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difficultés réelles que présente sa solution; elle a été agitée devant la Cour royale de Pau, le 13 juin 1810, et y a reçu une décision contraire à celle que nous allons rapporter. (Voy. le vol. 1810 de notre recueil, pag. 125. sup.)

Jean de Cour, cultivatenr en Normandie, avait neuf enfans; trois filles et six garçons.

Il maria ses trois filles dans le cours des années 1791, 1792 et 1794; toutes trois reçurent une dot, mais sous l'obligation de rapporter à la succession de leur père le capital et même les intérêts des sommes dotales à elles constituées, dans le cas où elles voudraient venir à partage.

Plusieurs années après, et le 19 juin 1807, le sieur Jean de Cour fit un testament par lequel il légua à ses enfans måles, par préciput et avec dispense de rapport, le quart de tous les biens qui composeraient sa succession, sans en rien excepter. -Il décéda le 17 avril 1811.

Dans ces circonstances, les filles du sieur de Cour et leurs maris ont demandé à venir au partage de la succession, du père commun, et prétendu y prendre une part égale à celle de leurs frères, nonobstant la renonciation contenue dans leurs contrats de mariage.

pas

Les frères leur out dit alors commencez par rapporter à la masse tout ce que vous avez reçu, capital et intérêts: ensuite, nous partagerons suivant nos droits, c'est-à-dire, nous prélèverons d'abord et sur le tout le préciput du quart, à nous attribué par le testament de notre père; puis les trois quarts restans seront également partagés entre nous tous. Non ont répondu les soeurs; le préciput du quart disponible qui vous a été légué par notre père ne doit se prendre que sur les seuls biens qui étaient dans ses mains au jour de son décès, et non sur les sommes qu'il nous avait avancées en dot et qui ne faisaient plus partie des biens dont il a déclaré vous donner le quart en préciput.

Sur ce débat, jugement du tribunal d'Argentan en date du 13 janvier 1813; puis, le 20 avril 1814, arrêt de la Cour royale de Caen confirmatif de ce jugement, dont voici la substance:

1o. Il s'agit d'une succession ouverte sous le Code civil: donc les, dispositions de ce Code sont applicables à l'espèce.

le co

Or, suivant l'art. 857 du Code civil, « le rapport n'est dû que par >> héritier à son cohéritier; il n'est pas dû aux légataires, ni aux créanciers » de la succession. »Dans l'espèce, les frères de Cour sont, il est vrai, tout à la fois cohéritiers en même temps que légataires; mais c'est comme légataires, et non comme héritiers, qu'ils demandent le préciput du à eux légué par le père commun.

quart

Donc, relativement à ce préciput, ils n'ont pas droit de demander aucun rapport à leurs sœurs.

2o. Quant à l'obligation imposée par le père à ses filles, de rapporter non seulement les capitaux des sommes qui leur ont été fournies pour dot, mais encore les intérêts de ces capitaux : c'est une stipulation illicite, c'est une clause pénale imposée dans la vue de les contraindre à exécuter une

renonciation prohibée par la loi, savoir par l'article 1130 du Code civil, qui interdit expressément la faculté de renoncer à la succession d'une personne vivante.

Pourvoi en cassation de la part des frères de Cour, fondé sur les moyens

suivans :

Premier moyen. Les demandeurs l'ont fait résulter de la violation des' articles 828, 829, 843, 857, 865, 913, 919, 922 et 929 du Code civil; et voici comment ils ont développé ce moyen.

La Cour royale de Caen a mal saisi le sens de l'article 857 du Code civil. Cet article dit bien que le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier, ce qui signifie que les légataires et les créanciers de la succession n'ont aucune action pour le demander; mais il ne dit pas que, lorsque ce rapport s'effectue sur la demande d'un cohéritier, les légataires et les créanciers ne puissent en profiter. S'il en était ainsi, si telle eût été l'intention du législateur, il l'eût formellement exprimée dans l'article 857, comme il l'a fait dans l'article 921 à l'égard des donatious entre-vifs dont les légataires ne peuvent demander la réduction, ni même profiter de la réduction demandée par d'autres que par eux.

