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la succession, par préférence au mineur Rouxel, simple légataire.

Le tuteur de ce dernier a combattu cette prétention, et soutenu que, faute par les créanciers du défunt d'avoir demandé la séparation des patrimoines dans le délai de trois ans, fixé par l'art. 880 du Code civil, les biens de la succession s'étaient confondus avec ceux de l'héritier; que, les créanciers et les légataires étant devenus indistinctement créanciers de l'héritier, dès lors la somme à distribuer devait être partagée entre eux au marc le franc.

Cette défense, écartée d'abord par le tribunal civil de Valogne, fut accueillie, sur l'appel, par arrêt de la Cour de Caen, du 31 janvier 1821.

Cette Cour a considéré « que, par le fait d'une acceptation pure et simple d'une succession, l'héritier se trouve personnellement grevé des charges de cette même succession; qu'il suit de là que les légataires du défunt deviennent créanciers personnels de l'héritier, sans qu'il puisse être fait de distinction entre eux et tous autres qu'ils se seraient créés à quelque titre que ce soit: car, si les créanciers du fait de l'héritier l'ont pour obligé, à raison des valeurs qu'ils lui out fournies, les légataires du défunt l'ont également pour obligé, à raison des valeurs par lui trouvées dans la succession, et qui leur avaient été destinées jusqu'à concurrence de leurs legs par la volonté du défunt, valeurs légalement présumées suffisantes pour faire face à ces mêmes legs, lorsque l'héritier n'a pas usé de la ressource du bénéfice d'inventaire qui lui était ouverte ; Que Rouxel

a

d'autant mieux acquis la qualité de créancier personnel des héritiers Mauger-Deschenez, que non seulement il a contre eux leur acceptation pure et simple d'héritiers, mais encore qu'ils se sont obligés envers lui, par acte passé depuis l'ouverture de la succession, au paiement de la rente léguée ; qu'ils lui ont consenti hypothèque sur des biens héréditaires, en s'engageant à maintenir les rentes existantes sur Daigremont-Duvial, et qui devaient répondre du paiement de

celles qui grèvent les objets donnés en hypothèquo; que cependant ils ont disposé d'une portion desdites rentes, au mépris de leur promesse : ce qui a fait obtenir à Rouxel sur eux un jugement portant nouvelles hypothèques, tant sur leurs biens personnels que sur ceux provenus de la succession;

« Que, quels que soient les biens dont il s'agisse de distribuer le prix sur des héritiers purs et simples, les créanciers de la succession ne sont pas fondés, en l'absence de privilége ou hypothèque constitués par les voies ordinaires, à prétendre aucune préférence sur ceux de l'héritier, à moius qu'ils ne puissent recourir au bénéfice de la séparation des patrimoines;

« Que, dans le procès actuel, en fait, la séparation des patrimoines n'a pas même été demandée par Campion et Seillier en droit, elle l'aurait été inutilement, puisque la chose dont le prix est à distribuer consiste en rentes qui, d'après leur caractère mobilier, ne sont plus susceptibles, aux termes de l'art. 880 du Code civil, d'être l'objet d'une pareille demande, vu que plus de trois ans s'étaient écoulés entre le moment de l'ouverture de la succession et celui où la distribution des deniers a eu lieu ;-Qu'il est impossible à Seillier et Campion de se prévaloir ici de leur qualité de créanciers à titre onéreux de Mauger-Deschenez, par rapport à celle de légataire du même individu, qui appartient à Rouxel, pour opposer à ce dernier la règle suivant laquelle les légataires ne peuvent rien prétendre sur les biens de lasuccession, que les dettes ne soient préalablement payées : Nihil est in bonis nisi deducto ære alieno ; Qu'en effet, cette règle suppose nécessairement, par son application, que la succession et l'héritier sont restés ou peuvent se trouver replacés dans l'état d'êtres distincts et séparés l'un de l'autre; ce qui n'a pas lieu dans le cas soumis à la décision de la Cour, où il n'y a ni acceptation par bénéfice d'inventaire, par les héritiers Mauger, de la succession de leur auteur, ni séparation de patrimoines possible, et où, par conséquent, ik

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n'existe

de vue,

que

des créanciers des héritiers ayant, sous ce point des droits absolument égaux entre eux, etc. >> Pourvoi en cassation pour violation des art. 871 et 1024 du Code civil, et pour fausse application de l'art. 878 du même Code.

Pour pouvoir exercer des libéralités, disent les demandeurs, il faut d'abord payer ses dettes. De là ce vieil adage: Nemo liberalis nisi liberatus; de là encore la sage maxime': Non sunt bona nisi deducto ære alieno, de là l'art. 2093 di Code civil, qui déclare que les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers; de là enfin les art. 871 et 1024 du même Code, qui tous deux donnent une action hypothé<caire aux créanciers du défunt sur les biens héréditaires, et dont le premier oblige même le légataire à titre universel au paiement des dettes, au prorata de son émolument.

