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No 280.

GAZETTE NATIONALE OU LE MONITEUR UNIVERSEL.

Vendredi 7 OCTOBRE 1791.

POLITIQUE.

POLOGNE.

-

De Varsovie, le 27 septembre. Après l'expiration des trois mois de vacance que la diète avait pris, elle a recommencé avant-hier ses séances. Les représentants des villes y ont été installés au milieu d'un concours immense de monde, attiré par l'intérêt autant que par la nouveauté de ce spectacle. La parole a été portée par M. Wibieki, député de la ville de Posen, homme trèsrecommandable par les ouvrages qu'il a publiés en faveur des paysans et des villes, et par la part très-active qu'il a eue à la révolution. Son discours, dans lequel il a fait un éloge brillant et motivé de l'ordre actuel des choses, a obtenu les plus vifs applaudissements. Après une réponse touchante du chancelier, les représentants des villes ont été admis à baiser la main du roi, et les nonces y ont été à leur suite, dans la vue de prouver ainsi de plus en plus l'union et la fraternité de la noblesse avec ses nouveaux associés. Les députés des villes ont ensuite pris place après les nonces des provinces qu'ils représentent, et sans aucune distinction.

La diète s'est ensuite ajournée au lundi 19 de ce mois. M. Wibieki a offert au roi, au nom des villes, douze canons de fonte, et a prié aussi Sa Majesté d'agréer qu'il lui fût érigé une statue en mémoire de la révolution.

Les états ont accepté les douze canons; mais le roi n'a voulu consentir à ce qu'il fût dressé un monument qu'autant qu'il serait consacré à perpétuer le souvenir des opérations de la diète actuelle.

ALLEMAGNE.

De Munich, le 29 septembre.-Le baron de Bentinek a été nommé par l'électeur président de la chambre des finances de Dusseldorf. On lui a donné le comte de Goldstein pour vice-président.

PRUSSE.

Extrait d'une lettre de Berlin, le 20 septembre. Ce qu'il y a de plus remarquable à vous manderà l'égard de la Prusse, c'est la publication définitive du nouveau code civil. MM. Kleni et Suarez, sous la direction du grand chancelier Carmer, en sont les principaux auteurs et s'y sont acquis le plus grand honneur. Le nouveau code se fait remarquer par son esprit philosophique (qui malheureusement n'a dù fléchir que trop souvent encore devant des préjugés surannés), ainsi que par la clarté, l'ordre et la précision. Les peines y sont extrêmement plus douces et plus modérées.

Le mariage à main gauche (institution extrêmement aristocratique, mais salutaire et sage là où l'aristocratie fait encore une des bases du corps politique), le mariage à main gauche n'est permis qu'aux gentilshommes, aux conseillers royaux et à ceux qui jouissent du même rang qu'eux; mais il faut qu'ils attestent sur leur honneur l'insuffisance de leur fortune pour le mariage à main droite. La femme à main gauche ne porte pas le nom de son mari, ni même celui d'épouse; mais elle se nomme femme de maison, de ménage. Les enfants qui naissent de ce mariage n'ont point de tache de naissance, mais le père n'est pas obligé de les élever comme il conviendrait à sa qualité et à son rang s'ils étaient nés d'un mariage à main droite; ils n'ont de prétentions sur la partie congrue de la succession de leur père qu'au cas qu'il n'y ait pas de parents ou d'enfants d'un mariage à main droite. Toute fille séduite, à laquelle on ne prouve pas qu'elle est une prostituée, sera juridiquement mariée à son séducteur, en qualité de femme à main droite quand elle est du même rang que lui, et à main gauche en cas de différence de rang. Il suffit cependant que le mari déclare qu'il ne veut pas vivre avec elle en mariage pour que divorce ait lieu. Cette déclaration, jointe à l'acte juridique de mariage, est ensuite remise entre les mains de la plaignante, qui, en vertu de cet acte, acquérant les droits d'une femme divorcée, est sauvée de la honte, est ras2 Série.- Tome I,

le

Troisième année de la Liberté.

surée sur son honneur. On a 'cru trouver dans cette institution (et, il me semble, avec raison) le moyen le plus efficace contre l'infanticide.

Le mariage d'un noble avec une personne de l'ordre des paysans était non valide jusqu'à présent; désormais il aura lieu, mais sur la condition que trois membres de la famille du mari y consentent, ou que le roi supplée à ce consentement.

