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S II.

LE PRÉFET DE LA SOMME, C. GEUSE ET COMPAGNIE.

Les sieurs Geuse et compagnie possédaient à Amiens une isine qui se trouvait dans la direction du canal d'Angouême, et dont, par conséquent, le préfet de la Somme a rélamé l'abandon pour cause d'utilité publique.

Mais l'administration et les propriétaires n'ont pu s'accorler pour la fixation de l'indemnité. Un jugement du tribunal civil d'Amiens l'avait fixée à 50,000 fr.; mais les deux parties, nécontentes de ce jugement, en ont respectivement intereté appel...

Sans attendre l'issue du procès, M. le préfet a demandé Jue, vu l'urgence des travaux, il fût provisoirement autorisé i s'emparer de l'usine et à la faire détruire, sauf à payer enuite l'indemnité qui serait fixée par l'arrêt de la Cour royale. Ce magistrat se fondait sur les art. 19 et 20 de la loi du 8 mars 1810.

Mais les défendeurs ont répondu que ces dispositions législatives avaient été abrogées par l'article 10 de la Charte constitutionnelle, et qu'aux termes de cet article la dépossession du propriétaire ne pouvait avoir lieu qu'après le paiement de l'indemnité convenue ou judiciairement fixée.

Le tribunal civil ayant accueilli ce système de défense, M. le préfet a déféré sa décision à la censure de la Cour d'appel d'Amiens.

La Charte constitutionnelle, a-t-il dit, est une loi générale et politique qui n'a pu abroger les lois spéciales qui régissent certaines matières. Or la loi du 8 mars 1810 est par-› ticulièrement destinée à régler l'application du principe qui fait céder l'intérêt privé à l'utilité publique. C'est elle qui détermine les formes à suivre, soit pour constater la nécessité de l'expropriation, soit pour terminer les difficultés qui peuvent s'élever entre l'administration et les propriétaires sur l'importance de l'indemnité. Ainsi, lorsque les deux parTome I de 1824. Feuille 30o.

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ties sont d'accord sur la valeur de l'objet à céder, tout se règle entre elles de gré à gré. Mais si la fixation amiable devient impossible, ce sont les tribunaux qui doivent prononcer. Et pour régler les indemnités, ils sont obligés de recourir soit aux baux, soit aux ventes antérieures, et à défaut de as documens, d'ordonner des expertises. On sent que cette manière de procéder peut entraîner des retards qui seraient préjudiciables à la chose publique, et que si, la nécessité de l'expropriation une fois reconnue, il fallait encore attendre la fin du procès sur les indemnités pour se mettre en possession de l'objet exproprié, cette nécessité rendrait souvent illusoire le privilége que donne la cause d'utilité publique. Il est donc évident que les considérations qui ont fait admettre le principe de l'expropriation obligée pour cause d'intérêt public, militent également pour la mise en possession provisoire de l'administration, pendant la durée du litige, lorsqu'il y a urgence. Les auteurs les plus recommandables, ceux même qui ont écrit sur le Code civil, depuis la Charte, n'y trou vent aucune difficulté, Voici comment s'exprime, à cet égard, M. Toullier: « Quelque célère que soit cette proce

dure (sur les indemnités), il peut y avoir urgence à com << mencer les travaux avant la fin du litige: le tribunal << peut alors ordonner provisoirement la mise en possession << de l'administration avant l'évaluation des indemnités, etson a jugement est exécuté nonobstant appel ni opposition. () Ainsi, en écartant la demande de mise en possession fondée sur l'urgence, le tribunal civil a commis une grave erreur, que sans doute la Cour royale s'empressera de réparer.

D

Inutile d'exposer les moyens des intimés, puisqu'ils se confondent avec les motifs consacrés par l'arrêt de la Cour. Du 22 mars 1823, ARRÊT de la Cour d'appel d'Amiens, par lequel:

<«< LA COUR, Considérant qu'aux termes de l'art. 545

(1) Voir le Droit civil français, tom. 3, liv. 2, tit. 2, chap. 4, des Al nations pour utilité publique, p. 177, no 274.

Code civil, nul ne peut être contraint de céder sa proiété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennt une juste et préalable indemnité; Que l'art. 7 de la arte constitutionnelle consacre l'inviolabilité des proprié5; - Que, suivant l'art. 10, l'État peut exiger le sacrifice une propriété pour cause d'intérêt public légalement conaté, mais avec une indemnité préalable; — Qu'il suit de qu'un propriétaire ne peut, pour quelque motif que ce it, être ni définitivement ni provisoirement dépossédé par administration qu'après l'évaluation et le paiement de ndemnité;

« Considérant que la loi du 8 mars 1810 a, d'abord par son rt. 19, ensuite par son article 20, évidemment dérogé aux ispositions du Code civil, et créé de nouvelles exceptions u principe qu'il consacre;- Mais que ces dérogations, qui nt pu avoir leur effet avant la promulgation de la Charte, nt cessé d'exister, quels que soient les motifs qui les avaient it admettre, par la force de l'art. 10 de cette loi fondamenle, avec lequel elles sont inconciliables; Que cet article n'a é inséré dans le Code politique des Français que pour rendre ésormais impossibles les atteintes portées à la propriété par législation précédente; - Que d'ailleurs la Charte a, par disposition de l'art. 68, expressément abrogé toutes les is antérieures qui lui sont contraires; Que, par conséient, elle ne s'est pas bornée à établir des principes pour

