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A son tour, la demoiselle Barjeton-Massargues est décédée,

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le 20 mars 1822, laissant pour son seul et unique héritier le sieur Barjeton-Durfort son neyeu.

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Le sieur Auguste Barjeton a alors demandé la nullité de l'acte du 5 janvier 1815, et a offert de compenser la somme de 6,000 fr. par lui reçue, avec cinq annuités de la pension alimentaire.

Un jugement du tribunal civil d'Uzès, du 2 juillet 1822, a accueilli cette demande : il a annulé l'acte du 5 janvier 1815; condamné le sieur Barjeton-Durfort, en sa qualité d'héritier et représentant de la demoiselle Barjeton - Massargues, au service de la pension; l'a condamné aussi au paiement des arrérages courus depuis le 5 janvier 1815, jour dụ jugement; a ordonné que, sur le montant des arrérages, le sieur Auguste Barjeton serait tenu d'imputer la somme de 6,000 fr. qu'il avait reçue de la demoiselle Barjeton; a délaissé les parties à se régler, ainsi qu'elles l'aviseraient, pour faire fixer la valeur en argent de la pension arréragée, et a ordonné l'exécution provisoire de son jugement.

Appel de la part du sieur Barjeton-Durfort.

Il n'appartient pas aux tribunaux, a-t-il dit, de créer des 'lois, ni d'étendre celles qui sont faites hors des cas qu'elles ont en vue. Or aucun article du Code civil, soit au titre des Obligations, soit au titre des Transactions, ne défend de traiter ou de transiger sur les dons et legs d'alimens. Dès lors, l'on doit suivre le principe qui veut que l'on puisse faire tout ce que la loi ne défend pas.

Et d'ailleurs, nous pouvons invoquer l'ancienne jurispru dence car s'il était défendu de transiger, sans l'autorité de la justice, sur un legs d'alimens, il est certain que cette défense n'existait pas pour les pensions alimentaires qui, comme dans l'espèce, étaient constituées par actes entre vifs. Cette distinction, qui était puisée dans les lois romaines (L. 8, § 2, D., de Transactionibus), était suivie par tous les arrêts et enseignée par tous nos auteurs. Il suffira de consulter le Répertoire de jurisprudence, au mot Alimens, § 8, où M. Merlin va même jusqu'à enseigner que, le Code civil

n'ayant pas renouvelé la défense de transiger sur les legs d'alimens, cette défense est par cela seul abrogée : ce jurisconsulte cite la loi du 30 ventôse an 12, art. 7.

Pour le sieur Auguste Barjeton, intimé, on répondait d'abord que l'intention du donateur avait été manifestement qu'il ne pût (l'intimé) aliéner la pension alimentaire qui lui était faite. En effet, le testateur, connaissant les goûts dissipés de son neveu, avait voulu lui assurer des moyens d'existence qui ne pussent jamais lui manquer : voilà pourquoi il ne lui avait fait d'autre don que celui d'une pension alimentaire, et encore avait-il eu la précaution de stipuler qu'elle lui serait payée en nature. L'acte du 5 janvier 1815, contenant aliénation de cette pension, est donc contraire au vœu clairement manifesté du donateur.

Peu importerait, d'après cela, que cet acte fût ou non en opposition avec les principes des lois romaines; mais s'il est vrai que la loi 8, D., de Transact., contienne à cet égard une distinction entre les dispositions testamentaires et celles entre vifs, cette distinction, dont on ne voit pas la raison, ne se retrouve plus dans la loi 8, au Code, même titre, qui contient la même prohibition; et il paraît constant, malgré l'autorité du Répertoire, qu'elle n'était pas suivie par les tribunaux. Ici l'intimé citait plusieurs arrêts rapportés par Papon, liv. 18, tit. 1er, arrêt 20; par Boniface, tom. 1o, liv. 2, tit. 31, chap. 19; par Catelan, liv. 1er, chap. 37; au Journal du Palais de Toulouse, tom. 3, arrêt 226.

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D'ailleurs, les lois nouvelles n'ont pas dérogé à cette ancienne jurisprudence, et bien loin de là. En effet, l'art. 1128 du Code civil veut qu'il n'y ait que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions : or la faculté de se faire loger, nourrir et vêtir, n'est pas dans le commerce. L'art. 1293 ne permet pas que la compensation ait lieu dans le cas d'une dette qui a pour cause des alimens déclarés insaisissables. Enfin, l'art. 2045 porte que, pour transiger, il faut avoir la capacité dé disposer des objets compris dans la transaction. Voilà pour le Code civil. Si nous

passons maintenant au Code de procédure, nous trouvons que l'art. 581 déclare les pensions alimentaires insaisissables, et que l'art. 1004 défend de compromettre sur les dons et legs d'alimens. Tout annonce donc que l'esprit de l'ancienne législation a passé dans la nouvelle, et qu'ainsi, aujourd'hui comme autrefois, il n'est pas permis de traiter ni transiger sur des dons ou legs d'alimens.