Une partie de la succession des célibataires au dessus de l'âge de quarante ans tombera dans la caisse des pauvres. Les seules obligations des banquiers, des négociants, des fabricants, des propriétaires ou de leurs fermiers, auront la force des lettres de change (wechselfachigkeit); les engagements pour dettes de tous les autres dont la loi ne fait pas mention n'auront la force de lettres de change (wechselfachigkeit) que quand elle aura été demandée et consentie du magistrat de la ville ou du canton. Le juge ou le magistrat qui la donnera trop légèrement, et sans des raisons suffisantes, sera responsable, quand elle tournera au dommage de celui qui l'aura sollicitée.

La peine de ceux qui incendient sera modifiée selon que le crime aura été commis de jour ou de nuit; distinction très-importante, puisqu'au premier cas on ne peut pas supposer le projet de faire mourir quelqu'un.

Celui qui sauve la vie à un homme, à son propre péril, recevra du magistrat du lieu une lettre de remerciment avec une gratification.

Les injures verbales contre les membres de la famille royale ne seront punies que d'un certain temps d'emprisonnement dans une forteresse.

Le code porte l'article suivant : « La souverainete consiste dans le pouvoir de conduire les actions des sujets au bien général de la chose publique; mais ce pouvoir n'appartient pas au roi comme un droit, mais bien comme un devoir. »

Vous connaissez l'entrevue de Pilnitz. Les uns prétendent qu'on y a pris des mesures contre la France, d'autres savent le contraire. Je ne sais ni l'un ni l'autre, mais je fais des vœux pour le succès de la révolution, et je lui souhaite tout ce qui peut lui faire du bien ; je souhaite par-dessus tout que les Français ne se laissent pas intimider par des bruits; faiblesse qui peut leur faire un tort infini dans l'Europe.

Dans peu de jours on célébrera ici les noces de la princesse Frédérique avec le duc d'York, et de la princesse Wilhelmine avec le fils aîné du stathouder. Pendant les fètes on donnera au théâtre de la Nation l'opéra de Tarare, traduit du français.

ESPAGNE.

De Madrid, le 22 septembre.-Le vaisseau de guerre le St-Ermenegilde, de cent douze canons, qui était à Cadix, a mis à la voile de ce port, le 16 de ce mois, pour se rendre au Férol, où il va désarmer.

Le cutter espagnol la Résolution, avec cinq tartanes de la même nation, est parti le 15 pour aller porter des provisions à Ceuta.

Le brigantin marchand français la Marie-Anne-Thérèse, capitaine Coquit, est parti le 16 de Cadix avec cent trente-quatre Français, qui n'ont pas voulu prêter serment.

Quatre-vingt-un Français ont été de même embarqués à Malaga dans le courant du mois de septembre, et il y en a eu aussi un certain nombre dans les autres ports. Il en est parti environ douze cents de Madrid ou des environs, sans compter ceux qui, de l'intérieur du royaume, se sont rendus en droiture dans leur patrie, et ceux qui, ayant obtenu une prolongation, ne comptent retourner chez eux qu'après son expiration.

La cour d'Espagne vient de conclure un traité de paix et de commerce avec la régence de Tunis. La ratification en a été faite le 19 juillet.

HOLLANDE.

Extrait d'une lettre de la Haye, du 27 septembre.

-Le prince stathouder vient de visiter les provinces de Frise et de Groningue. L'inquiétude du gouvernement, relativement aux intentions de ces provinces pour la paye des troupes étrangères au service de la république depuis 1787, paraît avoir donné lieu à la tournée que le prince y a faite. Le peuple, et surtout la classe la plus indigente du peuple, y font craindre de prochains témoignages de mécontentement. Les prétextes ne manqueraient point. Le commerce, qui a reçu plusieurs échecs de la part de la politique des cours, n'est pas florissant. On n'a pas oublié que la banque publique n'a pu se refuser dernièrement aux besoins particuliers de notre cabinet; et le dernier mémoire que la Compagnie des Indes orientales a fait remettre aux états généraux, en développant les causes de l'état de détresse où se trouve cette Compagnie, a démontré qu'il lui était impossible de venir au secours du gouvernement. La crise de 1748, renouvelée par les secousses de 1787, a dérangé en effet beaucoup de rapports et d'habitudes dans le commerce de la république. Et à cette heure encore les négociants ont à souffrir des lois sévères du ministère espagnol envers les étrangers. Quant au militaire national, il a déjà murmuré de se voir incorporer une grande quantité d'étrangers, et surtout des Prussiens. Peut-être l'humeur de quelques officiers hollandais exagère-t-elle cet inconvénient pour les libertés du pays; mais à leur humeur se joint le mécontentement du soldat, qui souffre avec impatience qu'on ait introduit dans l'armée hollandaise la rigueur de la discipline prussienne, et qui, retenu sous les drapeaux sans pouvoir obtenir les semestres ordinaires, et ne sentant pas que cette mesure est sage dans les circonstances critiques où l'Europe se trouve, semble toujours prêt à en murmurer; cependant la présence du stathouder n'a pas été inutile dans les provinces qu'il a parcourues, quoique, surtout en Frise, il n'ait pas toujours eu à se louer des témoignages du respect public.