Du moment qu'il existe plusieurs héritiers qui acceptent la succession les rapports qui peuvent être dus par quelques-uns d'entre eux tombent d'eux-mêmes dans la masse de la succession, parce que l'égalité qui doit régner entre les cohéritiers ne permet pas que les uns gardent quelque chose des biens du défunt, pendant que les autres seraient en danger d'acquitter sur leurs biens personnels les dettes et les charges de l'hérédité. La raison pour laquelle, dans ce cas, les légataires profitent du rapport, résulte› donc de ce que le rapport se fait en quelque sorte d'une manière nécessaire, de ce qu'il a lieu sponte sud et par la seule force des choses. Les biens sujets au rapport sont tellement censés n'avoir jamais cessé d'appartenir. au défunt, qu'aux termes de l'article 865 du Code civil, ils rentrent dans sa succession libres de toutes charges créées par le donataire.

La masse de la succession ne se compose donc pas seulement des biens restés dans la main du défunt jusqu'à sa mort; elle comprend encore ceux qu'il a donnés, sans dispense de rapport, à ses héritiers ou à quelques-uns d'entre eux. Aussi les articles 828 et 829 du Code veulent-ils que, lors de la composition de la masse générale qui doit se faire préalablement à la fixation des droits des cohéritiers, on procède aux comptes que les copartageans peuvent se devoir, et que chaque cohéritier rapporte à la masse les dons qui lui ont été faits et les sommes dont il est débiteur.'

Il résulte clairement de la lecture des articles 855 et 929, que le donateur n'est pas dessaisi de la propriété des choses qu'il a données, sans dispense de rapport, et qu'elles font en conséquence partie de sa succession. Comment douter, dès-lors, que le légataire, qui est institué par préciput pour le quart de la succession, n'ait le droit d'embrasser dans la supputation de cette quotité les sommes sujettes à rapport qui entrent d'une manière si nécessaire si positive, dans la masse de l'hérédité.

Suivant les articles 843 et 919 du Code civil, le testateur peut léguer, par préciput, à un ou plusieurs de ses enfans ou autres successibles, la totalité de la portion disponible; et, dans ce cas, l'héritier, qui est en même temps légataire, n'est pas tenu de rapporter; il prélève, sur la succession du testateur, toute la quotité disponible. Or, dans l'espèce, quelle était la quotité dont pouvait disposer Jean de Cour, père ? Elle était, aux termes de l'article 913, du quart de la succession, puisqu'il est décédé sous l'empire du Code, et qu'il a laissé plus de trois enfans; et, en effet, il a disposé, en faveur de ses fils, du quart de tous les biens meubles et immeubles qui composeraient sa succession.

Cependant, d'après l'arrêt dénoncé, les fils légataires ne prélèveraient pas ce quart tout entier, puisqu'on ne leur accorde que le quart des biensque le testateur possédait réellement au moment de son décès.

Les articles 843, 913 et 919 du Code civil ont donc été violés.

L'article 920 l'a été également. Cet article n'ordonne la réduction des donations et legs que lorsqu'ils excèdent la portion disponible. Le legs fait. aux fils Lecour n'excédait pas la quotité dont leur père pouvait disposer; cette quotité était, comme on l'a dit, du quart de la succession entière, et l'arrêt attaqué a réellement réduit le legs, en excluant de sa supputation les biens sujets au rapport qui devaient nécessairement y entrer.

L'arrêt de la Cour de Caen renferme une fausse doctrine, en ce qu'il donne à un simple avancement d'hoirie l'effet d'entamer la portion disponible et de modifier à cet égard la capacité du donateur. Aux termes des articles 855, 865 et 929, les objets sujets au rapport sont censés n'avoir pas cessé d'appartenir au défunt; et, par une conséquence pleine de justesse, ces objets sont rapportés à sa succession, aux termes de l'article 843. On ne conçoit donc pas d'aliénation; on ne peut, à plus forte raison, concevoir d'atteinte à la portion disponible.