Du 18 décembre 1822, ARRÊT de la Cour royale de Nismes, ire chambre, M. de Cassaignoles premier président, M. Enjalric premier avocat-général, MM. Monnier-de-Taillades et Baragnon fils avocats, par lequel :

« LA COUR, -Attendu que l'intention bien manifestée du donateur était que les alimens qu'il chargeait la demoiselle Barjeton-Massargues de fournir au sieur Auguste Barjeton fussent perçus en nature;-Que ladite demoiselle Barjeton n'a pu s'affranchir de l'obligation de les fournir de cette manière, sans manquer à la volonté du donateur;

« Attendu que la loi 8, au Code, de Transactionibus, prohibe toute transaction sur les alimens sans l'autorisation du préteur;-Que, si la loi 8, ff., restreint cette prohibition aux alimens laissés par disposition de dernière volonté, on n'en peut rien conclure en faveur de l'acte attaqué, parce que le don d'alimens dont s'agit au procès, bien que renfermé dans une donation entre vifs, était cependant révocable au gré du disposant, avait trait à sa mort, et était, par conséquent, une véritable disposition à cause de mort;

<< Attendu que le Code civil n'a abrogé les lois antérieures que dans les matières qu'il a réglées; - Que le Code civil n'a rien réglé spécialement à l'égard des transactions sur les alimens; - Qu'on peut, au contraire, induire des art. 1128, 1293, 2045 du Code civil, et des art. 581 et 1004 du Code de procédure civile, que le nouveau droit n'a rien changé à l'ancien sur cette matière; - Par ces motifs, Dir bien jugé, mal et sans grief appelé; ordonne, en conséquence, que le jugement dont est appel sortira son plein et entier effet. >>

COUR DE CASSATION.

Un droit mobilier, consistant dans un titre de créance, dont la propriété ne peut être réellement acquise au nouveau propriétaire par la tradition simple, mais à l'aide d'un titre écrit, et en y observant les formalite's prescrites par la loi, peut-il faire l'objet d'un don manuel et sans écrit? (Rés nég.)

LORRAIN, C. LES HÉRITIERS ROMANET.

Il n'est plus permis de révoquer en doute, aujourd'hui et dans l'état de la jurisprudence de la Cour de cassation et des différentes Cours d'appel du royaume, que les effets mobiliers dont la propriété se transmet définitivement par la simple tradition ne puissent faire l'objet d'un don manuel irrévo→ cablement acquis au donataire : ce qui est une conséquence du principe consacré par l'art. 2279 du Code civil, que la possession vaut titre. Mais on ne peut le dire ainsi de ceux où il est besoin de quelque chose de plus pour en transférer la propriété réelle : des droits incorporels, par exemple, qui ne sont transmissibles que par la voie de la cession ou du transport, dont les règles sont tracées au chap. 8, tiť. 6, liv. 3, du même Code. Dans ce cas le cédant n'est réellement dépouillé, soit qu'il confère l'objet à titre de donation ou autrement, que par un acte écrit qui en opère la transmission, et propre à être signifié au débiteur. Indépendamment de la tradition manuelle du titre de la créance, cet acte doit être fait dans la forme ordinaire des actes, lorsqu'il s'agit de créances ou de droits fondés sur des titres publics et authentiques, et soit que le transport ait lieu à titre gratuit ou onéreux; mais lorsqu'il a pour objet des effets négociables, un simple endossement suffit, parce que la loi n'exige pas autre chose pour en transmettre la propriété.

C'est ce qui résulte de la jurisprudence des arrêts déjà recueillis dans ce Journal, et de ceux qui ont été rendus depuis. Tome I de 1824. Feuille 4:

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-Un premier arrêt, rendu par la Cour royale de Paris, le 6 mai 1815, décida que les dons d'effets mobiliers, lorsqu'il y avait tradition réelle, n'étaient sujets à aucune autre formalite (1). Dans l'espèce qui y est jugée, l'objet donné étaît un billet à ordre; mais il avait été endossé par le donateur au profit du donataire.-L'endossement par lequel le premier déclarait en faire le don au second, suivi de la tradition, avait suffi pour en transporter la propriété à celui-ci ; et c'est dans ce sens qu'il faut entendre le motif de l'arrêt où il est dit que, lorsqu'il y avait tradition réelle, il n'était pas besoin d'autres formalités pour opérer le transport.

La Cour royale de Besançon décida aussi, par arrêt du 15 décembre 1812, que le don de billets à ordre pouvait être fait par la voie d'un endossement en blanc, accompagné de tradition, même par l'intermédiaire d'un tiers, en même temps qu'elle maintint le don d'autres effets meubles par leur nature; et le pourvoi qui avait été formé contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation, le 12 décembre 1815 (2), par le motif que la tradition réelle des objets donnés, et l'endossement des billets, quoique fait en blanc, en avait transmis la propriété au donataire.

A la vérité, la Cour de Paris a jugé, par arrêt du 4 mai 1816 (3), relativement aux manuscrits laissés par MarieJoseph Chenier, et dont une dame Lesparda prétendit qu'il lui avait fait la donation manuelle, que la tradition d'objets semblables de la part d'un auteur mourant, ne pouvant étre faite qu'en vue de la mort, devait étre réputée faite à cause de mort, et soumise comme telle aux formalités des testamens; —Et qu'en outre, des faits et circonstances de la cause, il résultait au plus la présomption d'un dépôtès mains de la femme Lesparda. — Mais l'on ne peut pas induire de cet arrêt, qui fut dicté par des motifs particuliers résultans

(1) V. ce Journal, tom. 2 de 1815, p. 308.
(2) Idem, tom. 2 de 1816, pag. 449.
(3) Idem, tome 1er de 1817, pag. 76.

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