Page images
PDF
EPUB

d'entrevoir une époque, même peu éloignée, dans laquelle toutes les prisons que l'on aurait d'abord établies ne seraient plus nécessaires ? Mais qui ne voit qu'elles pourraient alors contribuer efficacement à remédier à un autre mal grave, que j'ai quelquefois entendu qualifier de lèpre, je veux dire le vagabondage et la mendicité? Et ne serait-ce pas un double service dont nous lui serions redevables ?

Mais les difficultés que je viens d'examiner, bien que les plus graves, ne sont cependant pas

les seules que présente l'adoption de la grande réforme qui nous occupe. D'après MM. de Beaumont et de Tocqueville, « Il y a encore, chez nous, des obstacles dans les moeurs et dans les lois (1). »

« En Amérique le système pénitentiaire a pour principal appui les châtimens corporels, le fouet, par exemple.» Nos moeurs le réprouvent et le repoussent, et avec juste raison, ce nous semble.Mais ce vil châtiment, auquel nos mours répugnent et qu'elles proscrivent, est-il donc indispensable parmi nous au succès de ce système? Je ne le pense pas; M. Lucas ne le pense pas non plus; et le pénitencier de Wethersfield, le meilleur des ÉtatsUnis, d'après ces Messieurs eux-mêmes (2), et ceux de la Suisse, d'où il est entièrement banni , sont là pour répondre.

[ocr errors]

(1) Voyez leur ouvrage, deuxième partie, chap. II.

(2) Ibidem, p. 179.

a Forcé de renoncer à un tel appui, ces Messieurs pensent que le système pénitentiaire serait peutêtre aussi privé, chez nous, d'un auxiliaire moral qui, aux États-Unis, influe beaucoup sur son succés. En Amérique, disent-ils, le mouvement qui a déterminé la réforme des prisons a été essentiellement religieux. Ce sont des hommes religieux qui ont conçu et accompli tout ce qui a été entrepris....)

Cela est vrai sans doute; mais qui ne voit que cet obstacle reviendrait, au fonds, à déclarer que nous manquons en France de religion, ou que la religion de la France est moins favorable au succès du

systėme pénitentiaire, qui est pourtant une grande amélioration, que

celle des États-Unis.- Pour moi, il me serait pénible de le croire; je n'oserais le dire; et je doute fort, d'ailleurs, qu'on veuille en convenir. Alors même que l'on serait forcé d'admettre la réalité de cet obstacle, je ne pense cependant pas

l'on ne puisse le surmonter. Je me hâte d'ajouque

MM. de Beaumont et de Tocqueville ne le pensent pas non plus.

D'après eux, « notre législation présente aussi des » obstacles. — Le premier résulte de la nature mê» me de quelques lois pénales. »- Mais, en suppo

que cet obstacle existe réellement, ne pourraiton le faire disparaître? Serait-il donc bien difficile d'abroger ou de changer ces lois? Et si l'on en proposait le changement ou l'abrogation aux Chambres, en les présentant comme opposées à l'adoption du

que

ter

sant

..

système pénitentiaire, croit-on que cette proposition n'en fût pas favorablement accueillie, et qu'elles fissent difficulté de l'adopter? Leurs lumières et leur patriotisme permettent-ils de le supposer?

« Le second obstacle que renferment nos lois se trouve dans l'extension trop grande qu'a reçu, chez nous, le principe de centralisation, qui forme la base de notre société politique. » — Mais si, en ce

. qui concerne les prisons surtout, cette centralisation est reconnue funeste, serait-il donc encore bien difficile et bien onéreux d'y renoncer? Tout ne le conseille-t-il pas? Les directeurs de nos prisons centrales eux-mêmes nous diront, que le grand nombre de condamnés nuit à leur surveillance et s'oppose à leur amendement. C'est du moins ce que m'a dit naguère celui d'une de ces prisons les plus nombreuses, les mieux tenues, et où règne tout l'ordre compatible avec le régime prescrit et qu'il est obligé de suivre (1).--Il a ajouté que la diminution du nombre des condamnés et l'adoption du système pénitentiaire seraient, à son avis, les meilleurs moyens de prévenir les récidives. Le directeur de notre prison départementale m'avait tenu, peu de jours avant, le même langage.

[ocr errors]

(1) Celui de celles de Nismes, qui, dans une visite récente que j'ai eu occasion de lui faire, m'a fait le meilleur accueil, et s'est empressé de me donner tous les renseignemens que je lui ai demandés sur l'état de la vaste maison qu'il dirige avec tant de zèle et d'habileté.

Tout s'accorde donc, en ce qui regarde les prisons du moins, à nous conseiller la décentralisation, la séparation des condamnés, leur occupation assidue, leur instruction, en d'autres termes l'adoption pure et simple du système et l'établissement d'une prison pénitentiaire par département. Tel fut aussi le vou du grand homme qui présida vingt ans à nos destinées. « Bonaparte reconnut en 1810 que chaque » département devait avoir, outre des maisons de » justice et d'arrêt, une prison destinée à renfermer » les condamnés à des peines correctionnelles. » Ce sont MM. de Beaumont et de Tocqueville qui nous l'apprennent (2). Tel était aussi le vou des lois des 22 juillet, 29 septembre et 6 octobre 1791. Et c'est précisément ce que, sans en avoir connaissance, nous avions été conduit par nos méditations à reconnaître

à et à demander nous-même. Nous sommes au surplus tout-à-fait de l'avis de ces Messieurs, lorsqu'ils expriment l'opinion que le gouvernement, et les condamnés auraient tous à y gagner et rien à y perdre.

Quelqu'un, dont j'honore le caractère, objectait il y a quelque temps en ma présence, « que le sys» tème pénitentiaire, par l'isolement des condamnés, » et le silence qu'il leur impose serait, surtout par» mi nous, funeste à leur santé et à leur vie.»

J'avoue que, si elle était fondée, cette objection

le pays

(1) Voyez leur ouvrage, p. 174.

serait extrêmement grave. Le système pénitentiaire, ainsi que la Sagesse éternelle et l'infinie Miséricorde, ne veut pas la mort des coupables, mais leur conversion et leur vie.

D'après le régime que j'ai proposé, et que l'expérience a prouvé, je crois, être le plus favorable, les prisonniers ne sont isolés que pendant la nuit. Le jour, ils travaillent, ils mangent, ils étudient, ils prient, en un mot ils vivent ensemble. Le silence qu'on leur impose n'est pas

tellement rigoureux qu'ils ne puissent jamais le rompre.

Ils

peuvent se demander les objets et les instrumens dont ils ont besoin, ainsi que les directions qui leur sont nécessaires dans le travail auquel ils se livrent. Il leur est aussi permis de demander des explications sur les lectures qui leur sont faites. En même temps que leurs bras travaillent, leur intelligence est ainsi occupée. Ils peuvent encore parler au directeur et à l'aumônier de la prison, toutes les fois qu'ils en ont l'occasion, et même qu'ils le demandent. On leur permet donc, pour diminuer ce que ce silence peut avoir de pénible, tout ce qui est utile et sans danger pour eux.

« Cependant toute conversation leur est interdite. — Mais est-ce donc pour se corrompre par des mauvais entretiens qu'ils sont emprisonnés? Et si ce n'est qu'à ce prix, que leur corruption peut être prévenue, et leur amendement acheté, y a-t-il lieu de marchander, et de se relâcher à l'égard du silence qu'on leur impose?

[ocr errors]
« PreviousContinue »