Un monarque choisir les organes des lois,
Parmi ceux que le peuple honore de son choix;
Mais le mérite fuit loin, dans la solitude,
Echappe à tes regards , à ta sollicitude,
Tandis que l'ignorance et l'impudent orgueil
Du palais des honneurs osent franchir le seuil...

Aspirant à la gloire, au triomphe, à l'estime,
Elève de Cujas , par un début sublime,
Veux-tu plaire à Thémis et mériter son choix ?
Consulte la nature et nos moeurs à la fois :
Mais ces sujets sont moins l'objet de ton étude ,
Que l'art de t'attirer l'oeil de la multitude;
La douce illusion, les charmes du discours,
Entraînent ton esprit, en dirigent le cours;
Au lieu de cultiver l'amour de la sagesse,
Qui donnerait des fruits aux fleurs de ta jeunesse ,
Au joug des passions , au gré de leurs élans,
Tu soumets tous tes goûts et tous tes sentimens:
Environné déjà d'orgueil et d'égoïsme,
Ton esprit s'habitue aux détours du sophisme ;
Tu vas, loin d'être utile à tes concitoyens,
Nuire à leurs intérêts et mal servir les tiens.
Veux-tu donc sur l'erreur remporter la victoire ?
Dans l'art de nous convaincre il faut chercher la gloire ;
Mais il faut avant tout profondément penser,
Pour obtenir le prix dans l'art d'analyser;
Appelle à ton secours la nature vivante ;
Elle t'ouvrira seule une route savante :

Empreints dans ton esprit, son image et ses traits
Viendront te révéler ses merveilleux secrets :
Vois ces êtres vivans, dont la chaine infinie
De la terre et du ciel annonce l'harmonie ;
Mu par l'accord parfait de ses anneaux divers,
Viens dans elle admirer le Dieu de l'univers.
Veux-tu des passions connaître le langage ?
Consulte de nos corps et l'organisme et l'âge ;
Sous le mode divers des différens tissus ,
Elles changent dans l'homme avec leurs attributs :
Ici la fibre grele, éminemment mobile,
De do ux épanchemens le rend plus susceptible ;
Et là les muscles forts, durement dessinés,
Offrent des coeurs plus durs et moins efféminés.
Combien , dans ses regards, ses traits, son attitude,
L'homme offre de sujets dignes de ton étude !
Veux-tu connaître à fond ses goûts et ses penchans?
Cherche-les dans l'instinct des organes des sens ;
L'homme est toujours trahi par ce tyran perfide,
S'il n'a , dès son début, la sagesse pour guider;
Du temple du bonheur il croit toucher le seuil,
Quand cet aveugle instinct le conduit au cercueil...
Imite Lawater, dont l'étude profonde,
Dont le talent magique étonne encor le monde :
Par un secret divin , que son art a vaincu,
Il voit au fond des cours le vice , ou la vertu...
Si tu connais un jour les lois de la nature,
Tu plaindras ses écarts, loin de lui faire injure :

Tu seras digne alors d'aspirer aux honneurs,
De juger ton semblable, et d'épurer ses mœurs.
Et, quand Louis nous rend le bonheur du bel àge,
Tu pourras diriger ce saint aréopage,

Où l'homme exempt de haine, ami constant des lois,
Vient exercer, en pair, le plus sacré des droits,
Où de l'Étre-Suprême empruntant la science,
Lit jusqu'au fond de l'ame, ou de la conscience;
Et voulant distinguer le crime de l'erreur,
Avant de juger l'homme, interroge son cœur.