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législateurs, mais qu'elle a aussi imposé des règles aux ges et à tous les pouvoirs; Que c'est pour cela que dans ut le royaume l'autorité judiciaire a cessé de se conformer x dispositions du Code d'instruction criminelle et de la du 20 avril 1810, relatives aux tribunaux spéciaux, quoie ces dispositions n'aient été abrogées par aucune loi autre e la Charte, à laquelle elles sont contraires; હૈ Qu'ainsi est avec raison que les premiers juges ont écarté l'applican de l'art. 19 de la loi du 8 mars 1810; - Que leur déciin est fortifiée, non seulement par l'ordonnance du Roi du avril 1816, qu'ils ont citée, mais encore par l'art. 15 de

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la loi du 17 juillet 1819, et par l'art. 50 de l'ordonnance de Roi du 1er août 1821, relatifs aux servitudes imposées à la propriété pour la défense de l'État; —Que l'abrogation spéciale des dispositions de la loi du 8 mars 1810 qui sont contraires à l'art. 10 de la Charte constitutionnelle est même expressément déclarée dans les motifs de cette dernière ordonnance; - D'où il résulte que, si l'intérêt même 'de la défense de l'Etat n'a pu faire fléchir en faveur du domaine militaire la règle tracée par l'art. 10 de la Charte, les tribunaux ne sauraient la méconnaître, pour hâter des travaux qui sont à exécuter dans l'intérieur du royaume, quelle que soit leur utilité;

« MET l'appellation au néant, ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet. »

B.

COUR D'APPEL DE GRENOBLE.

Une condition résolutoire expresse doit-elle étre exécutée à la rigueur, si l'événement arrive, de telle sorte que les juges ne puissent en modifier l'efficacité, et, par exem ple, accorder un délai au débiteur? (Rés. aff.) (1)

DUMAS ET CONSORTS, C. LES HÉRITIERS DURAND..

Le sieur Dupérier est décédé le 28 septembre an 12, apres avoir fait un testament contenant des legs au profit des sieurs Dumas, Commarmont et autres, pour une somme de 42,000 fr., outre une rente viagère de 1,500 fr., et une in stitution d'héritier en faveur des sieurs Baroud père et fils. ses beau-frère et neveu.

Ceux-ci n'ont accepté la succession que sous bénéfice d'in

(1) V. cc Journal, collect. de 1806, pag. 97 ; tom. 1er de 1812, p.50%; tom. er de 1815, pag. 166; tom. 2 de 1815, pag. 153, etc.

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entaire; ils ont fait vendre les biens, et un ordre a été

uvert.

Le sieur Durand a demandé à être colloqué pour une omme de 20,000 fr., montant d'une obligation notariée du * germinal an 12, souscrite par le sieur Dupérier au profit u sieur Baroud père, et endossée par ce dernier au sieur urand, le 20 juillet suivant.

Les légataires particuliers se sont aussi présentés à l'ordre, t ont réclamé la priorité sur le sieur Durand. Pour établir ette prétention, ils rapportaient un acte sous seing privé, u'ils avaient découvert, daté du 2 germinal an 12, et qui vait modifié l'obligation passée au profit du sieur Baroud. 'n effet, le sieur Dupérier y présentait l'état de son actif et e son passif; il déclarait que ses dettes ne consistaient u'en une rente de 1,120 fr., au capital de 28,000 fr.-, et en ne somme de 4,005 fr., due à ses frères et sœurs pour cerains droits héréditaires; il s'y réservait la faculté de disposer ar testament d'une somme de 42,000 fr. au profit de telles ersonnes qu'il lui plairait de choisir, d'une partie de son nobilier jusqu'à concurrence de 1,500 fr., et d'une pension iagère de 1,500 fr. en faveur d'une de ses tantes. Il se réservait de plus la liberté de disposer de certaines pièces de ré. Enfin, on lisait cette clause ; « Le sieur Baroud s'en< gage d'honneur et d'amitié à respecter les dispositions du ‹sieur Dupérier, et à n'user de ses titres que sous la condi‹tion préalable et privilégiée de l'acquittement de ces dispositions; bien entendu néanmoins que ledit Dupérier ne fera de son vivant aucune aliénation des biens qu'il possède actuellement, si ce n'est des pièces de pré ci-dessus réservées, et qu'il ne les engagera à aucune autre dette que celles ci-dessus exprimées; et que, dans le cas d'aliénation desdits biens, ou d'affectation à d'autres engagemens que ceux susdits, Baroud reprendra l'exercice de ses droits x et actions, et fera valoir, à son profit, ses titres de «créance, comme si le présent n'avait pas eu lieu.»

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