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membres de l'Assemblée, au nombre de quatre cent quatrevingt-douze. Cette cérémonie nationale terminée, le viceprésident et les douze vieillards reportent aux archives le livre de la Constitution, et l'Assemblée et les tribunes s'abardonnent de nouveau à l'expression des plus vifs sentimens de respect, d'amour et de joie.

Le moment était enfin arrivé d'annoncer au roi que l'Assemblée législative était constituée : une députation de soixante membres est nommée à cet effet.

A l'hommage rendu à la Constitution va succéder pour ses auteurs un hommage non moins mérité sans doute, et contre lequel cependant osèrent s'élever quelques voix......

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DISCOURS et motion de M. Cérutti. (4 octobre 1791.)

Quatre cent quatre-vingt-douze députés viennent d'appuyer leurs mains patriotiques sur l'Evangile de la Constitution; ils ont juré de la défendre et de la maintenir jusqu'à leur dernier soupir.

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Après avoir rendu à la Constitution l'hommage religieux de notre fidélité et de notre obéissance il me paraît convenable d'offrir un sentiment juste et légal au corps constituant, qui nous tenons cet immortel bienfait. (Vifs applaudissemens.)

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de

Rien n'est plus commun que de jouir avec une ingratitude superbe du fruit des travaux publics; on craint de paraître idolâtre ou esclave des bienfaiteurs qui sont en place; mais lorsqu'ils ont perdu toute leur puissance on aime à reconnaître, on aime à honorer l'usage vertueux et utile qu'ils en ont fait.

» Le premier jour que notre Assemblée s'est ouverte j'ai considéré le peuple spectateur qui nous observait, et j'ai vu que ce bon peuple portait des regards de vénération sur les anciens législateurs dispersés en ces tribunes, et des regards d'espérance sur les législateurs nouveaux : ce partage de sentimens nous peint le mouvement général de la nation française ; - nous pouvons donc, nous devons donc, messieurs, ce me semble, céder au penchant national, et voter de solennels remer

ciemens à l'Assemblée qui avant nous a représenté, sauvé, régénéré la France. (Applaudissemens)

» Plus on a vu de troubles et de factions au milieu de cette célèbre Assemblée, plus on doit d'actions de grâces à l'élite des législateurs qui ont combattu et triomphé pour nous.

Investis d'une armée menaçante, ils l'ont repoussée et soumise par leur courage.

Enveloppés d'obscurités et d'incertitudes, ils les ont éclaircies et dissipées par leur génie.

» Entourés de ruines et de tempêtes, ils ont ramené l'ordre et le calme par leurs travaux et leur constance. (Applaudissemens.)

» Dans le lieu où nous siégeons aujourd'hui quelle foule de vérités, quelle source de lumières ils ont fait jaillir! S'ils ont laissé dans leur ouvrage quelque légère discordance, quelle a été, quelle est, quelle sera jamais l'Assemblée à qui l'on ne fera pas le même reproche! Quel sénat de Rome ou de Grèce, quel parlement britannique ou quel congrès américain a opéré de și grandes choses en si peu de temps, au milieu de tant d'obstacles, et avec si peu d'imperfections!

» Trois années ont détruit quatorze siècles d'abus, et ont préparé trente, quarante, cinquante siècles de bonheur.

les

» A mesure que temps vont se projeter sur leur ouvrage combien leur nom va s'agrandir! C'est à nous de précéder l'opinion publique; héritiers de leurs travaux immenses, c'est à nous de proclamer le premier acte de la reconnaissance française !

» Je propose donc, messieurs, le décret suivant :

» L'Assemblée nationale législative, succédant à l'Assemblée nationale constituante, reconnaissant que le plus grand bienfait possible était une constitution libre, décrète des actions de grâces universelles aux auteurs immortels de la Constitution française.

» L'Assemblée nationale législative s'empresse en même temps de rendre hommage aux grands exemples de magnanimité qui ont éclaté dans le cours de l'Assemblée nationale constituante, et qui resteront imprimés éternellement dans la mémoire du peuple français. »

Le discours de M. Cérutti avait été couvert d'applaudissemens: une grande majorité voulait que son projet de décret fût sur le champ mis aux voix; cependant une opposition, faible à la vérité, mais dont on doit faire mention à sa naissance, s'élève dans plusieurs parties de la salle le projet est mis aux voix; M. François Chabot veut proposer un amendement :

« Sans doute, s'écrie-t-il, nous devons de la reconnaissance aux législateurs qui nous ont précédés; mais peut-être ne serait-il pas digne de la sagesse de cette Assemblée de dire que la Constitution est la plus parfaite possible....

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De violens murmures interrompent l'orateur; de toute part on crie aux voix, et l'Assemblée décrète la motion de M. Cérutti; elle ordonne l'impression de son discours, l'insertion au procès-verbal, et l'envoi à tous les départe

mens.

