fidèles à n'avoir aucune communication avec l'intrus, aucune part à son intrusion; on y

déclare que les officiers municipaux qui l'installeront seront apostats comme lui, et qu'à l'instant même les sacristains, chantres et sonneurs de cloche doivent abdiquer leurs emplois.

» Telle est, messieurs, la doctrine absurde et séditieuse que renferment ces manuscrits, et dont la voix publique accuse les missionnaires de Saint-Laurent de s'être rendus les plus ardens propagateurs.

Ils furent dénoncés dans le temps au comité des recherches de l'Assemblée nationale, et le silence qu'on a gardé à leur égard n'a fait qu'ajouter à l'activité de leurs efforts et augmenter leur funeste influence.

Nous avons eru indispensable de mettre sous vos yeux l'analise abrégée des principes contenus dans ces écrits, telle qu'elle est exposée dans un arrêté du département de Maine et Loire du 5 juin 1791 (1), parce qu'il suffit de les comparer avec la lettre circulaire du grand vicaire du ci-devant évêque de Luçon pour se convaincre qu'ils tiennent à un système d'opposition générale contre les décrets sur l'organisation civile du clergé, et l'état actuel de la majorité des paroisses de ce département ne présente que le développement de ce système et les principes de cette doctrine mis presque partout en action.

» Le remplacement trop tardif des curés a beaucoup contribué au succès de cette coalition : ce retard a été nécessité d'abord par le refus de M. Servant, qui, après avoir été nommé à l'évêché du département et avoir accepté cette place, a déclaré le 10 avril qu'il retirait son acceptation; M. Rodrigue, évêque actuel du département, que, sa modération et sa fermelé soutiennent presque seules sur un siége environné d'orages et d'inquiétudes, M. Rodrigue n'a pu être nommé que dans les premiers jours du mois de mai. A cette époque les actes de résistance avaient été calculés et déterminés sur un plan uniforme ; l'opposition était ouverte et en pleine activités les grands vicaires et les curés s'étaient rapprochés et se tenaient fortement unis par le même lien; les jalousies, les rivalités

(1)' « Extrait du registre des arrêtés du directoire du département de Maine-et-Loire, séant à Angers; in-4° de dix pages. A Angers, chez. Mame, imprimeur du département. »

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les querelles de l'ancienne hiérarchie ecclésiastique avaient eu le temps de disparaître, et tous les intérêts étaient venus se réunir dans un intérêt commun.

» Le remplacement n'a pu s'effectuer qu'en partie; la très grande majorité des anciens fonctionnaires publics ecclésiastiques existe encore dans les paroisses, revêtue de ses anciennes fonctions; les dernières nominations n'ont eu presque aucun succès, et les sujets nouvellement élus, effrayés par la perspective des contradictions et des désagrémens sans nombre que leur nomination leur prépare, n'y répondent que par des refus.

>> Cette division des prêtres en assermentés et non assermentés a établi une véritable scission dans le peuple de leurs paroisses; les familles y sont divisées; on a vu et l'on voit chaque jour des femmes se séparer de leurs maris, des enfans abandonner leurs pères; l'état des citoyens n'est le plus souvent constaté que sur des feuilles volantes, et le particulier qui les reçoit n'étant revêtu d'aucun caractère public, ne peut donner à ce genre de preuve une authenticité légale.

» Les municipalités se sont désorganisées, et un grand nombre d'entre elles pour ne pas concourir au déplacement des curés non assermentés.

» Une grande partie des citoyens a renoncé au service de la garde nationale, et celle qui reste ne pourrait être employée sans danger dans tous les mouvemens qui auraient pour principe ou pour objet des actes concernant la religion, parce que le peuple verrait alors dans les gardes nationales non les instrumens impassibles de la loi, mais les agens d'un parti contraire au sien.

» Dans plusieurs parties du département un administrateur, un juge, un membre du corps électoral sont vus avec aversion par le peuple, , parce qu'ils concourent à l'exécution de la loi relative aux fonctionnaires ecclésiastiques.

» Cette disposition des esprits est d'autant plus déplorable que les moyens d'instruction deviennent chaque jour plus difficiles; le peuple, qui confond les lois générales de l'Etat avec les réglemens particuliers pour l'organisation civile du clergé, en fuit la lecture et en rend la publication inutile.

» Les mécontens, les hommes qui n'aiment pas

le nouveau

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régime, et ceux qui dans le nouveau régime n'aiment pas les lois relatives au clergé, entretiennent avec soin cette aversion du peuple, fortifient par tous les moyens qui sont en leur pouvoir le crédit des prêtres non assermentés, et affaiblissent le crédit des autres ; l'indigent n'obtient de secours, l'artisan ne peut espérer l'emploi de ses talens et de son industrie qu'autant qu'il s'engage à ne pas aller à la messe du prêtre assermenté, et c'est par ce concours de confiance dans les anciens prêtres d'une part et de menaces et de séduction de l'autre qu'en ce moment les églises desservies par les prêtes assermentés sont désertes, et que l'on court en foule dans celles ou par défaut de sujets les remplacemens n'ont pu encore s'effectuer.

» Rien n'est plus commun que de voir dans des paroisses de cinq à six cents personnes dix ou douze seulement aller à la messe du prêtre assermenté; la proposition est la même dans tous les lieux du département; les jours de dimanche et de fête on voit des villages et des bourgs tout entiers dont les habitans désertent leurs foyers pour aller à une et quelquefois deux lieues entendre la messe d'un prêtre non assermenté. Ces déplacemens habituels nous ont paru la cause la plus puissante de la fermentation, tantôt sourde, tantôt ouverte, qui existe dans la presque totalité des paroisses desservies par les prêtres assermentés: on conçoit aisément qu'une multitude d'individus qui se croient obligés par leur conscience d'aller au loin chercher les secours spirituels qui leur conviennent doivent voir avec aversion, lorsqu'ils rentrent chez eux excédés de fatigue, les cinq ou six personnes qui trouvent à leur portée le prêtre de leur choix; ils considèrent avec envie et traitent avec dureté, souvent même avec violence, des hommes qui paraissent avoir un privilége exclusif en matière de religion; la comparaison qu'ils font entre la facilité qu'ils avaient autrefois de trouver à côté d'eux des prêtres qui avaient leur confiance, et l'embaras, la fatigue et la perte de temps qu'occasionnent ces courses répétées diminuent beaucoup leur attachement pour la Constitution, à qui ils attribuent tous ces désagrémens de leur situation nouvelle.

» C'est à cette cause générale, plus active peut-être en ce moment que la provocation secrète des prêtres non assermentés, que nous croyons devoir attribuer surtout l'étatde discorde inté

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