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faveur des légalaires, il ne peut leur profiter; donc, admettre ceux-ci à prendre part dans les sommes rapportées, c'est méconnaître les motifs du rapport, c'est étendre arbitrairement son objet, c'est violer sa nature et

son essence,

Lorsqu'un héritier donataire venant à la succession offre de rapporter ce qu'il a reçu, ou bien lorsque le rapport lui est demandé par les cohéritiers, ce n'est certainement pas dans l'intérêt des légataires que le rapport se fait, mais uniquement dans celui des cohéritiers et pour rétablir l'égalité de leurs parts, que le défunt est censé avoir toujours eu l'intention de conserver. Or, dès que le rapport n'a lieu que dans l'intérêt des héritiers, dès qu'il n'a aucunement pour objet celui des légataires, comment raisonnablement accorder à ceux-ci le droit d'en profiter? Mais à quel résultat singulier ne conduit pas ce système? il a pour conséquence nécessaire de lier l'intérêt des légataires à celui des cohéritiers; il suit de là et de la distinction des demandeurs, que le droit des légataires de prendre part aux objets rapportés ne peut être exercé par eux que lorsque le rapport se fait volontairement ou bien est demandé par un cohéritier! or, la raison de cette différence, la raison, si l'on accorde ce droit aux légataires, de le rendre conditionnel et le subordonner à la volonté d'un cohéritier qui n'a rien de commun avec lui, qui, en exerçant la demande en rapport, ne fait qu'user d'un droit personnel attaché à la qualité d'héritier et des effets duquel il n'a aucun compte à rendre, ni aucun partage à faire avec personne?

Les demandeurs, ne pouvant, sans danger, aborder franchement l'article 857, ni répondre directement à la précision de son texte, ont cherché dans le Code d'autres articles étrangers à la matière du rapport, et par des inductions plus ou moins subtiles ils ont cherché à obscurcir et à éluder la disposition de cet article.

Ils ont dit d'abord que, suivant les articles 828 et 829 du Code, les dons faits en avancement d'hoirie doivent être rapportés, avant partage, à la masse générale de l'hérédité; que les sommes rapportées font partie de la succession, suivant les articles 855, 865 et 929, et qu'ainsi les lé-gataires d'une quotité fixe de la succession doivent prendre part dans les sommes rapportées, comme dans les autres biens dont l'hérédité se compose.

Si cette objection avait quelque fondement, il y aurait antinomie évidente entré les cinq articles cités et l'article 857; et alors, pour accueillir le système des demandeurs, il faudrait absolument rayer du Code la disposition de ce dernier article; mais quelques explications vont dissiper

'erreur.

Les articles 828 et 829 se trouvent dans le titre des successions; ils sont uniquement relatifs aux partages à faire entre héritiers, et sans doute il fallait bien, pour comprendre dans ces partages tout ce qui était à partager entre eux, réunir à la masse partageable les sommes sujettes à rapport de la part des héritiers donataires, précisément parce qu'il est dit dans les articles 843 et 857 que le rapport est dû par les héritiers donataires à leurs cohéritiers; mais, par la raison contraire, puisque le rapport n'est

dû que par le cohéritier à son cohéritier, puisqu'il n'est pas dû aux légataires, les articles 828 et 829 ne sont plus applicables aux partages à faire entre les héritiers et les légataires de quotités fixes. A l'égard de ces légataires, les sommes rapportées ne doivent plus être réunies à la masse partageable, puisqu'ils n'ont aucun droit sur ces sommes dont le rapport n'est ordonné qu'en faveur des héritiers.

C'est donc une erreur manifeste de prétendre qu'à l'égard des légataires, les biens donnés en avancement d'hoirie fassent partie de la succession; la disposition qu'en a fait le défunt, quoique sujette à rapport, les a fait sortir de la succession à l'égard de tous ceux auxquels le rapport n'est pas dû; et, aux termes de l'article 857, ces objets ont cessé de faire partie de la succession vis-à-vis des légataires.