L'article 922 est ainsi conçu: « La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur. On y réunit fictivement ceux dont il a été disposé par donation entre-vifs, d'après leur état, à l'époque des donations, et leur valeur, au temps du décès du donateur. On calcule, sur tous ces biens, après en avoir déduit les dettes, quelle est, eu égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, la quotité dont il a pu disposer. >>

Il est évident, d'après ce texte, que, pour déterminer, à l'égard d'un légataire, la quotité de biens dont il a pu être disposé en sa faveur, il faut réunir aux biens dont le défunt était en possession à son décès les sommes que sont tenus de rapporter les héritiers donataires. Le légataire profite donc des sommes qui sont rapportées par ces héritiers, puisqu'elles viennent augmenter et grossir la masse par leur réunion, et que la quotité disponible se compute sur le tout, sur la masse ainsi formée de tous les biens. Si, par exemple, comme ici, cette quotité est du quart, le droit du légataire se compose du quart de la masse de la succession, les objets susceptibles de rapport y compris; il a par conséquent le quart des choses rapportées, aussi bien que le quart du surplus de l'hérédité.

L'arrêt allaqué a cependant jugé que le légataire du quart disponible n'avait rien à prétendre sur les objets à rapporter; qu'il n'avait droit qu'au quart des autres biens de la succession. Cet arrêt a donc encore violé l'article 922; et, en refusant de concilier sa disposition avec celle de l'art. 857, il a donné à cette dernière une extension erronée et contraire à l'esprit de la loi; il en a fait une fausse application.

Il a aussi faussement appliqué cet article, en en décidant que l'héritier, qui est en même temps légataire par préciput, doit être considéré, à l'égard de son legs, comme un légataire ordinaire et étranger, et que, comme tel, on doit lui appliquer la seconde partie de l'article 857, qui refuse le bénéfice du rapport aux légataires.

Dès que le légataire est en même temps héritier, on ne peut plus isoler ces deux qualités; celle d'héritier est la principale, c'est celle qui l'emporte, c'est elle qui doit prévaloir, et c'est sur elle par conséquent qu'il faut baser les droits des fils Lecour. Or, le droit de demander le rapport est dû à l'héritier; donc les frères de Cour, en leur qualité d'héritiers, peuvent obliger leurs sœurs au rapport de ce qu'elles ont reçu, pour computer, sur ces objets réunis au surplus, la quotité de la libéralité, du legs, de la portion disponible à eux laissée par leur père.

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Le système de la Cour de Caen, condamné par les textes que nous venons de rapprocher, n'est pas plus soutenable aux yeux de la raison. Une hypothèse suffira pour en convaincre supposons que le legs fait par leur père aux fils de Cour eût outre-passé la portion disponible, et que les sœurs en eussent, par cette raison, démandé la réduction, que fút-il arrivé alors? La réponse est facile: on eût suivi la marche tracée par l'art. 922, on eût réuni fictivement, aux termes de cet article, les objets donnés et susceptibles de rapport aux biens restés dans la main du testateur; on eût composé du tout une masse, de laquelle on eût distrait le quart: cela est incontestable. Or, comment procéder différemment dans l'espèce, sans s'exposer à l'inconséquence la plus ridiculement bizarre? n'est-ce pas faire le sophisme suivant, et dire: toutes les fois que le testateur n'a pas outre-passé sa capacité, qu'il n'a donné que la portion disponible, et qu'il n'y a pas lieu de réduire sa libéralilé, alors, pour computer la quotité dont il a pu disposer, il faut rejeter l'article 922 et faire distraction des objets donnés auparavant, même de ceux donnés saus dispense de rapport, parce que, suivant l'article 857, le rapport n'est pas dû aux légataires; mais si le testateur a fait un legs excessif, qu'il soit réductible, et que la réduction en soit demandée, alors, rejetant l'art. 857, il faudra, aux termes de l'article 922, calculer la portion disponible à laquelle la libéralité faite en sa faveur devra être réduite, tant sur les biens restés en la possession réelle du défunt, que sur ceux donnés auparavant, susceptibles ou non susceptibles de rapport!...En un mot, le testateur, donnant la portion disponible, n'aura qu'un moyen d'assurer l'effet de sa disposition; ce sera d'exagérer sa libéralité et de mettre par là ses héritiers dans le cas d'en demander la réduction. On sent toute l'absurdité d'une semblable conséquence; on s'étonne que la Cour de Caen n'en ait pas été frappée, et l'on ne croit pas que les défendeurs puissent répondre à cette objection d'une manière satisfaisante.

