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« Quelqu'affligeantes que soient ces nouvelles, » disoit, à cette occasion, le ministre Servan, » dans la séance du 14 mai, on doit s'en consoler, » en pensant que ce ne sont que les traîtres qui » ont déserté. C'est peut-être un bonheur auquel » il falloit s'attendre; car rien n'est plus heureux » pour les troupes que de les voir se purger des » immondices qu'il pourroit y avoir. Loin de nous » décourager, par la perte de ces forces appa »rentes, les amis de la liberté doivent se roidir » contre les obstacles, et prendre un nouveau » courage.......... Vous prescrirez, sans doute, les » peines qui doivent être infligées, non-seule» ment aux officiers qui sont passés chez l'étran»ger, mais même, j'ose le dire, à ceux qui ont > eu l'infamie de donner leur démission au mo» ment de l'attaque. »

Loin de partager cette sécurité patriotique, le roi voyoit, avec la plus profonde douleur, la France engagée dans une guerre injuste et sanglante, que la désorganisation de ses armées sembloit la mettre dans l'impossibilité de soutenir, et qui exposoit plus que jamais nos provinces frontières à être envahies. Sa majesté redoutoit, par-dessus tout, la guerre civile, et ne doutoit pas qu'elle n'éclatât à la nouvelle du premier avantage remporté sur les troupes françaises par les corps d'émigrés qui fesoient partie de l'armée autrichienne. Il n'étoit que trop à craindre, en ef

fet, que les jacobins et le peuple en fureur n'exerçassent les plus sanglantes représailles contre les prêtres et les nobles restés en France. Ces inquiétudes, que le roi me témoigna dans la correspondance journalière que j'avois avec sa majesté, me déterminèrent à lui proposer de charger une personne de confiance de se rendre auprès de l'empereur et du roi de Prusse, pour tâcher d'en obtenir que leurs majestés n'agissent offensivement qu'à la dernière extrémité, et qu'elles fissentprécéder l'entrée de leurs armées dans le royaumé d'un manifeste bien rédigé, dans lequel il seroit déclaré « que l'empereur et le roi de Prusse, for»cés de prendre les armes par l'agression injuste » qui leur avoit été faite, n'attribuoient ni au roi, » ni à la nation, mais à la faction criminelle qui » les opprimoit l'un et l'autre, la déclaration de » guerre qui leur avoit été notifiée; qu'en consé» quence, loin de se départir des sentimens d'a» mitié qui les unissoient au roi et à la France, » leurs majestés ne combattroient que pour les » délivrer du joug de la tyrannie la plus atroce » qui eût jamais existé, et pour les aider à réta» blir l'autorité légitime violemment usurpée, » l'ordre et la tranquillité, le tout sans entendre » s'immiscer en aucune manière dans la forme » du gouvernement, mais pour assurer à la nation » la liberté de choisir celui qui lui conviendroit ➜ le mieux; que toute idée de conquête étoit bien

pro

» loin de la pensée de leurs majestés; que les » priétés particulières ne seroient pas moins res»pectées que les propriétés nationales; que leurs » majestés prenoient sous leur sauve-garde spé»ciale tous les citoyens paisibles et fidèles ; que » leurs seuls ennemis, comme ceux de la France, » étoient les factieux et leurs adhérens, et que » leurs majestés ne vouloient connoître et com» battre qu'eux, etc., etc. » Mallet-du-Pan, dont le roi estimoit les talens et l'honnêteté, fut chargé de cette mission. Il y étoit d'autant plus propre, qu'on ne l'avoit jamais vu au château, qu'il n'avoit aucune liaison avec des personnes attachées à la cour, et qu'en prenant la route de Genève, où on étoit accoutumé à lui voir faire de fréquens voyages, son départ ne pouvoit faire naître aucun soupçon. Comme il eût été trop imprudent de lui donner des lettres de créance, et que cependant il étoit absolument nécessaire de le mettre en état de justifier auprès de l'empereur et du roi de Prusse qu'il étoit envoyé par le roi, je proposai à sa majesté de l'adresser au baron de Breteuil, et je donnai pour motif à cette proposition, les pouvoirs ou les instructions qu'on m'avoit dit que cet ancien ministre avoit reçus de sa majesté. Dans sa réponse à cet article, le roi écrivit à la marge: << Point du tout, il n'en a plus; vous pouvez adres» ser Mallet-du-Pan, de ma part, au maréchal de Castries, avec les précautions que vous pro

»posez; elles sont nécessaires. Cette réponse me rappela les sigues d'humeur ou de rancune que j'avois remarqués dans quelques circonstances sur le visage du roi, lorsque le nom du baron de Breteuil étoit prononcé devant lui; il lui échappa même un jour de nous dire, à M. de Lessart et à moi, d'un ton brusque, et à demivoix : « C'est lui qui nous a fait faire ce maudit » voyage de Varennes. » J'ai demandé depuis au marquis de Bouillé l'explication de cette phrase qui ne se concilioit pas trop avec la lettre qu'il avoit écrite à l'assemblée, après le retour du roi; il m'a répondu que cette lettre n'avoit eu d'autre objet que d'opérer une diversion avantageuse à leurs majestés, en appelant sur lui seul tout le blâme et l'animadversion violente excités par leur départ.

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Les précautions que le roi m'avoit recommandées, relativement à la mission de Mallet-du-Pan, avoient pour objet les lettres et les instructions dont il devoit être chargé. Il pouvoit être arrêté, ses papiers pouxoient être saisis; il étoit donc bien essentiel qu'on n'y trouvât pas un seul mot qui pût compromettre le secret du roi. Ce danger étoit facile à éviter dans la lettre qui devoit accréditer Mallet-du-Pan auprès du maréchal de Castries, et je la rédigeai de manière que le comité de surveillance le plus soupçonneux, n'auroit pas pu deviner qu'elle eût le moindre rapport au roi, ni

t

qu'elle fût destinée à quelqu'autre personne qu'à Mallet-du-Pan lui-même, à qui je l'adressai sous enveloppe.

Cette lettre, écrite de ma main, et signée de moi, ne pouvoit être que très-vague et très-insignifiante, d'autant plus que je connoissois trèspeu M. le maréchal de Castries, et que je ne lui avois jamais écrit ; elle étoit conçue à-peu-près dans ces termes :

« Le porteur de cette lettre, monsieur, a la > confiance, et connoît les intentions d'une fa» mille à laquelle vous êtes très-dévoué, et qui » compte entièrement sur votre attachement. Je » me suis chargé de vous l'adresser et de vous le » recommander. Il part uniquement pour rendre » service à cette famille intéressante, et » doute pas que lorsqu'il vous aura fait con» noître l'objet de son voyage, vous ne vous > empressiez d'appuyer et d'accréditer ses dé» marches par tous les moyens qui pourront » dépendre de vous. »

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Ce n'étoit qu'en arrivant à Cologne, que Malletdu-Pan devoit mettre à cette lettre une nouvelle enveloppe, à l'adresse du maréchal de Castries.

Les instructions relatives à cette mission, étoient et devoient être trop claires et trop précises, pour être susceptibles du même déguisement. Il fallut donc avoir recours à d'autres moyens; et il fut décidé que Mallet-du-Pan, qui les avoit rédi

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