La paye pour l'entretien des troupes étrangères était continuée; la Frise et Groningue ne s'y refuseront en aucunes manières, etc.

AMÉRIQUE.

Traduction d'une lettre espagnole écrite par un particulier de la Havane à un négociant de Bordeaux, en date du 2 juillet.

Vous n'apprendrez pas sans intérêt la nouvelle des désastres auxquels cette colonie est en proie. Ils ont été causés par les torrents de pluie que nous avons essuyés depuis le 21 juin 1791, à la pointe du jour, jusqu'au 22 à dix heures et demie du matin. Les moulins à tabac du roi, situés à une lieue de cette ville, et construits avec la plus grande solidité, ont été emportés, ainsi que le village au milieu duquel ils étaient batis, et la plus grande partie des habitants, que l'on fait monter à deux cent cinquante-sept personnes de tout àge. Au milieu des débris, on a découvert et sauvé une femme exposée avec son enfant dans un bateau attaché à une fenêtre. L'eau, et l'on croit aussi le tremblement de terre, ont fait ouvrir plusieurs abimes, de plus de quarante-cinq pieds de profondeur; dans une de ces excavations on a découvert le lit d'une rivière très-abondante, qui coulait sur un fond de belles pierres noires. Dans cet abat d'eau, à une lieue et demie des moulins du roi, l'habitation du comte Barreto (qui est mort le mème jour) a été engloutie. On a trouvé le terrain coupé par crevasses, dont quelquesunes de soixante pieds de profondeur; une fumée trèsépaisse qui sortait de l'excavation principale a fait présumer qu'il s'était ouvert un volcan dans cet endroit. A quatre lieues d'ici, les semences, les bestiaux, une infinité de familles ont été emportés par les torrents. Le nombre des malheureux qui ont péri dans cet épouvantable désastre ne peut pas se calculer; ce qu'il y a de sûr, c'est que plusieurs charrettes étaient employées à transporter les cadavres dans un village voisin, où on les enterrait. La terre a tellement été déchaussée par le frottement des eaux, qu'il n'est resté en plusieurs endroits que la pierre vive. Dans beaucoup d'autres habitations, les bœufs, les nègres ont été noyés, et toutes les cannes à sucre qui couvraient la terre coupées et entraînées par les torrents. Dans un village à quatorze lieues de la Havane, il n'est pas resté un seul animal en vie; tous les ponts ont été enlevés, et quantité d'hommes ont péri. On présume que dans ce cruel événement il a péri trois

mille hommes, au moins huit mille animaux, vaches, bœufs et mulets, et trois à quatre mille chevaux.

De mémoire d'homme on ne se rappelle pas un déluge semblable, encore moins une crue d'eau aussi extraordinaire, puisqu'aux moulins du roi l'eau s'est élevée à soixante-six pieds. Dans la nouvelle rivière souterraine on a découvert une mine de très-bon cuivre, une terre de beau bleu et des pierres de couleurs rares.

FRANCE.

De Paris.

MUNICIPALITÉ.

Arrêté sur les jeux.

Le corps municipal, délibérant sur le rapport fait par M. le maire et les administrateurs au département de police, tant des désordres et scandales occasionnés par les maisons de jeu, que de l'inefficacité et de l'insuffisance des moyens que la loi leur donne pour les réprimer; vivement alarmé du bruit que les administrateurs au département de police assurent s'être répandu depuis quelque temps, sans qu'il leur ait été possible d'en acquérir la preuve, que des personnes qui, par état, devraient être les plus empressées à dénoncer ces maisons infames, ces gouffres de perversité, pour en faciliter la destruction, reçoivent de ceux qui les tiennent des som mes considérables pour les protéger; ne pouvant se persuader que ce bruit ait quelque fondement, mais voulant répondre tant à la scrupuleuse sollicitude et à la délicatesse des administrateurs au département de police que remplir son devoir en ne négligeant aucun moyen pour approfondir de pareilles imputations; considerant en outre que de bons citoyens qui, malgré leur indignation contre de pareils désordres, n'ont pas assez de courage ni de zèle pour oser faire leur déclaration sur l'existence de ces repaires où toutes les fortunes s'engloutissent, enchainent, par leur silence et leur funeste indifférencé, la loi qui les anéantirait;