Mais le lendemain, à la lecture du procès-verbal, l'opposition se remontre avec plus de force; elle ne voit qu'une flagornerie dans le décret de M. Cérutti. M. Chabot développe son amendement : il est appuyé par M. Quinette et par plusieurs autres membres, et le décret de M. Cérutti est réduit à ce paragraphe :

« L'Assemblée nationale législative, reconnaissant qu'une Constitution libre est le plus grand bien qu'un peuple puisse recevoir de ses représentans, vote et décrète des remerciemens aux membres de l'Assemblée constituante qui ont fait un fidèle usage des pouvoirs que le peuple français leur avait délégués.

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Discussion sur les titres

Du cérémonial à observer à l'égard du roi ;
de SIRE et de MAJESTÉ.

Du 5. T A l'ouverture de la séance M. Ducastel rendit compte à l'Assemblée de la mission que les soixante membres nommés la veille avaient été chargés de remplir. Ils s'étaient présentés chez le roi à six heures; Louis XVI leur avait fait dire par le ministre de la justice qu'il ne pourrait les

que

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recevoir le lendemain à midi : cette remise parut une inconvenance à la députation; elle crut devoir insister, et fut en effet rçue le jour même à neuf heures du soir. M. Ducastel, qui la présidait, dit au roi : « Sire, l'Assemblée nationale législative est définitivement constituée; elle nous a députés vers Votre Majesté pour l'en instruire. » Le roi avait répondu : « Je ne puis vous aller voir avant vendredi. » On applaudit à la courte harangue de M. Ducastel en ce qu'elle ne compromettait en rien l'Assemblée; la réponse du roi fut trouvée un peu familière. Mais une circonstance qu'on remarqua avec peine dans le récit de M. Ducastel c'est l'intermédiaire du ministre de la justice; on y vit la violation d'un décret formel de juillet 1789, portant que l'Assemblée nationale communiquerait toujours directement avec le roi de là une foule de propositions tendant à faire respecter la dignité de la nation dans la personne de ses représentans. M. Grangeneuve expose que le corps législatif et le roi sont deux pouvoirs indépendans l'un de l'autre, deux pouvoirs suprêmes, par conséquent deux pouvoirs égaux....(Non, non.-Ah! ah!) Ce sont des blasphemes politiques qui ne doivent point être prononcés à la tribune, s'écrie l'abbé Audrein. M. Grangeneuve, interrompu presque à chaque phrase, abandonne les développemens de son opinion, et finit en demandant la suppression des mots sire et majesté, la Constitution, dit-il, donnant au roi un plus beau titre, le seul titre de roi des François. La nouveauté de cette proposition frappa l'Assemblée d'étonnement; la majorité applaudit, et voulut aller aux voix .Plusieurs membres réclament l'ajournement; il est adopté quant à la manière de correspondre avec le roi, attendu qu'un décret de 1789 porte que ce sera directement, sans l'intermédiaire d'un ministre, et qu'il ne reste plus qu'à le faire exécuter; mais l'Assemblée décide qu'il y a lieu à délibérer sur un nouveau cérémonial à observer pendant la présence du roi à l'Assemblée. (Voyez tome V, page 137, le cérémonial adopté par l'Assemblée constituante.) Diverses propositions sont faites; M. Couthon les réunit dans un projet de décret qu'il motive en ces termes :

« Messieurs, dit-il, je me suis trouvé présent lorsque l'Assemblée nationale constituante a pris dans son sein des mesures pour recevoir le roi, et je vous avouerai, messieurs, que trois choses m'ont bien étonné dans les mesures qu'elle arrêta; la première, que lorsque le roi se présenterait dans la salle tous les membres seraient debout: jusque là il n'y avait point de mal; mais ces mesures ajoutaient que, le roi une fois arrivé à sa place, tant qu'il resterait debout tous les membres resteraient également debout; quand il resterait découvert tout le monde resterait également découvert, comme si en présence du premier fonctionnaire du peuple les représentans de ce peuple se transformaient tout à coup en véritables automates, qui ne peuvent agir, qui ne peuvent penser, parler et se mouvoir que par la volonté d'un homme! (Applaudissemens.)

» Une seconde chose qui m'étonna, beaucoup ce fut de voir qu'au moment où le roi arrivait au bureau l'on expulsât, si je puis me servir de cette expression, le fauteuil du présidant pour y substituer un fauteuil couvert de dorure, comme si le fauteuil national ne valait pas le fauteuil royal!

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Enfin, messieurs, une troisième chose porta dans mon âme plus que de l'étonnement; ce fut de voir que le président, qui parlait au roi, se servait encore de mots proscrits. Une loi (1) porte expressément que le titre de seigneur et de monseigneur ne sera donné ni pris par personne, et la Constitution, qui nous rend tous égaux et libres, ne veut point qu'il y ait d'autre majesté que la majesté divine et la majesté du peuple. (Applaudissemens. Bravo, bravo!) Le président se servit du mot sire, et dans le vieux langage le mot sire signifie seigneur, comme celui de messire signifie monseigneur. Je demande donc, messieurs, que le cérémonial, comine l'a dit le préopinant, soit réglé : nous ne pouvons et ne devons pas adopter le réglement qu'avait adopté l'Assemblée constituante; voici, messieurs, celui que je proposerais.

» Il me semble convenable que, le roi se présentant dans cette

() Voyez tome II, page 122, ct tome V, page 52 et suiv.

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