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semblable que ce fut là le principal motif qui détermina l'assemblée à en prononcer le licenciement. Il ne tint à rien que dans cette même séance tous les officiers de la garde ne fussent décrétés d'accusation; mais cette fois, l'emportement et l'atrocité de l'assemblée le cédèrent à la crainte qu'elle eut de mettre en insurrection contre elle tout le corps des gardes du roi. Cette considération fit restreindre le décret d'accusation au brave et malheureux duc de Brissac, qui fut conduit le lendemain dans les prisons d'Orléans, d'où il n'est sorti que pour être massacré à Versailles, avec tous les prisonniers de la hautecour nationale. Ce digne et fidèle serviteur du roi auroit pu très-aisément se soustraire à l'exécution du décret d'accusation, qui étant rendu à trois heures après-minuit, ne pouvoit être expédié et notifié que le lendemain. Il auroit pu, jusqu'à sept heures du matin, sortir de Paris sans le moindre obstacle, parce que la formalité des passe-ports pour l'intérieur n'étoit pas encore établie. On avoit fait mettre des chevaux à sa chaise de poste; ses parens, ses amis le pressoient, le supplioient d'y monter; mais la répugnance, naturelle aux Brissac pour toute idée de fuite, et sur-tout la crainte de compromettre le roi, le rendirent inflexible. Il fit avertir lui-même le directoire du département qu'il étoit prêt à se rendre à Orléans.

VIII.

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Le roi, qui ne se dissimuloit pas le véritable motif de ce décret, en fut vivement affecté. Il fit appeler le lendemain matin, de très-bonne heure, tous les ministres, et leur fit part de la lettre qu'il se proposoit d'écrire à l'assemblée, pour lui annoncer son refus de sanctionner ce décret; mais ils refusèrent tous de contresigner cette lettre, et par conséquent mirent le roi dans l'impossibilité de l'envoyer. Il leur proposa alors de donner à cette lettre la forme d'un discours qu'il iroit prononcer lui-même à l'assemblée; mais ils refusèrent également de l'y accompagner : ils poussèrent même la lâcheté jusqu'à effrayer à un tel point le roi et la reine sur la prétendue animosité du peuple contre la garde, sur le danger inévitable auquel S. M. l'exposeroit, et s'exposeroit elle-même si la sanction étoit différée d'un jour, que le roi, sans se donner le temps d'y réfléchir, consentit à sanctionner sur-le-champ ce décret, et à l'envoyer à l'assemblée.

Une heure après avoir signé cette sanction fatale, le roi reçut la lettre que je lui écrivois sur cette affaire importante. J'insistois fortement sur la nécessité pressante de ramener énergiquement l'assemblée à l'exécution de la constitution, qui en ordonnant que le roi auroit une garde de dix-huit cents hommes, n'avoit donné au corps législatif aucune inspection ni autorité quelconque sur cette garde; que c'étoit au roi seul que de

voient être adressées ou renvoyées toutes les plaintes portées contre la garde en général; que l'assemblée pouvoit bien recevoir les dénonciations particulières contre quelques officiers ou soldats de cette garde, et les décréter d'accusation, s'il y avoit lieu, mais que là se bornoit son ministère.

Avant d'avoir reçu la réponse du roi, j'appris, avec autant de douleur que de surprise, que le décret étoit déjà sanctionné, et que le duc de Brissac étoit parti pour Orléans, après avoir résisté pendant toute la nuit aux sollicitations de ses parens et de ses amis, et aux moyens qu'ils lui offroient pour assurer sa fuite. Je reçus dans la soirée seulement la réponse du roi, écrite de sa main, à la marge de ma lettre. Telle étoit la forme ordinaire de ma correspondance avec S. M.; je lui renvoyois toujours, avec la lettre du lendemain, celle à laquelle il avoit répondu la veille; de manière que mes lettres et ses réponses, dont je me contentois de prendre note, ne restoient jamais vingt-quatre heures entre mes mains. J'avois proposé cet arrangement à sa majesté,' pour lui ôter toute inquiétude. Mes lettres étoient remises ordinairement au roi ou à la reine par M. de M......, capitaine de la garde du roi, dont leurs majestés connoissoient le dévonement, ou par un ancien commissaire de la marine à Brest,

nommé Amyot, dont le zèle et la fidélité étoient à toute épreuve. J'en chargeois aussi quelquefois M. Bernard de Marigny, qui n'avoit quitté le commandement de Brest que pour se rapprocher des dangers qui menaçoient le roi, et partager avec tous les fidèles serviteurs de S. M. l'honneur de lui faire un rempart de sa personne. C'étoit toujours M. de M.... qui alloit chercher les réponses du roi, à l'heure indiquée par sa majesté. Celle qu'il me rapporta ce jour-là étoit conçue en ces termes : « Il n'est malheureusement plus temps. » de faire ce que vous proposez; les ministres » m'ont assuré que la fermentation du peuple » étoit si violente, qu'il n'étoit pas possible de » différer la sanction du décret, sans exposer la » garde et le château aux plus grands dangers. » J'ai sanctionné, bien malgré moi; mais le mal » est sans remède. »

Il n'en restoit plus, sans doute, après la sanction de ce décret; j'en fus d'autant plus consterné, que j'étois fermement convaincu que, malgré la défection des ministres dans cette circonstance, il étoit possible d'en tirer un parti trèsavantageux, et peut - être entièrement décisif contre l'assemblée, si le roi, qui ne pouvoit voir dans ce décret qu'une preuve certaine d'un complot atroce qui menaçoit également sa personne et la royauté, avoit pu se déterminer à une démarche énergique, qui pouvoit seule sauver l'une

et l'autre (1); et ma lettre auroit pu produire cet effet, si le roi l'avoit reçue avant la sanction.

Je ne dois pas passer sous silence une dénonciation qui survint au milieu des débats qui précédèrent ce décret, et qui, quoiqu'étrangère à la garde du roi, fut accueillie avec transport par les factieux, comme une preuve des complots dont ils l'accusoient d'être l'instrument. Des soldats invalides se présentèrent à la barre, dans la journée du 29, et rapportèrent qu'il avoit été ordonné la veille à tous les commandans des postes de l'hôtel de se replier, dans le cas où un corps armé, soit de la garde du roi, soit de la garde nationale, viendroit se présenter. Les officiers qui avoient donné cette consigne, ayant été mandés, confirmèrent le rapport des soldats. « Le moment est » venu, s'écria Couthon épouvanté, où l'assem» blée doit déployer un grand caractère. Il existe » une grande conspiration, dont le centre est, » nous le savons tous, au château des Tuileries. » Carnot, digne émule de Couthon en lâcheté comme en jacobinisme, prétendit aussi que le moment étoit arrivé de se presser plus que jamais autour de la constitution, qui seule pouvoit tout sauver. Il avouoit qu'elle ne permettoit pas de licencier la garde du roi; mais vous pouvez, ditil, la suspendre provisoirement, en le prévenant,

(1) Voyez à la fin du volume la note re.

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