Après avoir entendu le premier substitut-adjoint du procureur de la commune, charge les administrateurs au département de police, le procureur de la commune, ses substituts-adjoints, et les commissaires de police des sections, de prendre à cet égard toutes les informations et renseignements qu'ils pourront se procurer, de dénoncer et faire poursuivre les coupables, dans le cas où ils en découvriraient; exhorte, au nom du bien public et de la loi, tous les amis des meurs et de l'ordre, à faire avec zèle et courage, soit aux administrateurs de police, soit aux commissaires de police, leurs déclarations de toutes les maisons de jeu qui existent ou pourront existr. Ordonne que le présent arrêté sera imprimé, affiché, et envoyé à tous les commissaires de police et comités des sections.

Signé BAILLY, maire; DEJOLY, secrétaire-greffier. Nomination des députés du département de Corse. MM. Leonetti, Pietri, Pozzo-di-Borgo, membre du directoire du département.

Département de la Moselle. Thionville. Quoique l'électeur de Trèves ait reçu avec beaucoup d'égards et des témoignages d'intérêt les Français expatriés, il parait décidé à garder la neutralité, si l'Allemagne déclare la guerre à la France. Il a fait signifier à Monsieur qu'il ne sera point permis aux émigrants de se procurer, dans son électorat, ni armes, ni munitions; qu'ils ne pourront s'arrêter dans ses états que comme des étrangers jouissant d'un asile en pays neutre. Il a déclaré qu'il leur est défendu de s'y former en corps, et de faire aucun préparatif d'hostilités contre la France; enfin que, dans le cas où ils se proposeraient d'attaquer le royaume, il ne souffrirait pas que ce fût du côté de l'électorat, ni de ses frontières.

Toutes les nouvelles que l'on reçoit de Coblentz annoncent que l'armée des princes continue à s'organiser dans la Flandre autrichienne, même depuis que le roi a accepté la constitution. Les princes, conformément au principe établi dans leur lettre au roi, persistent à soutenir que cette acceptation est nulle; ce monarque, disent-ils, n'étant qu'usufruitier de sa couronne, et ne pouvant porter atteinte aux droits de ses successeurs,

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Deux tribunes particulières ont été préparées, dans le sein de l'Assemblée législative, pour les membres de l'Assemblée constituante. Il s'élève à ce sujet plusieurs questions que nous mettons à l'ordre du jour, faute de mieux.

La première est celle-ci : Qui a donné cet ordre? Est-ce la nouvelle Assemblée ? Où est le décret? Estce l'ancienne? Où est le droit? Est-ce une des vingt mille et tant de décisions secrètes du comité de constitution? Qui l'a signée ?

Cette nouveauté est-elle de l'ordonnance de M. Guillotin? Le comité de salubrité prétend qu'elle n'est nullement propre à purifier l'atmosphère.

Qui a donc donné cet ordre ? Ce n'est pas le po uvoir législatif, encore moins le pouvoir exécutif. Ne serait-ce pas le pouvoir intrigant?

On a tant de peine à se résigner au néant! Ces décrets sont si sauvages! De grands et petits personnages ne peuvent plus être ni ministres ni représentants en titre. Eh bien! il faut redevenir l'un et l'autre incognito. On s'arrange pour avoir un tabouret dans le conseil intime, et une banquette dans le corps législatif. On garde la voix consultative in utroque. On se flatte ainsi de gouverner l'un et de dominer l'autre. Du haut de la nouvelle tribune, comme d'un observatoire, on donnera les signaux au parti qu'on a déjà su se faire dans l'Assemblée, c'est-à-dire au parti ministériel. On commandera les manœuvres savantes de la tactique délibérative. On soufflera à celui-ci un amendement, à celui-là un sophisme; à l'un la question préalable, à l'autre quelques adverbes endécasyllabiques. Là, on tentera les forts; ici, on séduira les simples; plus loin, on effraiera les faibles. Insensiblement on se formera une influence mitoyenne qui peut, avec le temps, devenir d'un très-bon produit.

Mais supposons que la tribune dont il s'agit soit une invention de la vanité plus encore qu'une tentative de l'intrigue dans tous les cas, elle ne peut subsister. C'est un privilége, et il est exclusif. Si on la conservait, il faudrait l'agrandir dans deux ans.

