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tant qu'il étoit en son pouvoir, non-seulement en feignant d'y ajouter foi, mais en les fesant servir de prétexte aux réquisitions qu'il adressa, le 22 mai, au commandant de la garde nationale, par la lettre suivante :

« Plusieurs personnes, monsieur le comman» dant-général, me font part d'inquiétudes sur le » départ du roi pour cette nuit. On parle aussi, » pour cette nuit, de mouvemens et d'émeutes; » on accompagne le tout de probabilités et d'in» dices. Je vous prie, en conséquence, de ne » pas perdre un instant, et de prendre toutes » les mesures d'observation et de prudence, de » multiplier les patrouilles dans les environs dn » château, et de les rendre nombreuses. »

le

Le mouvement extraordinaire qu'occasionna dans le château l'exécution des ordres que commandant avoit donnés en conséquence de cette lettre, qu'il avoit reçue à dix heures du soir, ayant été remarqué par le roi, il fit appeler çet officier, et lui demanda quel étoit le motif de ces dispositions nocturnes pour le renforcement de la garde du château et des patrouilles des environs, non seulement sans que sa majesté en eût donné l'ordre, mais sans qu'elle en eût la moindre connoissance. Le commandant ne pouvant expliquer et justifier sa conduite que par la lettre de Pétion, n'hésita pas à la communiquer au roi, qui la lut avec autant d'indignation que de sur

prise. Etoit-il concevable en effet que, sur des propos vagues, absurdes, et dont la fausseté pouvoit être si promptement vérifiée, le chef de la municipalité et de la police, au lieu d'aller luimême au château, où il auroit vu qu'il n'y avoit ni rassemblement ni mouvement, quelconque, eût cru innocemment, et de bonne foi que devoirs de sa place l'obligeoient à requérir, au milieu de la nuit, des mesures assez alarmantes, pour répandre le trouble et l'effroi dans la capitale, et déterminer les mouvemens populaires qu'il paroissoit vouloir prévenir?....

les

Je fus instruit de ces détails par la lettre que je reçus duroi le lendemain, à neuf heures du matin. J'allai sur-le-champ en faire part à M. de Montmorin, pour pouvoir marquer, le plutôt possible à sa majesté, conformément à ses ordres, quelle étoit l'opinion de ce ministre et la mienne, sur le parti qu'il convenoit de prendre dans cette circonstance. Nous pensâmes, l'un et l'autre, que ce le roi avoit de mieux à faire étoit de dénoncer à la municipalité, par une lettre très-énergique, la conduite aussi irrégulière qu'indé cente de Pétion, et d'adresser une copie de cette lettre au directoire du département, qui, étant composé de gens sages et bien intentionnés, s'empresseroit probablement de la rendre publique.

que

Le roi adopta entièrement cet avis, et écrivit

le même jour (23 mai) à la municipalité une lettre conçue en ces termes :

« J'ai vu, messieurs, une lettre que M. le » maire a écrite hier au commandant de la garde » nationale, et par laquelle il le prévient d'in» quiétudes sur mon départ pendant la nuit, fon» dées, dit-il, sur des probabilités et des indices. » Il mêle cette nouvelle avec des bruits de mou» vemens et d'émeute, et il ordonne de multi» plier les patrouilles, et de les rendre plus nom» breuses. Pourquoi M. le maire, sur de pareils » bruits, donne-t-il des ordres à M. le comman»dant-général, et ne m'en fait-il rien dire, lui, » qui par la constitution doit faire exécuter sous »mes ordres les lois pour le maintien de la tran» quillité publique ? A-t-il oublié la lettre que » j'ai écrite à la municipalité au mois de février? » Vous reconnoîtrez aisément, messieurs, que » ce bruit, dans les circonstances présentes, est » une nouvelle et horrible calomnie à l'aide de » laquelle on espère soulever le peuple, et l'éga»rer sur la cause des mouvemens actuels. Je » suis informé de toutes les manoeuvres qu'on > emploie, et de celles qu'on prépare pour » échauffer les eprits, et pour m'obliger à m'é»loigner de la capitale ; mais on le tentera vai »nement. Lorsque la France a des ennemis à "combattre au-dedans et au-dehors, c'est dans » la capitale que ma place est marquée; c'est là

» que j'espère parvenir toujours à tromper l'es»pérance coupable des factieux. Je me fie sans » réserve aux citoyens de Paris, à cette garde » nationale qui s'est toujours respectée, et dont » les détachemens employés sur nos frontières » viennent de donner une nouvelle preuve de » leur excellent esprit. Elle sentira que son hon. »neur exige en ce moment qu'elle redouble de » zèle et de vigilance. Entouré d'elle, et fort de » la pureté de mes intentions, je serai toujours » tranquille sur tous les évènemens qui pourront » arriver; et quelque chose que l'on fasse, rien » n'altérera ma sollicitude et mes soins pour le » bien du royaume.

» Signé LOUIS. »

Dans la lettre d'envoi qui accompagnoit la copie de celle que le roi avoit écrite à la munici palité, sa majesté se bornoit à recommander au directoire du département de redoubler de vigilance et de soins pour le maintien de la tranquillité publique dans un moment où la méchanceté des bruits qu'on affectoit de répandre ne pouvoit que faire suspecter de mauvaises intentions.

Aussitôt après la lecture de ces deux lettres, le directoire en ordonna l'impression et l'affiche, ainsi que nous l'avions prévu. Elles furent publiées le lendemain dans la plupart des journaux, et excitèrent contre Pétion un cri d'indignation presque général. Ses amis épuisèrent en vain pour

le justifier tous les lieux-communs révolutionnaires sur son zèle, sur son patriotisme, etc., etc.; sa lettre aux citoyens, insérée dans tous les papiers publics, ne produisit pas plus d'effet. Il eut beau dire que la chaîne ascendante et la chaîne descendante établies par la constitution entre les autorités constituées, le dispensoient de prendre les ordres du roi, que le commandant avoit commis une grande indiscrétion en se désaisissant d'une lettre confidentielle qui lui étoit adressée; que l'officier qui l'avoit remise au roi avoit eu manifestement de mauvaises intentions. L'opinion qui prévalut, fut que la conduite de Pétion étoit celle d'un scélérat, ou celle d'un sot, et celle qu'il a tenue dans plusieurs autres circonstances a suffisamment prouvé qu'il étoit l'un et l'autre.

Le parti prudent et énergique que prit le roi dans cette occasion ne fit échouer qu'à son égard les dernières manoeuvres des jacobins; car elles eurent le succès le plus complet relativement au décret qu'ils avoient proposé contre les prêtres non-assermentés, et ils se flattèrent que son exécution auroit bientôt purgé la France de cette classe nombreuse de prêtres fidèles, aussi inébranlables dans leur attachement à la royauté, que dans leurs principes religieux, et par conséquent ennemis irréconciliables de la faction qui vouloit renverser et le trône et l'autel.

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