Il suit de ces principes, ainsi que l'enseigne Levasseur, dans son traité de la portion disponible, page 150 et suivantes, que lorsqu'il y a dans une succession et des héritiers donataires, et un légataire d'une quotité fixe, il doit être fait deux masses distinctes et différentes pour les partages; la première, pour le partage à faire entre le légataire et les héritiers, ne doit comprendre que les biens dont le défunt était réellement possesseur au jour de son décès; la seconde, pour le partage à faire entre les héritiers, comprendra, outre les biens provenans du premier partage fait avec le légataire, les biens ou sommes rapportables par les cohéritiers en même temps donataires. On exclura les objets suceptibles de rapport du premier partage, parce que le rapport n'est pas dû aux légataires; on les comprendra dans le second, parce que le rapport est dû aux cohéritiers; cela est clair.

C'est ainsi que se concilient parfaitement avec l'article 857 les différens articles que les demandeurs ont essayé de mettre en contradiction avec lui. Ils ont en outre invoqué l'article 922 du Code civil, relatif à la fixation de la portion disponible et à la réduction des dons et legs. Voici notre réponse aux raisonnemens qu'ils ont faits sur cet article:

La réduction et le rapport sont deux choses bien différentes; elles sont parfaitement distinctes, elles n'ont pas les mêmes règles, elles ne produisent pas les mêmes effets. Dès-lors, il n'est pas concevable que, par de simples inductions tirées de quelques articles sur la portion disponible et la réduction, on prétende éluder la règle simple, claire et formelle spécialement établie pour les rapports, par l'article 857.

Dans l'espèce, il n'a jamais été question de la réduction du legs fait aux demandeurs : on n'a agité d'autre question que celle de savoir si les frères de Cour pouvaient, en leur qualité de légataires, prendre part aux sommes à rapporter par leurs sœurs; si, en un mot, le rapport était dû aux légataires; et pour prononcer sur cette question, la seule jugée par la Cour de Caen, il faut, comme elle, consulter la loi sur le rapport, et non la loi sur les réductions. Au surplus, de ce que, suivant l'article 922 du Code, pour déterminer la quotité de la portion disponible, il faut réunir à la masse des biens existans lors du décès du testateur, ceux dont il avait disposé auparavant avec ou sans obligation de rapport, il ne résulte pas plus que le légataire ait, en définitif, le droit de prendre part sur les biens qui sont sujets à rapport, qu'il n'en résulte que

le légataire puisse avoir ce droit sur les biens donnés irrévocablement et avec dispense de rapport; à l'égard des uns comme à l'égard des autres, la réunion n'est que fictive.

L'article 922 est puisé dans l'ordonnance de 1731; les articles 34 et 35 de celte ordonnance contenaient précisément la même disposition, et néanmoins on a toujours enseigné et tenu pour certain, depuis cette ordonnance, comme auparavant, que malgré la réunion fictive, nécessaire pour la réduction, le légataire d'une quotité fixe, parfexemple de la portion disponible, n'était pas recevable à demander le rapport aux cohéritiers donataires, pour computer la valeur de son legs sur les objets rapportés, parce que le droit de demander le rapport et d'en profiter est exclusivement propre aux cohéritiers, inter cohæredes.

Pothier, qu'il suffit de citer, dans son traité des successions, chapitre 4, article 2, S. 6, s'explique en ces termes : « Le rapport étant introduit pour établir l'égalité entre les enfans qui viennent à la succession de leurs père et mère, ou autre ascendant, il suit que l'enfant ne doit le rapport qu'aux autres enfans ses cohéritiers.... Si un père qui a deux enfans à l'un desquels il fait une donation entre-vifs, fait un tiers étranger, légataire du tiers de ses biens, ce légataire ne pourra prétendre aucune part dans le rapport des biens donnés entre-vifs à l'un des enfans, il n'aura que le tiers des biens qui se sont trouvés lors du décès; ceux donnés entre-vifs à l'un des enfans, se partageront entre les deux enfaus, car le rapport n'est dû qu'aux cohéritiers.>>

M. Merlin, dans son Répertoire, quatrième édition, au mot rapport à succession, S. 7, rappelle cette doctrine et ajoute : « l'article 857 dit la même

chose. »

Les demandeurs opposent encore qu'ils ont été institués légataires, par préciput, du quart de tous les biens meubles et immeubles qui composeraient la succession de leur père; que ce legs n'excède pas la portion disponible, puisque leur père est décédé sous l'empire du Code civil; qu'ils sont donc fondés à demander la totalité du legs sans aucune réduction, et qu'en conséquence, ils ont le droit de demander le quart de la succession. entière, le quart de tous les biens qui composent cette succession.