Bientôt les ex-législateurs envahiraient tous les gradins de la législature. Ceux-ci se croient, à la vérité, sûrs d'y rentrer bientôt, et ils trouvent commode de n'avoir qu'une balustrade à franchir. Mais tous les bons principes répugnent à cette prérogative; et il est probable que les constitués rappelleront bientôt les constituants à l'ordre et à l'égalité.

Sa mission finie, un représentant n'est plus qu'un citoyen; il rentre dans la foule. Tout est perdu s'il prétend conserver l'ombre même du caractère dont il fut revêtu, s'il s'obstine à rester sous les regards du peuple.

Plus nous devons aux créateurs de la constitution, plus il est dangereux qu'ils continuent de se présenter en masse à nos souvenirs reconnaissants. C'est créer une distinction, une illustration, une sorte de noblesse, puisqu'après tout, la noblesse n'était qu'un souvenir.

Au surplus, il nous vient une idée. Une tribune exclusive et honoraire blesse la raison et la loi Qu'on en change l'objet, et l'on pourrait faire d'un ridicule abus une institution vraiment morale. Nous proposons que ces places privilégiées soient réservées comme une retraite d'honneur pour les vieillards qui auront dignement exercé les magistratures populaires. Ces émérites de la patrie formeront pour les législatures une galerie imposante et vénérable.

Quant à nos ex-constituants, on pourrait par faveur accorder les honneurs de la vétérance à celui d'entre eux qui renoncerait pour toujours à toute espèce de places.

L'exception est sans conséquence; car, tout blessés qu'ils sont, la plupart de ces messieurs ne pensent guère à demander les invalides.

BULLETIN DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
LEGISLATIVE.

(PREMIÈRE LÉGISlature. )
Présidence de M. Pastoret.

SÉANCE DU JEUDI 6 OCTobre.

Un de MM. les secrétaires fait lecture du procèsverbal de la séance de la veille.

M. VOSGIEN: Ce n'est point contre le décret rendu hier, à l'occasion du cérémonial qui doit être observé lorsque le roi paraîtra dans l'Assemblée, que je demande la parole, c'est pour relever l'erreur qui l'a fait regarder comme un acte de police intérieure.

Le roi des Français devait venir demain proposer des objets d'utilité générale à l'attention de l'Assemblée; c'était en même temps un acte de zèle et un nouvel acquiescement à la constitution, et par consé

liberté devient une dégradation du caractère de représentant de la nation.

Et d'ailleurs, n'est-il pas telle circonstance où un corps de membres de l'ancienne Assemblée pourrait reprendre une consistance assez brillante ? Supposez la législature en démêlé avec le roi sur le sens d'un article constitutionnel, par exemple. Eh bien ! les fondateurs de la constitution sont là. Qui mieux que ces messieurs peut éclaircir la difficulté ! Ce rendez-vous, où ils se retrouvent tous les jours,quent cela était utile à recueillir. Le fanatisme de la forme une espèce de comité permanent. Ils se concertent; ils se coalisent. Ils sont toujours en vue. Ils ont choyé la popularité. Ils se font de temps en temps prôner dans quelques feuilles. Qu'arrive-t-il ? Les voilà qui viennent tout à coup au secours du veto royal par quelque belle déclaration interprétative. Que fait-on? ils pourraient protester au besoin ; le roi agirait, et voilà ce qu'on appelle un contre-poids politique, une puissance intermédiaire, un équilibre censorial très-ingénieusement préparé; le tout pour le maintien de l'ordre et le rétablissement de la paix.

C'est peut-être pousser bien loin les soupçons.

On s'est trompé lorsqu'on a considéré le décret rendu hier comme un acte de police. La police de l'Assemblée ne se rapporte qu'au service mécanique ; mais les relations entre le corps législatif et le roi tiennent à des actes législatifs, qui doivent être soumis à la sanction du roi ; et cela est si vrai, que la constitution a fait de cet article un chapitre particulier.

Qu'est-il résulté du décret d'hier? Une perte considérable dans les actions, une nouvelle espérance des ennemis du bien public. Qui doute que l'adhésion du roi ne soit un des plus fermes appuis de la constitution,

ou du moins qu'elle n'épargne de grands maux? Et croyez-vous que les malveillants ne lui représentent avec adresse qu'il se verra sans cesse ballotté par les opinions divergentes de chaque législation, et que cela ne relâche les liens qui attachent le roi à la constitution. Il est temps de jeter l'ancre, et offrons dans les traits de notre enfance les signes heureux de la prospérité publique.

