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sans pouvoir pour connaitre des demandes formées par les petits-fils d'Ecquevilly, défendeurs en cassation.

L'article 13, tit. 2, de la loi du 24 août 1790, dispose: « que les fonctions »judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions >> administratives; que les juges ne pourront, à peinc de forfaiture, trou»bler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs, pour raison de leurs » fonctions. >>

Cette disposition fut confirmée par la loi du 16 fructidor an 3, ainsi conçue: « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des » actes d'administration, de quelque nature qu'ils soient. >>

Enfin, l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an 8 s'exprime en ces termes : « Le conseil de préfecture prononcera sur le contentieux des domaines > nationaux. »

Il résulte clairement, de ce qu'on vient de lire, que les actes de l'autorité administrative sont hors de toute atteinte de la part de l'autorité judiciaire; que celle-ci ne peut rien faire qui tende, en quelque manière, à en changer les effets, à les modifier, les étendre ou les restreindre.

Tout, dans l'espèce, se réduit donc à savoir si les demandes des adversaires tendaient directement ou indirectement à invalider les actes administratifs par lesquels la propriété du domaine de Famechon avait été reconnue et le partage de ce domaine consommé.

Or, l'affirmative n'est pas douteuse, et l'on a prétendu vainement, devant la Conr royale, n'avoir aucune intention d'attaquer le partage et l'adjudication consommés par le préfet de la Somme.

Il était aisé d'apprécier une déclaration semblable, lorsque, dans la réalité, la réclamation de ceux qui la faisaient tendait à anéantir tout ce que l'autorité administrative avait fait et consommé.

Cette autorité avait partagé et vendu la terre de Famechon comme appartenant exclusivement à la succession d'Augustin-Louis d'Ecquevilly, au moyen de la renonciation faite à la communauté par Honorée de Joyeuse, son épouse.

La Cour royale d'Amiens a décidé précisément le contraire; elle a jugé que Famechon était un propre d'Honorée de Joyeuse, et que cet immeuble appartenait à sa succession, par exclusion de celle de son mari.

Peut-on dès-lors raisonnablement soutenir que ce ne soit pas là attaquer les actes administratifs du préfet de la Somme, les invalider, les anéantir?

En vain objecterait-on encore que la prétendue erreur dans la première qualification donnée à l'immeuble ne procède point de ces actes administratifs, mais seulement de l'arrêt du 21 avril 1809, du titre que la tierceopposition des adversaires a précisément pour objet de détruire.

Cette objection ne saurait affaiblir ni les droits de la demanderesse, ni la garantie qui lui est due par le gouvernement.

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D'abord, la demanderesse n'était pas et n'avait pas dû être partie à

l'arrêt du 21 avril 1809; le gouvernement n'y était point partie non plus. Ensuite il suffit, vis-à-vis des adjudicataires, que le gouvernement ait adopté à son profit cet arrêt, qui leur est étranger, qu'il l'ait pris pour base de son droit d'aliéner, pour que, vis-à-vis de ces adjudicataires qui sont des tiers, l'arrêt soit devenu un acte administratif, le propre acte du gouvernement; et ceux qui ont à s'en plaindre doivent s'adresser au gouvernement pour être indemnisés par lui.

C'est ce qui résulte de la disposition textuelle de l'article 94 de la constitution de frimaire an 8, ainsi conçu: « La nation française déclare » qu'après une vente légalement consommée de biens nationaux, quelle qu'en » soit l'origine, l'acquéreur légitime ne peut en être dépossédé, sauf aux >> tiers réclamans à être, s'il y a lieu, indemnisés sur le trésor public. »

Aux termes de cet article, tout se réduit, entre la demanderesse et les défendeurs, à l'examen de la question de savoir si l'adjudication a été lé galement consommée, et sur ce point on est parfaitement d'accord; la régularité des actes administratifs passés à ce sujet n'est aucunement con

testée.

Sous ces différens point de vue, les actes et procès-verbaux de M. le préfet de la Somme étaient irrévocables; l'arrêt dénoncé, en méconnaissant, ces principes, a donc encouru la censure de la Cour de cassation.

Les défendeurs en cassation ont cherché à réfuter ce moyen de la manière

suivante :

Un principe certain et d'ordre public, auquel la demanderesse elle-même rend hommage, veut qu'une décision ne puisse être réformée que par l'au torité qui l'a rendue. S'il est vrai qu'un acte administratif ne puisse être la même révoqué que par l'administration, il doit être vrai aussi, et par raison, que l'autorité judiciaire seule ait le droit d'annuller les décisions émanées des tribunaux.

Or, suivant ce principe, la Cour d'Amiens était nécessairement.compétente; la Cour d'Amiens seule pouvait connaître de la tierce-opposition formée contre l'arrêt qu'elle avait rendu.

Il n'est pas exact de dire, comme le fait la demanderesse, que cette tierceopposition avait pour objet immédiat d'anéantir les actes de partage et de vente faite par le préfet de la Somme; elle n'a eu d'autre objet que de faire juger la question de propriété du domaine de Famechon, question qui rentre essentiellement dans les attributions de l'autorité judiciaire.

