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gées d'après les bases arrêtées par le roi, ne les emporteroit point avec lui, mais qu'il lui en seroit envoyé une copie en chiffres à Genève sous le couvert d'un de ses amis. J'avois imaginé, pour cet effet, un chiffre impossible à deviner, quand on n'en avoit pas la clef. Il exigeoit un dictionnaire, et j'avois choisi celui des rimes, parce que chaque ligne y étant composée d'un seul mot, le travail de chiffrer et de déchiffrer étoit moins pénible, et que d'ailleurs les syllabes qui sont au haut de chaque page, donnoient la facilité de chiffrer le même mot de plusieurs ́manières différentes, pour dérouter plus sûre'ment tous les déchiffrans des comités.

Ces instructions étoient composées de sept articles, dont voici la teneur (1):

«1°. Le roi joint ses prières à ses exhorta» tions, pour engager les princes et les Français » émigrés à ne point faire perdre à la guerre » actuelle, par un concours hostile et offensif de » leur part, le caractère de guerre étrangère » faite de puissance à puissance;

» 29. Il leur recommande expressément de

(1) Depuis la publication de la traduction anglaise de mes Mémoires particuliers, je suis parvenu à recouvrer ma correspondance originale avec Mallet-du-Pan; et c'est d'après les pièces qui la composent, que j'ai rédigé cet article,

» s'en remettre à lui et aux cours intervenantes » de la discussion et de la sûreté de leurs inté» rêts, lorsque le moment d'en traiter sera venu;

» 3°. Il faut qu'ils paroissent seulement par»ties et non arbitres dans le différend, cet arbi» trage devant être réservé à S. M., lorsque la » liberté lui sera rendue, et aux puissances qui » l'exigeront;

» 4o, Toute autre conduite produiroit une guerre » civile dans l'intérieur, mettroit en danger les » jours du roi et de sa famille, renverseroit le » trône, feroit égorger les royalistes, rallieroit » aux jacobins tous les révolutionnaires qui s'en » sont détachés, et qui s'en détachent chaque » jour, ranimeroit une exaltation qui tend à s'é» teindre, et rendroit plus opiniâtre une résis» tance qui fléchira devant les premiers succès, » lorsque le sort de la révolution ne paroîtra pas » exclusivement remis à ceux contre qui elle a » été dirigée, et qui en ont été les victimes;

» 5o. Représenter aux cours de Vienne et de » Berlin, l'utilité d'un manifeste qui leur seroit » commun avec les autres états qui ont formé le » concert. L'importance de rédiger ce manifeste, » de manière à séparer les jacobins du reste de la » nation, à rassurer tous ceux qui sont suscep»tibles de revenir de leur égarement, ou qui » sans vouloir la constitution actuelle, desirent » la suppression des abus, et le règne de la

liberté modérée sous un monarque, à l'autorité

» duquel la loi mette des limites;

» 6o. Faire entrer dans cette rédaction la vérité » fondamentale, qu'on fait la guerre à une fac» tion anti-sociale, et non pas à la nation fran»çaise ; que l'on prend la défense des gouverne» mens légitimes et des peuples contre une anar»chie furieuse, qui brise parmi les hommes tous » les liens de la sociabilité, toutes les conventions » à l'abri desquelles reposent la liberté, la paix, » la sûreté publique au-dedans et au-dehors; ras»surer contre toute crainte de démembrement, » ne point imposer de lois, mais déclarer énergi» quement à l'assemblée, aux corps administra»tifs, aux municipalités, aux ministres, qu'on » les rendra personnellement et individuellement » responsables, dans leurs corps et biens, de tous > attentats commis contre la personne sacrée du » roi, contre celle de la reine et de leur famille, » contre les personnes ou les propriétés de tous » citoyens quelconques;

» 7o. Exprimer le vœu du roi, qu'en entrant » dans le royaume, les puissances déclarent » qu'elles sont prêtes à donner la paix, mais » qu'elles ne traiteront, ni ne peuvent traiter » qu'avec le roi; qu'en conséquence elles re» quèrent que la plus entière liberté lui soit ren» due, et qu'ensuite on assemble un congrès, » où les divers intérêts seront discutés sur les

» bases déjà arrêtées, où les émigrés seront admis » comme parties plaignantes, et où le plan gé» néral de réclamation sera négocié sous les aus»pices et sous la garantie des puissances. ».

Un double de ces instructions, paraphé par le roi d'un trait de plume particulier, connu du maréchal de Castries, devoit lui être transmis par mon frère le chevalier, qui, suivant les intentions du roi, devoit partir le premier, avec un passeport pour l'Angleterre, et prendre à Douvres le paquebot d'Ostende, pour aller annoncer et attester au maréchal la mission importante confiée à Mallet-du-Pan, afin qu'elle ne fût pas confondue avec celle dont plusieurs individus arrivant de France, avoient prétendu être chargés, quoique le roi ni la reine n'en eussent pas la moindre connoissance. Malheureusement mon frère tomba malade deux jours avant celui qui étoit fixé pour son départ, et lorsque sa santé fut rétablie, son voyage étoit devenu inutile.

Le roi donna de plus amples développemens à quelques articles de ces instructions, dans les lettres qu'il m'écrivit, et qu'il m'ordonna de communiquer à Mallet-du-Pan. Elles contenoient la recommandation spéciale d'insister fortement de la part de S. M., auprès des puissances coalisées, pour en obtenir que les émigrés ne fussent jamais employés en première ligne, mais seulement à la suite des armées, et à garder les places dont on

s'empareroit. On a attribué cette recommandation aux inquiétudes qu'on supposoit avoir été données au roi, sur les prétentions extrava gantes qu'élèveroient les princes et les émigrés, si sa majesté étoit réduite à l'humiliation de devoir à leur dévouement le rétablissement de son autorité. Mais quoique j'aie de fortes raisons pour croire qu'on a essayé d'inspirer ces préventions odieuses au roi, et sur-tout à la reine, je dois déclarer ici que dans cette occasion je n'en ai pas apperçu la moindre trace dans la correspondance de leurs majestés; je n'y ai vu, au contraire, que la plus tendre amitié pour les princes, l'intérêt le plus sincère et le plus touchant pour la noblesse française, et par-dessus tout une horreur extrême pour toute idée de guerre civile. Le roi n'avoit pas de desir plus ardent que celui de voir rentrer les émigrés en France, sans qu'on eût à leur reprocher d'avoir fait couler une seule goutte de sang français.

* Mallet-du-Pan partit pour Genève le 17 mai, et deux jours après y être arrivé, il adressa au maréchal de Castries la lettre suivante ::

Genève, le 24 mai 1792.

Monsieur le maréchal, arrivé ici avant-hier, » je me prépare à en partir dès les premiers jours » de la semaine prochaine, pour me rendre en » diligence auprès de vous, et pour vous consul

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