Le décret n'est point urgent, vous ne l'avez point déclaré tel; ainsi il n'y a nul inconvénient à conserver le cérémonial de l'Assemblée nationale constituante, et c'est à quoi je conclus.

M. BAZIRE: Je demande qu'on n'accorde la parole que sur la rédaction du procès-verbal, et qu'on s'oppose à toute discussion qui tendrait à la réformation du décret rendu hier.

M. ***: Le membre qui a demandé la parole sur la rédaction du procès-verbal a fait entendre que notre décret d'hier pouvait jeter de la défaveur sur la majesté du trône; je pense au contraire qu'il ajoute à sa dignité, puisqu'il efface les dernières traces d'un régime despotique, et donne au roi le nom qui lui est solennellement déféré dans l'acte constitutionnel, chef-d'œuvre auquel il a eu le bonheur de contribuer. Je demande la question préalable sur toutes les propositions qui tendraient à réformer un décret rendu à la presqu'unanimité.

à

M. ROBECOURT: La première chose qui se présente ma pensée, c'est que c'est ici où j'ai juré de ne pas souffrir qu'il soit porté atteinte à la constitution, et je crois que le décret rendu hier en est une violation. Il est impossible de le ranger dans la classe des dispositions de régime intérieur, puisqu'il détermine les relations du corps législatif avec le roi, déjà réglées par l'acte constitutionnel. Je soutiens qu'en principe vous ne pouvez pas faire de loi obligatoire pour le roi sans sa participation. Comme vous, il est représentant du peuple; et quand il vient ici, c'est toujours revêtu de ce caractère auguste. Je demande, en me résumant, que le décret rendu hier soit regardé comme simple projet; que, suivant la constitution, il en soit fait lecture aux époques légales, et que le cérémonial décrété par l'Assemblée constituante soit provisoirement

conservé.

M. VERGNIAUD: On paraît d'accord que si le décret est de police intérieure, il est exécutable sur-lechamp or il est évident pour moi que le décret est de police intérieure, car il n'y a pas de relation d'autorité du corps législatif avec le roi, mais de simples égards qu'on réclame en faveur de la dignité royale. Si ce décret pouvait être regardé comme législatif, et par-là même soumis à la sanction, il faudrait en conclure que, lorsqu'il s'agit d'envoyer au roi une députation, par exemple, il faudrait porter à la sanction du roi la disposition relative au nombre des membres dont elle devrait être composée. Je ne sais pourquoi on paraît désirer le rétablissement de ces mots : Votre majesté, sire, qui nous rappellent la féodalité. (Quelmembres de l'Assemblée et les tribunes applauques dissent.-Une voix s'élève : Silence, aux tribunes!) Il doit s'honorer du titre de roi des Français. (Les tribunes recommencent leurs applaudissements.)

La méme voix: Je vous prie, M. le président, d'imposer silence aux tribunes.

M. GARRAN-COULON: Vous n'en avez pas le droit, M. le président.

M. VERGNIAUD: Je demande si le roi vous a demandé un décret pour régler le cérémonial de sa maison, lorsqu'il reçoit vos députations; cependant, pour dire franchement mon avis, je pense que si le roi, par égard pour l'Assemblée, se tient debout et découvert, l'Assemblée, par égard pour le roi, doit se tenir debout et découverte.

M. *** Etions-nous donc réservés à voir renaître dans notre sein ces funestes divisions qui, pendant trente mois, ont agité le corps constituant; en serionsnous déjà réduits à avoir recours à l'intrigue? On sait que le moyen favori de la minorité du corps constituant était de saisir l'occasion de la lecture du procèsverbal pour faire révoquer les décrets passés contre son avis. (On applaudit.) Je crois parler pour la tranquillité publique en réclamant l'exécution d'un décret contre lequel on s'est peut-être coalisé dans la soirée d'hier. (On applaudit.) Je demande qu'on passe purement et simplement à l'ordre du jour.

Plusieurs membres se lèvent et demandent qu'on passe à l'ordre du jour.

Les cris de l'ordre du jour se prolongent pendant quelques minutes.

M. LE PRÉSIDENT: On demande à passer à l'ordre du jour je vais consulter l'Assemblée.

Quelques voix: Oui, oui, consultez l'Assemblée. M. BAZIRE: Il ne faut pas perdre notre temps à défaire le lendemain ce que nous avons fait la veille. Les mêmes voix : Consultez l'Assemblée, M. le président.