Il est vrai que la Cour d'Amiens, en décidant que le domaine de Famechon était un propre de la succession d'Honorée de Joyeuse, a rendu les actes administratifs qui ont opéré le partage et la vente d'une partie de ce domaine, susceptibles d'être annulles; mais cela résulte de la force même des choses. Le partage, la vente administrative sont postérieurs à l'arrêt du 21 avril 1809, dont ils n'ont été que la conséquence; ces actes reposent donc sur cet arrêt du 21 avril, ils n'ont pas d'autre base. Si cet arrêt tombe ils doivent nécessairment tomber avec lui, rien ne peut plus les soutenir. L'intérêt que le Gouvernement peut avoir à faire maintenir le partage et

la vente, ne saurait changer l'état des choses. S'il est en butte à des actions en garantie de la part des adjudicataires, il ne peut s'en prendre qu'à lui; il s'y est exposé volontairement, en se commettant avec une confiance inconsidérée à une décision susceptible d'être réformée par une voie légale.

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ARRÊT.

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LA COUR, - sur les conclusions de M. le baron Mourre, procureur-général ; l'article 13, titre 2, de la loi du 24 août 1790;~Vu la loi du 16 fructidor an 3; Vu enfin l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an 8; CONSIDÉRANT que, par arrêté du préfet du département dela Somme, en date du 29 août 1809, il fut ordonné de procéder à l'estimation et au partage, en deux lots égaux, des biens situés dans ce département, dépendans de la succession d'Augustin-Louis Hennequin d'Ecquevilly; que cet arrêté fut pris sur la demande de l'un des créanciers qui y est énoncé; que cette demande avait pour objet de faire procé→ der administrativement au réglement définitif et au partage des droits acquis au gouvernement sur ladite succession, notamment sur le domaine de Famechon, comme en faisant partie; CONSIDÉRANT qu'en exécution de leur mission, il fut procédé, par les experts respectivement nommés par l'administration et les créanciers des héritiers regnicoles, à l'estimation et au partage du domaine de Famechon, comme dépendant de ladite succession; que, par arrêté du 13 janvier 1810, le préfet approuva les opérations des experts et ordonna le tirage des lots conformément à la loi du premier floréal an 3; que, par procèsverbal du 17 janvier 1810, le partage des biens provenant de ladite succession dans lesquels était principalement compris le domaine de Famechon, fut administrativement consommé, en présence du préfet, du directeur des domaines et des procureurs fondés des créanciers des héritiers regnicoles et de la demanderesse en cassation; que le premier lot échut au gouvernement, comme représentant les héritiers émigrés, et le second lot aux hériters regnicoles; que, le 19 décembre 1810, il fut procédé, à l'enchère publique, par l'administration, à la vente du lot du domaine de Famechon, échu au gouvernement, en vertu du partage de ladite succession; que l'adjudication de la presque totalité de ce lot fut faite à la demanderesse en cassation, pour le prix de 223,712 fr.; qu'il a été, sous ces rapports, formellement reconnu par l'administration que le domaine de Famechon était dépendant de la succession d'Augustin-Louis Hennequin d'Ecquevilly, et par conséquent up conquêt de la communauté; CONSIDÉRANT que Marie-Louise-Reine Delabarre, demanderesse en cassation, n'a été partie ni dans les arrêts attaqués par la voie de la tierce-opposition, ni dans aucune des procédures relatives à ces décisions qui lui sont étrangères; que les droits de la demanderesse en cassation reposent en entier sur les actes administratifs; qu'il est reconnu que, postérieurement à ces actes, elle a remboursé des créanciers hypothécaires de ladite succession, et qu'elle a été subrogée à leurs droits;-CONSIDÉRANT qu'en admettant la tierceopposition dont il s'agit, et en décidant que le domaine de Famechon était un propre d'Honorée de Joyeuse, et non un conquêt de communauté, la Cour royale d'Amiens a changé le caractère imprimé à ce domaine par l'administration; que les effets résultant de la reconnaissance de l'administration au profit des créanciers de ladite succession ont été aussi altérés par cette décision; que, par conséquent, ladite Cour a violé les lois qui défendent aux tribunaux de porter atteinte aux actes et aux ventes consentis par l'administration ;→ CONSIDERANT que l'admission de ce moyen dispense de s'occuper des autres moyens employés par le demandeur;- CASSE.

Du 24 juillet 1816. Section civile.-M. Brisson, président. M. le conseiller Vergès, rapporteur.- MM. Delagrange et Darrieux, avocats.

CONTRAT DE MARIAGE.-BIENS DOTAUX. INALIENABILITÉ. — INTÉRÊTS.-COUTUME DE NORMANDIE.

La dot constituée à la future avec remploi sur un immeuble situé en Normandie appartenant au mari, domicilié dans cette province, est-elle devenue par-là inaliénable, quoique les père et mère de la future et la future elle-même habitassent Paris avant le mariage et que le contrat de mariage, passé à Paris, ait établi entre les époux une communauté soumise aux règles tracées par la coutume de ce dernier lieu, avec dérogation expresse à cet égard à toute autre coutume, notamment à celle de Normandie? Rés. aff.