Voici ce que les défendeurs en cassation ont répondu à ce premier moyen de cassation, soit dans leur mémoire en défense, soit dans leurs plaidoiries. Le texte, l'esprit et les motifs de l'article 857, repoussent également le système proposé par les demandeurs.

Le texte est clair et précis. L'article dispose d'une manière formelle que le rapport n'est pas dû aux légalaires, et la conséquence nécessaire, la conséquence forcée de cette disposition, c'est que les légataires ne peuvent rien réclamer dans les sommes rapportées par les cohéritiers donataires.

Vainement on cherche à persuader que, bien que les légataires n'aient pas le droit de demander le rapport, ils peuvent cependant en profiter, si les héritiers donataires rapportent volontairement ou sont tenus de rapporter sur la demande de leurs cohéritiers. Cette distinction, purement arbitraire, ne se trouve pas dans l'article; elle est même formellement repoussée autant par les termes dans lesquels cet article est conçu, que par l'esprit qui en a dicté la rédaction.

Par ses termes, et en effet l'article 857 ne se borne pas à dire que les légataires ne peuvent pas demander, ne peuvent pas exiger le rapport, il. dit d'une manière générale et sans exception, sans distinction quelconque, que le rapport ne leur est pas dû; or, on ne peut, en aucun cas, réclamer ce qui n'est pas dû; et il ne peut résulter, du droit que telle ou telle personne a de demander ce qui lui appartient, que telle ou telle autre puisse profiter de cette réclamation.

Par son esprit, l'article 857 ne renfermerait qu'une disposition puérile dans l'acception que les demandeurs veulent lui donner; car s'il était vrai que les légataires qui ne peuvent exiger le rapport, pussent cependant en profiter, lorsqu'il est demandé par les cohéritiers, il est évident que les donataires seraient toujours victimes de la collusion qui ne manquerait pas de se pratiquer entre les légataires et l'un ou plusieurs des cohéritiers; et, dans un autre sens, le droit des légataires de profiter des objets rapportés pourrait toujours aussi se trouver neutralisé et devenir illusoire par l'effet des arrangemens secrets faits entre les donataires sujets au rapport et leurs cohéritiers, pour ne partager qu'entre eux les choses à rapporter et empêcher les légataires d'y prendre part.

Les motifs sur lesquels repose l'article 857 jettent une nouvelle lumière sur la question et éclairent encore notre système.

Quel est le but du rapport, pourquoi l'a-t-on établi? son but immédiat est l'égalité, base naturelle des droits et des partages entre cohéritiers, et c'est pour rétablir cette égalité que le défunt est toujours présumé avoir voulu maintenir, lorsqu'il n'a pas expressément manifesté une volonté contraire, que le rapport a été imaginé: sur ce point, les lois et la doctrine, tant anciennes que modernes, sont d'un accord parfait, et toute citation, à ce sujet, devient superflue et inutile.

Dès-lors le que rapport n'a d'autre objet, d'autre but que l'égalité entre cohéritiers, il ne doit être fait qu'en leur faveur, il ne peut l'être en

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