M. *** Je demande la parole sur la motion de l'ordre du jour.

On demande que la discussion soit fermée sur cette motion.

Les mémes voix: A l'ordre du jour !

M. *** : M. l'abbé Fauchet, que je vois siégeant au milieu de nous, n'a pas prêté son serment.

M. Fauchet, évêque du département du Calvados, s'approche de la tribune.

M. *** Nous sommes ici envoyés pour faire des lois, mais il faut les bien faire.... (Les mêmes voix : L'ordre du jour!) Le décret que nous avons rendu avait besoin d'un peu plus de méditation..... (Les mêmes voix : L'ordre du jour!)

M. GORGUEREAU: Il faut que l'Assemblée sache bien ce qu'on entend par l'ordre du jour, et que l'on opine en connaissance de cause. On a demandé que le décret rendu fût rangé dans la classe des décrets lé'gislatifs : si c'est sur cette proposition qu'on demande l'ordre du jour, il faut le déterminer précisément.

M. L'ÉVÊQUE DU DÉPARTEMENT DE.... J'ai fait serment de ne rien consentir de contraire à la constitution. (Les mêmes voix : A l'ordre du jour!)

La délibération est troublée pendant plusieurs minutes par ces cris: A l'ordre du jour !— Un grand nombre de membres parlent à la fois.

M. HÉRAULT-SECHELLES, député par le département de Paris : Il était de règle dans le corps constituant que l'on n'était pas lié par un décret rendu la veille, quand le procès-verbal n'était pas clos. J'en pourrais citer mille exemples. Je n'agiterai point la question de savoir si le décret que nous avons rendu est de police intérieure, ou s'il est législatif ; je proposerai une motion nouvelle...

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sire que la discussion soit continuée; l'autre, qu'elle soit fermée je vais consulter l'Assemblée.

L'Assemblée décide, à une grande majorité, que la discussion sera continuée.

M. Fauchet et quelques autres membres montent à la tribune et prêtent le serment de fidélité à la constitution.

M. CHAMPION, député par le département du Jura: Les événements heureux de notre constitution ont répandu l'allégresse sur toute la surface de l'empire. C'est à nous qu'il est réservé de cimenter l'heureuse alliance du corps législatif et du roi, commencée par nos prédécesseurs avec tant de succès. Le décret que nous avons rendu hier peut avoir des effets contraires extrêmement dangereux pour la sûreté publique, la confiance et la prospérité du commerce. Je suis moins alarmé sur le décret en lui-même, qui n'a rapport qu'à des objets puérils, que sur cette vivacité effrayante avec laquelle il a été rendu. Je ne partage point les sollicitudes de ceux qui craignent l'idolâtrie du peuple pour un fauteuil d'or; mais ce que je crains pour notre situation politique, c'est qu'on ne nous suppose l'intention d'établir une lutte avec le pouvoir exécutif, lutte infiniment dangereuse, et qui tournerait toujours au détriment de la constitution, de quelque côté que fût la victoire. Au milieu du délabrement de nos finances, pouvons-nous employer nos premières séances à de si puériles débats, surtout lorsqu'il n'y a pas dix jours que le corps constituant a statué sur les objets soumis à notre discussion? Avez-vous remarqué quelle contradiction il y a entre les remercîments que nous lui avons votés, et l'empressement que nous mettons à réformer son ouvrage?

On ne veut pas des mots de sire, de majesté; on ne veut pas même qu'il soit donné au roi des applaudissements, comme s'il était possible d'interdire au peuple les marques de sa reconnaissance, lorsque le roi l'aura méritée. Il n'y avait, nous a-t-on dit, que flagornerie dans les discours des présidents du corps constituant. Ne nous déshonorons pas, messieurs, par une ingratitude coupable. Les fondateurs de la liberté n'ont pas été des esclaves; avant de fixer les prérogatives du trône ils ont établi les droits du peuple. C'est la nation qui est honorée dans la personne de son représentant héréditaire. (On murmure. M. Chabot demande l'ordre du jour.) C'est elle qui, après avoir créé la royauté, l'a revêtue d'un éclat qui remonte à sa source et rejaillit sur elle. Est-ce lorsque les émigrations se multiplient qu'il faut s'occuper de la forme d'un fauteuil? Le but de nos opérations doit être le bonheur de nos concitoyens; le décret que nous avons rendu peut y porter atteinte; je demande donc qu'il soit rapporté, que le cérémonial décrété par le corps constituant soit provisoirement observé, et que la discussion sur cet objet soit ajournée à deux mois.