On a déjà répondu à cette objection, qu'à l'égard du légataire, le testateur avait fait sortir de la succession les biens dont il avait disposé entrevifs, même à charge de rapport; comme ces biens ne font pas, à l'égard du légataire, partie de la succession, le quart qui lui a été légué dans la succession ne peut frapper que les biens qui en font partie vis-à-vis de lui, et ne peut être pris conséquemment que sur les autres biens qui se trouvent dans l'hérédité.

On ne conteste pas que le père qui a laissé plus de trois enfans, ait pu léguer, par préciput, le quart de tous ses biens; mais on conteste que, dans ce legs, il ait pu comprendre le quart des biens dont il avait disposé auparavant par actes entre-vifs, et à charge de rapport, en faveur de ses autres enfans héritiers.

En un mot, la conséquence immédiate et nécessaire de l'art. 857 est qu'un père, en disposant par acte entre-vifs et même à charge de rapport, entame

N. 1.er-Année 1817.

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sa portion disponible, en ce sens qu'il s'enlève la faculté de léguer désor mais à quiconque la moindre portion des biens dont il a déjà ainsi disposé. Il a su, en faisant cette disposition, que, par la force de la loi, les choses dont il disposait ne seraient rapportables qu'à sa succession et qu'en faveur de ses héritiers, que ces derniers seuls auraient le droit d'en demander le rapport, et que tous auraient à cet égard un droit égal. C'est donc bien volontairement qu'il s'est dépouillé lui-même du droit d'en faire une autre disposition; et comme il ne pourrait révoquer en tout ou en partie la donation par lui faite à l'un de ses enfans, il ne peut pas non plus en altérer les effets par une disposition postérieure; d'où il suit qu'il ne peut plus disposer que des autres biens qui lui restent, et seulement pour la quotité permise par la loi. Cette conséquence est loin d'être déraisonnable, comme les demandeurs l'ont avancé. Le père qui a disposé d'une partie de ses biens, quoique sans dispense de rapport, s'est dessaisi, de son vivant, au moins des fruits que ces biens pouvaient produire, fruits qui, réunis à la masse de ses autres biens, auraient nécessairement augmenté sa succession, s'il n'en eût pas gratuitement disposé de cette manière, le donateur a réellement touché à la portion disponible, il l'a effectivement entamée en faveur des premiers donataires: et comme la réserve est favorable, comme elle est favorisée par la loi, comme enfin on ne peut étendre la portion disponible au-delà de la quotité déterminée, qu'il faut au contraire la restreindre strictement dans les limites que lui a assignées le législateur, c'est suivre exactement son intention, c'est se reufermer rigoureusement dans les termes de l'article 913 du Code, relatif à la portion disponible, que de raisonner comme nous le

faisons ici.

Les demandeurs ont aussi soutenu que l'héritier qui est en même temps légataire ne doit pas être considéré, quant à son legs, comme un légataire ordinaire, comme un légataire étranger, et qu'en conséquence, on ne peut lui appliquer la deuxième partie de l'art. 857, qui n'a pas été faite pour lui. C'est là encore une distinction arbitraire, parce qu'en statuant que le rapport n'est pas dû aux légataires en général, l'article 857 ne fait aucune distinction entre les divers legataires, héritiers ou non héritiers, parce qu'il ne contient aucune espèce d'exception relativement à ceux-là, parce qu'enfia on ne saurait en créer une sans modifier l'objet du rapport..

