Page images
PDF
EPUB

salle, tous les membres de l'Assemblée le reçoivent debout et découverts, mais qu'une fois le roi arrivé au bureau chacun ait la faculté, bien naturelle sans doute, de s'asseoir et de se mettre comme bon lui semblera; de même que le roi lui-même a cette faculté, nous devons l'avoir. Je demande, messieurs, que, le roi une fois arrivé au bureau, il ne lui soit pas présenté un fauteuil peut-être scandaleux par sa richesse; je demande que, le roi s'honorant de s'asseoir et de se placer sur le fauteuil du président d'un grand et puissant peuple, le fauteuil du président lui soit offert par déférence; je demande, messieurs, que quant au fauteuil il en soit placé un absolument semblable pour le président; je demande enfin que le président de l'Assemblée nationale, s'adressant au roi, ne lui donne d'autre titre que celui qui est porté par la Constitution, roi des Français. (Applaudissemens ; agitation. )

M. Guadet. « Il n'y a peut-être rien que les bons citoyens désirent autant que l'harmonie et le concert entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ( applaudissemens); cependant, messieurs, dans les rapports qui existent nécessairement entre ces deux pouvoirs il n'y a rien d'indifférent, et le roi, qui s'accoutumerait à régler dans nos séances le mouvement de nos corps, pourrait croire bientôt pouvoir régler aussi le mouvement de nos âmes ( applaudissemens); il est donc essentiel de régler la forme invariable avec laquelle le roi sera reçu quand il se présentera dans l'Assemblée nationale. Je ne reviendrai point sur ce qui a été dit à cet égard ; je dirai seulement que j'adopte de tout mon cœur la motion qui a été faite pour que des membres du corps législatif, en donnant au roi tout ce que la dignité du peuple qu'ils représentent ne défend pas de lui donner, s'arrêtent cependant là où l'on pourrait commencer à apercevoir les marques de l'esclavage et de la servitude.

[ocr errors]

Quant à la distinction qu'on a faite entre le fauteuil doré qu'on donne au roi et le fauteuil simple que nous donnons à notre président, j'aime à croire que le peuple français vénérera toujours beaucoup plus dans sa simplicité le fauteuil sur lequel s'asseoit le président des représentans de la natiou que

le fauteuil doré sur lequel s'asseoit le chef du pouvoir exécutif. (Applaudissemens. )

» Je ne parlerai pas, messieurs, des titres de sire et de majesté ; je m'étonne que l'Assemblée nationale mette en délibération si elle les conservera: le mot sire signifie seigneur; il tenait au régime féodal, qui n'existe plus; pour celui de majesté on ne doit plus l'employer que pour parler de Dieu et du peuple. » (Applaudissemens. )

Les propositions réunies par M. Couthon furent encore appuyées par MM, Lacroix, Goupilleau et Chabot; aucun membre n'ayant parlé contre, M. Couthon les soumit à la délibération article par article, et l'Assemblée les adopta successivement. Mais au moment où le président mit aux voix le décret un assez grand nombre de membres invoqua la question préalable sur le tout: cette réclamation inattendue excita quelques momens de trouble et de bruit. Dès lors on distingua un côté gauche et un côté droit, avec cette différence entre l'Assemblée constituante et l'Assemblée législative, que dans l'une le côté droit s'était constamment montré l'ennemi du nouvel ordre de choses, et qu'ici il ne se montre opposant à de nouvelles mesures que par son religieux respect pour la Constitution et pour tout ce qu'avait fait ou conservé l'Assemblée constituante; en un mot, on peut voir la majorité du côté gauche de l'Assemblée constituante dans le côté droit de la législature, et dans le côté gauche de celle-ci la minorité fort accrue du côté gauche de la première Assemblée; et si le lecteur veut se rappeler entr'autres les discussions relatives aux événemens du mois de juin et à la révision de la Constitution, il ne s'étonnera pas que sous un certain rapport le côté droit de l'Assemblée législative soit encore le parti du trône, lequel retrouvait là, par son apparent amour de la Constitution, des amis et des défenseurs.

Cependant la question préalable fut rejetée, et le décret de MM. Grangeneuve et Couthon passa à une grande majorité. Du 6. Mais les opposans avaient un moyen qui souvent avait réussi dans l'Assemblée constituante; c'était de profiter dans la séance du lendemain de la lecture du procès verbal

--

:

pour revenir sur un décret rendu la veille; ils l'employerent avec succès dans l'intervalle il y eut d'ailleurs des pourparlers, et l'opposition se grossit de plusieurs membres du côté gauche.

M. Vosgien (immédiatement après la lecture du procès verbal). « Je viens m'élever non pas contre un décret rendu en apparence à l'unanimité, mais contre une étrange erreur qui l'a fait regarder comme un objet de police, et qui a empêché d'en concevoir les conséquences; je viens exiger en même temps l'exécution de l'article 4 (1) de la section II du chapitre III de la Constitution dans le premier exercice de nos fonctions.

» Une loi romaine condamnait à l'exil celui qui avait diminué la majesté du peuple, et parmi nous l'opinion publique, plus puissante encore dans sa vengeance, couvrirait celui qui se rendrait coupable de pareilles atteintes de l'empreinte ineffacable du mépris universel. Je ne crains point sa sévérité sur 'mes principes; mais plus le sujet que je traite peut prêter à de dangereuses interprétations, plus j'ai de droit d'obtenir de l'Assemblée quelques instans de silence et même d'attention.