M. CHABOT: Je demande l'ordre du jour.

M. LEQUINIO, député par le département du Morbihan: Il est absurde que le représentant du souverain se serve de ces mots, Votre Majesté, en parlant au premier fonctionnaire public; je me borne donc à demander qu'en supprimant ce titre nous nous conformions d'ailleurs au décret rendu par nos prédécesseurs.

M. REBOUL: La constitution porte que le corps législatif aura le droit de police dans le lieu de ses séances. C'est conformément à cette loi que les décrets rendus sur le cérémonial, par l'Assemblée à laquelle nous succédons, dans un moment où elle n'avait plus le pouvoir constituant, ont été exécutés sans avoir besoin de sanction. Or le décret que nous avons rendu ne concerne rien qui n'ait rapport au

régime intérieur de notre Assemblée; donc il est légal, donc il n'est point soumis à la sanction, donc il est exécutable sur-le-champ. On nous a dit qu'il pouvait avoir des effets funestes, et que déjà les actions avaient baissé. Nous sommes dans une ville où toutes les intrigues nous attaqueront; nous en sommes prévenus d'avance. Le décret du corps constituant sur le cérémonial avait été principalement influencé par la crainte où l'on était que le roi ne fût insulté par les ennemis reconnus de la constitution. Quant à nous, qui sommes tous dirigés par des vues de bien public, nous nous prêterons aux circonstances; et si le roi se tient debout, nous nous y tiendrons aussi. Quant au titre qui doit lui être donné, la constitution ne lui en avait affecté aucun, et celui que nous lui avons déféré est le plus honorable. La chose publique nous appelle à l'ordre des finances, passons-y; mais ne révoquons pas un décret rendu la veille, si nous ne voulons pas nous exposer à discuter tous les jours la même chose.

M. L'ÉVÊQUE DU DÉPARTEMENT DE... Je dois dire que le décret rendu hier était attendu avec impatience par les ennemis de la constitution, et qu'il a fait toute leur joie.

M. ***: On a eu raison d'observer que lorsque l'Assemblée constituante a rendu son décret sur le cérémonial, ses pouvoirs n'étaient pas alors plus étendus que les nôtres. Je demande donc qu'on passe à des objets plus importants, que nous examinions dans quel état nous prenons le royaume, pour que l'on sache dans quel état nous le rendrons.

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M. DUCASTEL, député par le département de la Seine-Inférieure: Je prie l'Assemblée de m'écouter, sinon avec indulgence, du moins avec impartialité. Il y a trois points à examiner dans le décret rendu hier de quelle manière le roi sera admis dans l'Assemblée, comment vous lui ferez des députations comment vous le qualifierez. Ou ce décret est législatif, ou il est de police intérieure. S'il est législatif, ou il est urgent, ou il n'est pas urgent. S'il est urgent, il est révocable, parce qu'il n'a pu être provoqué que par les circonstances; s'il n'est pas urgent, il n'a pas été rendu selon les formes constitutionnelles. Si le décret est de police intérieure, comme vous avez été libres de le faire, vous êtes libres de le rapporter, suivant que les circonstances sont plus ou moins convenables. Je reprends ma division; le décret est-il législatif? Oui; je m'explique, je sais que l'Assemblée a le droit de sa police intérieure, qu'elle ne sort pas de ses limites en décrétant que le souverain sera recu de la manière...

Un grand nombre de députés se lèvent et demandent à grands cris que M. Ducastel soit rappelé à M. Ducastel l'ordre. L'agitation est très-vive. veut parler. Les cris recommencent avec plus de violence: A l'ordre! à l'ordre!

M. LACROIX: M. Ducastel a manqué à la constitution en prononçant un mot réprouvé par elle; je demande cependant qu'il soit entendu, et qu'ensuite l'Assemblée soit consultée pour savoir s'il sera rappelé à l'ordre, parce que M. le président a lui-même manqué à l'ordre en m'y rappelant sans avoir pris le vœu de l'Assemblée.

M. DUCASTEL : L'axiome de l'ancien régime m'a égaré; je me suis servi d'une expression inconstitutionnelle, je la révoque; je me mets moi-même à l'ordre, et je demande à mes collègues l'indulgence que nous nous devons réciproquement. Je déclare que dans toute cette discussion je ne suis que l'impulsion de ma conscience, et que, s'il y a des partis, j'y suis étranger. Je reprends la discussion. — Ou le décret est législatif, ou il est de régime intérieur; sous un

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