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Par l'exception que la Cour royale de Caen a voulu arbitrairement créer et consacrer, elle ne se borne pas à dispenser le légataire de toute contribution aux dettes, mais elle va jusqu'à l'enrichir aux dépens des créanciers du défunt! Est-il possible de concevoir une pareille doctrine en présence des art. 871 et 1024 du Code civil, qui, bien loin de lui accorder cette faveur, l'obligent, au contraire, soit personnellement, soit hypothécairement, suivant les cas, à payer ces mêmes créanciers?

Ici le vœu de la loi est tellement manifeste, qu'il s'agit, non pas de l'expliquer davantage, mais uniquement de répondre aux deux objections présentées par l'arrêt dénoncé, et reproduites par la défense de l'adversaire.

Or, quel est le premier motif de la Cour royale ? C'est que le legs fait au sieur Rouxel s'est converti en un droit de créance contre les héritiers Mauger-Deschenez.

Oui, sans doute, le légataire devient créancier de l'héri

tier pur et simple; mais cette vérité n'est plus qu'un paradoxe, quand on la généralise au point de vouloir trouver dans l'origine et dans tous les effets d'un titre purement gra

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tuit de sa nature l'origine et les effets d'un titre onéreux, pour lui en appliquer en toute occasion les avantages; et voilà l'excès auquel vient aboutir l'argument qu'on nous oppose. L'adversaire, non plus que la Cour royale, ne se bornent pas à dire que les héritiers Mauger-Deschenez sont tenus même, ultra vires, du paiement du legs de 50,000 fr., ce qui serait parfaitement juste; mais ils forcent la conséquence, et ils veulent la faire retomber sur les créanciers de même que sur les héritiers du défunt.

Il y a, dans cette manière de raisonner, une confusion ́d'idées qu'il faut éclaircir avec le secours des vrais principes sur lesquels la loi est basée,

Pourquoi les créanciers sont-ils préférés aux légataires en thèse générale? La raison en est déjà connue : c'est parce que les premiers certant de damno vitando, tandis que les seconds certant de lucro captando.

Eh bien! le rôle des créanciers et des légataires est-il changé quand le patrimoine dú défunt se trouve confondu avec celui de l'héritier? Ne s'agit-il pas constamment d'un préjudice pour les uns, et d'un profit pour les autres? Des lors, comment ne plus avoir égard à la différence des deux titres? et comment souffrir que les libéralités du défunt ́s'exécutent avant que ses dettes soient entièrement acquittées?

Répétera-t-on encore que le légataire est devenu créancier de l'héritier? Mais a-t-il cessé d'être légataire du défunt? L'origine de son droit n'est-elle pas toujours purement gratuite? et, si ce même droit acquiert accidentellement les effets d'une créance, peut-il jamais porter atteinte aux droits. bien plus sacrés des créanciers antérieurs?

Non, la nouvelle qualité de créancier de l'héritier pour le légataire ne saurait préjudicier à la préférence de la loi pour les anciens créanciers du testateur, et, s'il en faut une dernière preuve, la voici; elle est sans réplique :

La Cour royale de Caen avoue que, dans le cas où les créanciers et légataires ont obtenu la séparation du patrimoine du défunt d'avec le patrimoine de l'héritier, toutes

les prérogatives des droits de créancesont conservées, et qu'ainsi les légataires doivent être primés par les créanciers. Mais la séparation des patrimoines est surtout demandée lorsque l'hé ritier accepte purement et simplement la succession, et il arrive alors que les légataires sont créanciers de l'héritier pur et simple. Donc cette qualité de créanciers, acquise par les légataires, ne leur confère pas toute seule un droit égal à celui des créanciers du défunt, puisque ceux-ci leur sont toujours préférables dans un cas où les titres respectifs sont tous des titres de créance vis-à-vis de l'héritier. Ainsi disparaît irrévocablement la première objection de l'adversaire; mais elle nous amène à la seconde, tirée de la prétendue nécessité de la séparation des patrimoines, pour pouvoir conserver le privilége des créanciers personnels de l'héritier.

Désormais toute la cause se concentre sur cette seule et unique question.

Et d'abord, existe-t-il une disposition législative qui impose aux créanciers du testateur l'obligation de demander, même contre les légataires, la séparation des biens de la succession d'avec les biens de l'héritier?

L'art. 878 est ainsi conçu: « Ils peuvent (les créanciers du défunt) demander dans tous les cas et contre tout créancier la séparation du patrimoine du défunt d'avec le patrimoine de l'héritier. »

Par ces expressions contre tout créancier, le législateur a voulu parler uniquement des créanciers personnels de l'héritier, par opposition aux créanciers du défunt. En effet, comme le dit Pothier, Traite des Successions, chap. 5, § 6, art. 4, le but de la séparation des patrimoines est de faire payer les créanciers et légataires du défunt sur les biens de la succession, préférablement aux créanciers de l'heritier; et l'art. 2111 du Code civil déclare en termes exprès que les légataires peuvent demander la séparation des patrimoines comme les créanciers, aux termes de l'art. 878. Mais la séparation des patrimoines ne peut pas être en même temps dem andée et par le légataire et contre lui. Il en a besoin-vis

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