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qu'elle finit avec eux. Ils ont voulu que le bienfait de leur institution passât à leur postérité. Ils sont donc présumés avoir stipulé que leurs enfans auroient, en naissant, le droit de jouir des avantages, communs à tous les membres de l'Etat, et particulièrement, le droit de posséder certains biens, à titre d'hérédité. Et, comme l'on ne sauroit obtenir ces avantages, sans la protection du Souverain, et sans reconnoître son autorité, tous ceux qui naissent d'un citoyen demeu rent, par le seul fait de leur naissance, soumis au même Souverain que leur père. Ils tiennent à l'Etat par le lien de la propriété: ils contractent l'obligation de conserver l'Etat, comme l'Etat a conservé leur patrimoine. Mais, on ne peut conserver l'Etat, sans respecter la puissance souveraine qui en est l'ame. Les devoirs que les fondateurs de la société s'étoient imposés à l'égard de la puissance souveraine, passent donc tout entiers, à leurs descendans; et la puissance souveraine conserve sur les générations les plus éloignées, tous les droits dont elle a été investie, à la naissance de la société.

C'est donc à cette époque qu'il faut se reporter, si l'on veut connoître les droits et

les devoirs respectifs des peuples et des Souverains. Or, il paroît indubitable que les fondateurs de la société ont conféré au Souverain' qu'ils instituoient, toute la puissance qu'ils avoient sur eux-mêmes, potestas po puli, et in populum, comme dit Sénèque, et qu'ils n'ont pretendu se réserver aucune jurisdiction, aucune supériorité à son égards

Le repos et la perpétuité des Empires,' la tranquillité du genre humain, la nature même du pacte social exigeoient que la puissance souver ine, d'où émanent toute autorité et toute jurisdiction dans l'Etat, ne pût étre citée devant aucun tribunal. En se soumettant à des lois, en instituant un Gou vernement, chaque membre du corps polí tique avoit renoncé au droit de se faire justice par lui-même; à plus forte raison, ne' prétendoit-il pas se réserver le droit d'agir hostilement contre le Souverain. L'état de société ne connoît d'autre force que la force publique, laquelle réside toute entière dans le Souverain, et ne peut jamais se tourner contre lui.

On voit assez ce que j'entends par le Sou verain. Dans les monarchies absolues, c'est

le monarque gouvernant selon les formes et les lois fondamentales. Dans les monarchies limitées, c'est le monarque réuni aux autorités qui partagent avec lui les droits et l'exercice de la souveraineté. Dans les républiques, c'est le Conseil, ou l'assemblée, à qui la Constitution défère l'administration et le pouvoir supreme. Ainsi, je ne dis pas que tous les peuples doivent être gouvernés par un roi, ni que tous les rois doivent être absolus: mais je dis que, dans quelque gouvernement que ce soit, le Souverain ne peut être justiciable de ses sujets, et que, dans toute société, la puissance publique est inviolable de droit.

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J'ai dit que l'inviolabilité de la puissance souveraine étoit fondée sur le titre même de son érection. Mais c'est à ce titre primitif qu'en appellent aussi les défenseurs de l'opinion que je combats; et leur premier principe, c'est que, lors de la formation de l'Etat, il est intervenu entre le peuple et le Souverain un traité par lequel l'un a promis soumission et fidélité, l'autre protection et justice, et que ce pacte n'est pas moins obligatoire pour le Souverain que pour le peuple... colon

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Je l'ai dit moi-même, dès le commencement de cet ouvrage : ce traité est dans la nature de la chose, et doit se supposer, lors même qu'il n'en reste pas de vestige dans l'histoire. Je dis plus, il faudroit encore le supposer, quand il seroit constant qu'il n'a point existé. Car, s'il est vrai que la plupart des Etats doivent leur origine au droit de conquête, il faut reconnoître que ce droit n'a pu se convertir en titre légitime, que par l'acquiescement des peuples; et cet acquiescement, tout muet qu'il est, équivaut à un traité exprès entre le conquérant et le peuple vaincu.

Rousseau en impose trop visiblement, quand il accuse les Publicistes royaux de mettre en question, si le genre humain appartient à une centaine d'hommes, ou si cette centaine d'hommes appartient au genre humain; quand il leur reproche de diviser l'espèce humaine en troupeaux de bétail, dont chacun a son chef qui le garde pour le dévorer.

. Certes, ce n'est pas dans les écrits des Publicistes formés à l'école de la religion, que l'on puisera ces odieuses notions de la souveraineté. Ce n'est pas sur de pareilles maximes que sont fondées les leçons que

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donnoient aux fils de nos rois le grand Bossuet, dans sa Politique tirée des livres saints, l'immortel auteur du Télémaque, et l'éloquent Massillon, dans ces discours admirables, où les devoirs des rois sont présentés avec toute la force de la raison, et toute la hautenr du ministère évangélique. Grotius et Puffendorf que Rousseau semble avoir eu particulièrement en vue, n'enseigent rien qui puisse justifier un pareil reproche.

Loin de nous ces basses et perfides adulations. Nous savons, et nous disons hautement que les Souverains et les peuples sont liés par des devoirs réciproques fondés sur le contrat primordial de l'association politique. Mais, nous disons en même temps, que, telle est la nature de ce contrat, que, bien qu'il produise de part et d'autre une obligation proprement dite, il ne s'ensuit pas qu'il soit dissous, au moment que le Souverain cesse d'en remplir les conditions.

Deux raisons puissantes et décisives prouvent qu'il est irrévocable de sa nature, et que le peuple, à moins, comme on l'a dit ailleurs, que le contraire ne soit formellement énoncé dans l'acte d'institution, n'a pas

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