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CHAPITRE, I.

Considérations préliminaires sur la société civile, et sur les gouvernemens.

Ce n'est point dans les institutions humaines, c'est dans la Nature qu'il faut chercher les principes fondamentaux de l'ordre social. Les hommes ont créé les sociétés politiques, ils les ont diversifiées selon le génie, le caractère et le besoin des peuples: mais, en s'unissant pour vivre sous des lois communes, ils n'ont fait qu'obéir à l'impulsion irrésistible de la Nature.

Le plus célèbre des Philosophes de l'Antiquité définit l'homme, un animal politique, ou social. En effet, la longueur et les besoins de son enfance, l'usage de la parole qui le distingue de tous les animaux, sa perfectibilité qui ne connoît point de terme, et qui ne peut se développer que par le commerce de ses semblables, ses affections expansives qui le font jouir ou souffrir dans les autres, ses passions, ses vertus, ses vices même, tout démontre qu'il est né pour la société.

La société domestique est, sans doute,"

le premier voeu de la Nature; mais elle n'en

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remplit pas toutes les vues. Elle est trop rétrécié et trop foible pour suffire aux penchans de l'homme, à ses besoins, à ses dangers. Les liens du sang se relâchent, à mesure qu'il s'étendent: les familles tendent sanscesse à se séparer: l'autorité, qui doit les contenir, la force qui doit les protéger s'évanouiroient bientôt, si elles ne se réunissoient pas en une seule famille politique. La société domestique est l'élément de la société civile. Sans la première, les individus ne pourroient se conserver; sans la seconde, les familles ne peuvent se perpétuer.

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D'ailleurs, est évident que le genre humain ne peut se multiplier à un certain point, et subsister avec quelque aisance, si le droit de propriété, n'est pas reconnu. Le droit de propriété augmente la valeur de la terre, en la fécondant par la culture, il con ́serve, jusqu'à leur parfaite maturité, les productions de la nature que le droit de premier Occupant détruiroit avant terme. Il étend et perfectionne les commodités de la vie par l'échange que les hommes font entr'eux du produit de leurs fonds, et du fruit de leur industrie. Tels sont les avantages du droit

de propriété que par-tout où il est reconnu, ceux même qui n'ont aucune propriété per sonnelle, sont mieux pourvus contre les besoins, de la nature, que ne l'est aucun de ceux qui errent dans ces vastes solitudes où tout est en commun.

Or, quoique le droit de propriété ait son fondement dans le droit naturel, il faut con❤ venir qu'il ne peut être réglé et protégé que par le droit civil. Il seroit même facile de prouver que la propriété foncière ne peut exister que dans la société civile, et qu'il n'y a de société civile proprement dite que parmi les nations agricoles. D'où il suit que, si l'homme est appelé à l'agriculture par ses besoins et par la voix de la nature, on ne peut nier que l'état social ne soit son état naturel.

Enfin, la société civile, et ses divers éta→ blissemens sont les effets nécessaires de ce principe, en vertu duquel l'espèce humaine tend continuellement à se perfectionner. Ce n'est pas en s'éloignant de la nature, comme l'ont dit quelques Philosophes, c'est en suivant sa direction, et en la secondant, que les hommes font tous les jours des progrès dans la carrière des arts et des sciences.

Or les sciences et les arts ne peuvent naitre, ne peuvent être cultivés que dans les grandes sociétés. Les sauvages construisent des cabanes: les peuples civilisés bâtissent des palais: les uns sont conduits par la nature brute et dans l'enfance, les autres par la nature perfectionnée. Jusqu'à présent on n'a trouvé sur toute la terre aucune nation éclairée et industrieuse qui n'eût des lois, des magistrats, un gouvernement. L'ignorance, au contraire, et la barbarie sont le partage de toutes les hordes vagabondes et indépendantes.

C'est donc bien improprement que l'on appelle Etat de nature cette indépendance de toute loi positive, que l'on suppose avoir -précedé l'institution des sociétés civiles. Cet état n'est pas plus l'état naturel du genre humain, que l'enfance n'est l'état naturel de l'homme.

C'est avec moins de raison encore que certains philosophes affectent de regretter ces premiers temps, où l'homme, soumis aux seules lois de la nature, vivoit paisible, libre, heureux, innocent. L'histoire ne connoît point cet âge d'or, dont les poëtes nous ont laissé de si riantcs descriptions. Le peu

de documens qui nous restent sur les temps fabuleux et héroïques de l'antiquité, et bien mieux encore, l'état où l'on a trouvé les peuples sauvages de l'Afrique et de l'Amérique nous apprend que l'homme n'est jamais plus vicieux, plus dégradé, plus misérable, que lorsqu'il vit abandonné aux seules lois de la nature. Non que ces lois, si elles étoient observées, ne pussent assurer le bonheur des individus, et la paix des familles, mais parce qu'une expérience constante a démontré qu'elles ne peuvent être connues et observées, qu'autant qu'elles sont expliquées et protégées par les lois civiles.

On ne peut former que des conjectures sur la marche qu'ont suivie les fondateurs de l'ordre social. La naissance des premières sociétés politiques se perd dans les ténèbres de l'antiquité et de la barbarie. Tous les empires ont commencé par quelques familles auxquelles d'autres se sont unies, ou volontairement, pour chercher un appui, ou forcément, pour subir la loi du vainqueur. Si, dans les premiers temps, la piété filiale déféra l'autorité aux pères de famille, il ne tarda pas s'élever des Nemrod, et bientôt le gouvernement militaire remplaça le gouvernement

à

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