Dans cette hypothèse, les intérêts de la dot échus depuis le mariage sontils également inaliénables? Rés. aff.

Au mois d'octobre 1788, les sieur et dame Gaillourdet, originaires de Normandie, mais domiciliés à Paris, marièrent leur fille au sieur Villette de Raveton, domicilié en Normandie, et lui constituèrent une dot de 60,000 fr. Le contrat de mariage des époux fut fait à Paris; on y remarque les clauses suivantes:

Art. 1. « Les futurs époux seront communs en tous biens, meubles et conquêls immeubles, suivant la coutume de Paris, au désir de laquelle leur future communauté sera régie et partagée et les clauses du présent contrat exécutées, encore que par la suite ils établissent leur domicile, ou fassent des acquisitions en pays de lois et usages de disposition contraire, auxquels à cet égard il est expressément dérogé et renoncé, notamment la coutume de Normandie. »

Art. 6. « Le futur époux s'oblige à faire le remploi de la dot de la future sur tous ses biens situés en Normandie, et spécialement sur la terre de Raveton, comme dès à présent il l'y remplace. »

Le droit de viduité du futur époux sur les biens de la future qui en sont susceptibles, demeure fixé à l'usufruit de moitié desdits biens. »

Par actes des 12 août 1806 el 21 mars 1810, les sieur et dame de Raveton se constituerent débiteurs de la somme de 120,000 fr. au profit de la dame de Siry de la Neuville, aujourd'hui dame Descoudrès.

Le 21 mars 1810, ils vendirent la terre de Raveton au sieur Saillard, pour la somme de 200,000 fr.

Un ordre s'est ouvert sur ce prix.

Au mois de février 1811, le sieur de Raveton mourut; la dame de Raveton, sa veuve, renonça à la communauté et à la succession de son mari, et se présenta à l'ordre pour y réclamer le paiement de sa constitution dotale.

Les sieur et dame Decoudrès figuraient dans cet ordre, comme créanciers de 120,000 fr.

Ils avaient été, pour une partie considérable de leur créance, subrogés aux bypothèques d'un sieur de la Marre, hypothèques antérieures à celle

de la dame Raveton; ils furent donc utilement, et de préférence à elle, colloqués pour une somme de 107,000 fr.

Pour le surplus de leur créance, ils étaient primés par la dame de Raveton qui fut colloquée pour 22,024 fr. à valoir sur ses reprises et droits dotaux. Les sieur et dame Descoudrès, en vertu de leurs titres constitutifs de créance où la dame Raveton avait figuré, firent saisir sur elle le montant de sa collocation, entre les mains de l'acquéreur de la terre de Raveton. Leur saisie fut rejetée par jugement du 19 juillet 1813, sur le fondement que la dame de Raveton n'avait pu aliéner ni engager sa constitution dotale.

Sur l'appel qu'ils interjetèrent de ce jugement, les sieur et dame Descoudrès critiquèrent cette décision, et prétendirent subsidiairement qu'une partie de la somme de 22,024 fr., pour laquelle la dame de Raveton avait été colloquée, était destinée à payer les intérêts de la dot de cette dame. Or, disaientils, à supposer que la dame de Raveton n'ait pu engager sa dot, ni s'obliger au préjudice de sa constitution dotale, la même raison ne s'appliquerait pas aux intérêts.

La Cour de Caen, sans s'arrêter à cette demande subsidiaire, a, par arrêt du 17 mars 1814, confirmé purement et simplement le jugement dont était appel.

Les sieur et dame Descoudrès se sont pourvus en cassation contre cet arrêt, et ont présenté deux moyens.

Le premier consistait à soutenir que le contrat de mariage ayant établi une communauté entre les époux, conformément à la coutume de Paris, avec dérogation expresse à la coutume de Normandie, la coutume de Paris devait seule régir les clauses du contrat de mariage entier; que cette conséquence résultait, d'une part, de ce que le contrat de mariage avait été passé à Paris, et, d'autre part, de ce que la dot y avait été constituée par des père et mère domiciliés en cet endroit.

Or, disaient les demandeurs, suivant les articles 223 et 226 de la coutume de Paris, la femme peut aliéner et hypothéquer ses biens propres dotaux avec l'autorité et le consentement de son mari.

La Cour de Caen a donc violé ces articles en décidant le contraire, et fait une fausse application des articles 539, 540 et 542 de la coutume de Normandie.

Le second moyen des demandeurs était pris de ce que l'arrêt dénoncé avait déclaré inaliénables non seulement le capital, mais encore les intérêts de la dot de la dame de Raveton.

A supposer, répétaient-ils, que le fonds dotal fût inaliénable, jamais on n'a prétendu que le revenu de ce fonds fût inaliénable aussi.

Les fruits naturels ou civils, produits par la dot pendant le mariage, font nécessairement partie de la communauté qui a existé entre les époux de Raveton, communauté dans laquelle ces fruits sont tombés, communauté devenue la propriété exclusive de la succession du sieur de Raveton, par la renonciation de sa veuve.

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