En effet, n'y a-t-il pas parité de motifs pour le légataire qui est en même temps héritier, que pour le légataire étranger? L'héritier peut bien, en cette qualité, invoquer la règle qui tend à rétablir l'égalité entre cohéritiers, mais il ne peut également l'invoquer en qualité de légataire, parce qu'il n'y a plus la même raison de le décider, parce qu'il y a une raison de décider le contraire. Est-ce pour rétablir l'égalité entre cohéritiers que le légataire veut étendre son legs sur les sommes rapportables? N'est-ce pas, au contraire, pour la rompre encore davantage?

Les deux qualités d'héritier et de légataire se trouvent à la vérité réunies sur la même tête, elles résident dans la même personne; mais il ne résulte pas de cette réunion que ces deux qualités soient confondues; il n'en résulte pas que chacune d'elles ne produise séparément les effets qui lui sont propres; il ne peut en résulter que l'une participe à la nature et aux droits de l'autre.

On a dit, sans fondement, que la qualité d'héritier étant la principale, c'était sur elle qu'il fallait baser les droits de celui qui joignait à cette qualité celle de légataire et faire abstraction de celle-ci : que, comme héritiers, les, frères Lecour avaient pu demander le rapport et accessoirement en profiter comme légataires.

Pour appliquer, avec quelque raison, à l'héritier qui est en même temps légataire, la première partie de l'article 857, il faudrait pouvoir dire que ce légataire est héritier, même quant à son legs, et cela n'est pas, cela ne saurait être : les deux qualités, pour reposer sur la même tête, n'en demeurent pas moins parfaitement distinctes; elles diffèrent nécessairement l'une de l'autre, soit quant à leur origine, soit quant à leur nature, soit enfin quant à leurs effets.

L'héritier est appelé par la loi, le légataire n'est appelé que par la volonté de l'homme; aux termes de l'art. 724, l'héritier est saisi, de plein droit, de la succession; aux termes de l'article 1011, le légataire du quart n'est pas saisi, il est tenu de demander la délivrance aux héritiers légitimes, et c'est ce qu'ont fait, dans l'espèce, les frères Lecour en qualité de légataires, c'est ce qu'ils ont dû faire. L'héritier est tenu des dettes de la succession, dans la la proportion de ce qu'il y prend, pro modo emolumenti: le légataire, à titre particulier et par preciput, n'est tenu d'aucunes dettes, quant à ce qu'il prend comme légataire.

On voit, par ces différences remarquables auxquelles il serait facile d'en ajouter beaucoup d'autres, que les deux qualités d'héritier et de légataire, quoique réunies, ne sont pas confondues; que renfermant des élémens divers, elles ne peuvent s'identifier; que les droits de l'une ne sauraient être étendus à l'autre; et que par conséquent l'héritier qui, en cette qualité, peut demander le rapport, n'a pas droit d'y prétendre en qualité de légataire.

Le dernier argument des demandeurs consiste à reproduire la disposition de l'article 922, et à dire qu'en suivant le système de l'arrêt dénoncé, il arrivera que le testateur, pour assurer l'effet de sa disposition, lorsqu'il voudra donner la portion disponible, devra exagérer sa libéralité et mettre par là les légitimaires dans la nécessité d'en demander la réduction, parce qu'alors, cette réduction se faisant d'après la base énoncée en l'article 922, le légataire prendra réellement le quart de tous les biens à rapporter, et conséquemment le quart de la succession; tandis que le légataire du legs dont on ne demandera pas la réduction, ne prendra que le quart des biens existans dans les mains du testateur au moment de son décès.

Cette objection est sans contredit la plus sérieuse de toutes celles que les demandeurs ont pu faire; elle naît de l'argument qu'ils ont déjà tiré de l'article 922 et auquel nous avons répondu un peu plus haut.

On ne peut se dissimuler que l'article 922, dans l'application qui en est faite au cas où la réduction du legs est demandée, ne présente une espèce d'antinomie avec l'art. 857, et d'antinomie difficile à expliquer. Mais la disposition de cet article 857 est tellement formelle, qu'il n'est pas possible de s'en écarter: au surplus, il y a peut-être bien quelque raison pour que le légataire profite du rapport, aux termes de l'art. 922, lorsque la réduction de son

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