» La vérité est enveloppée de voiles; il faut les déchirer avec courage, et la montrer tout entière; elle n'en paraîtra que plus auguste. Les applaudissemens donnés à toutes les motions d'hier me présagent une grande défaveur; mais le sentiment que j'ai de mon devoir me fait considérer comme une lâcheté de me taire; d'autres peuvent braver la foudre; j'expose, je le sais, ma tête nue à l'orage; mais j'ai tout vu, tout considéré, et je ne m'en suis pas senti moins fort.

Parcourons rapidement les motifs du décret d'hier, sa nature, et les effets qui en résulteront. Le roi des Français peut venir proposer au corps législatif les objets qu'il juge utiles à la chose publique, et c'est de la Constitution même qu'il en a reçu le droit; sa démarche est donc tout à la fois un acte de zèle et un nouvel acquiescement à la Constitution.

(1) « Il sera fait trois lectures du projet de décret à trois intervalles, dont chacun ne pourra être moindre de huit jours. »>

Ne perdons pas de vue surtout dans les circonstances où nous nous trouvons, ces traits sont précieux à recueillir, que le roi avait légalement fait la clôture de la session de l'Assemblée nationale constituante; cette Assemblée, pour éviter les variations, avait déterminé un cérémonial; et ce que les immortels auteurs de la Constitution avaient jugé convenable, lorsqu'ils auraient pu porter jusqu'à l'excès le sentiment d'une représentation qu'ils avaient remplie si glorieusement jusqu'à la fin de leur carrière, vous le regardez comme indécent pour la première opération de la vôtre! Sans doute il est très possible, et je le crois même, qu'elle s'est méprise dans les rapports publics qu'elle a établis; mais pensez-vous avoir mieux rencontré, avoir observé ce juste milieu que réclamait un des orateurs d'hier!

» Ne trouvez-vous pas au contraire cette matière infiniment délicate et digne d'être méditée dans le silence, au lieu de l'abandonner aux saillies de l'amour-propre ou au vague de l'orgueil! Soupçonnez-vous que la même séance qui a donné le jour à ce décret soit bien propre à pacifier les esprits, encore trop exaltés! Le fanatisme de la liberté peut n'être qu'une erreur qu'on peut excuser dans le simple citoyen; mais il devient dans le législateur une dégradation de son caractère. ( Applaudissemens.) Heureux celui que le sentiment du bonheur public éveille, qui se défend des illusions de l'amour-propre, plus actif dans la splendeur fugitive dont nous jouissons, mais qui préfère à tous les trophées de la gloire le plaisir d'être utile obscurément!

[ocr errors]

D'après ces observations j'oserai présenter la discussion d'hier comme prématurée, l'opinion comme très incertaine, et je ne crois pas me tromper sur les conséquences. La Constitution accorde au corps législatif la police de l'intérieur de l'Assemblée, dans le lieu de ses séances et dans l'enceinte qu'elle aura déterminée; mais cette police ne peut avoir pour objet que le service en quelque sorte mécanique de la salle, et il serait inconvenable que les relations qui existent entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif eussent pu paraître à une seule personne pouvoir en faire partie. Mais que dira-t-on de cet aveuglement général qui nous a empêchés de rejeter une

pareille interprétation, et pouvons-nous étendre et resserrer ainsi à notre gré les opinions quelconques? Et cependant cette interprétation n'est pas moins étrange que celle qui, expliquant tout l'article constitutionnel dont nous argumentons, comprendrait la France entière dans l'enceinte que nous pourrions déterminer, ce qui serait cependant très-commode, puisque par ce moyen nous nous passerions de toute espèce de sanction et d'approbation!

» Cette question a paru dans le moment même à plusieurs membres être peu de saison; ce décret a pénétré de douleur et d'effroi les membres de l'Assemblée nationale constituante, qui, riches de vertus et de l'estime publique, quittaient leurs places sans regret, croyant que des vœux qui n'étaient qu'isolés parmi eux allaient devenir unanimes parmi nous; ils en ont été plus effrayés que de toutes les circonstances critiques qui les ont environnés. Voici le sujet des appréhensions générales : une perte considérable sur les actions, une influence dangereuse sur l'opinion, une nouvelle espérance pour les ennemis de l'ordre public, toujours habiles à se parer des couleurs du patriotisme : voilà les effets qui en ont résulté dans la capitale; voilà ceux qui se communiqueront dans les départemens, non pas, je le répète encore par le vice même du décret, mais par sa seule inconvenance, quand même il serait sorti de la discussion la plus parfaite.

» Mais il y a plus encore; qui doute que l'adhésion du roi ne soit un des appuis de la Constitution, ou du moins qu'elle ne nous épargne de grands maux, quand même des succès indépendans d'elle couronneraient à la fin notre ouvrage? Nos intentions sont pures; mais qui empêche qu'elles ne soient travesties auprès de ce prince, qu'on ne lui fasse entendre qu'il va être sans cesse ballotté par les opinions divergentes des législatures successives, qui changeront à leur gré et sans qu'il puisse s'en défendre, et qu'on relâche ainsi insensiblement tous les liens qui l'attachent à la Constitution? Ah! craignons ce danger, et quand même, par le sentiment de la force publique ou par la pleine conviction de l'adhésion invariable du roi, on pourrait penser qu'il ne se laisserait pas séduire, craignons d'affliger l'âme aimante et sensible de Louis XVI; il est

« PreviousContinue »