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CHAPITRE XXII.

Attentats du 20 juin.

Le directoire du département avoit parfaitement rempli sa tâche constitutionnelle, par l'arrêté qu'il avoit pris le 19 juin; et la justice m'impose, autant que la vérité, le devoir de consigner ici les éloges qui sont dus à la conduite de tous ses membres, dans cette circonstance critique, et particulièrement à celle du procureur-syndic (Roederer.) Malheureusement, sa vigilance, son zèle et sa fidélité furent aussi mal secondés qu'il étoit possible. Toute la soirée se passa en conciliabules séditieux et en assemblées de sections, où les manoeuvres des jacobins et les déclamations violentes de leurs émissaires firent adopter presque généralement les motions les plus incendiaires et les plus contraires à l'arrêté du département. La nuit fut employée à préparer et à rassembler des armes de toute espèce. La municipalité en fut instruite (1), et resta dans l'inaction. Le lendemain matin, les commandans des bataillons de la

(1) Voyez le rapport fait par Pétion le 20 juin, à la

séance du soir.

garde nationalé se rendirent tous chez le maire, et lui dirent que les intentions des citoyens étoient bonnes; mais qu'ils vouloient marcher en armes, parce que l'assemblée avoit déjà admis plusieurs fois des pétitionnaires armés. Pétion ne vit aucun inconvénient à autoriser les bataillons à marcher en armes, et crut (ou feignit de croire) qu'en contraignant les autres citoyens armés à se ranger sous les bannières nationales, tout resteroit dans l'ordre, et que la loi ne seroit point violée. (C'est son rapport que je copie.) Voilà ce qui a été fait, ajouta-t-il, et je dis que cela est parfaitement conforme à la loi !

On a beaucoup parlé de la stupidité de Pétion, et je suis loin de la révoquer en doute; mais ce seroit l'exagérer beaucoup, que de croire qu'il fût capable de faire de bonne foi un pareil raisonnement. Il savoit, comme tout le monde, que l'assemblée n'avoit admis à défiler devant elle quelques rassemblemens armés, qui s'étoient présentés en qualité de pétitionnaires, que par la crainte de leur mécontentement, et sur-tout de l'usage qu'ils pourroient faire de leurs armes, si elle leur eût refusé la permission de les lui présensenter. Cet acte de condescendance, ou plutôt de pusillanimité, de la part de l'assemblée, étoit une violation manifeste de la loi; mais il n'en étoit, ni ne pouvoit en être l'abrogation; ainsi, rien ne pouvoit dispenser la municipalité d'obéir

à l'injonction qui lui étoit faite par le département, de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher tous rassemblemens contraires à la loi. Il est incontestable qu'elle ne pouvoit pas suivre une autre marche, sans se rendre respon→ sable des évènemens; or, voici qu'elle fut sa conduite.

A cinq heures du matin elle adressa au directoire du département un avis conçu en ces termes :

«La municipalité et les administrateurs de » police, instruits que des citoyens des faubourgs » St.Marcel et St.-Antoine marchent en armes; » que des sections ont autorisé les commandans » de bataillon à les conduire, et que les habitans » des environs veulent s'y réunir, a mandé » les commandans de bataillon pour en rendre » compte. Ils nous ont assuré que les citoyens » n'avoient que des intentions pacifiques; mais » qu'ils s'obstinoient à vouloir marcher en armes. » La municipalité a insisté auprès des comman » dans de bataillon des faubourgs St.-Marcel et » St.-Antoine : ils ont répondu qu'il étoit impos»sible de vaincre les esprits. Ne seroit-il pas pos »sible de prendre un parti prudent, en autorisant » ces citoyens à se ranger avec la garde natio » nale, et en les fesant fraterniser ensemble? Ils » ne paroissent plus vouloir se rendre à la barre » de l'assemblée, ni chez le roi en armes. » i

Le directoire répondit sur-le-champ aux offi

ciers municipaux', que leur lettre ne l'avoit point fait changer de résolution; qu'il étoit toujours déterminé à ne pas composer avec la loi, et qu'il persistoit dans son arrêté antérieur. Quoique l'autorisation que demandoit la municipalité lui eût été refusée aussi formellement qu'il étoit possible, elle n'en continua pas moins de favoriser de tout son pouvoir l'attroupement séditieux qui se formoit; je n'ai besoin d'invoquer d'autre preuve cet égard que les aveux consignés dans le rapport que Pétion fit ce même jour à l'assemblée :

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« Des officiers municipaux, dit-il, se sont trans> portés aux rassemblemens, et ont harangué les » citoyens; les citoyens ont dit: Nous ne for» mons pas un attroupement, une émeute, les » bataillons demandent à être requis. La munici »palité s'est assemblée; elle a cru qu'il seroit » très - imprudent, très-dangereux, de laisser » mettre en marche quarante mille hommes sans » chefs; elle a cru devoir légaliser la mesure, et » faire en sorte que les citoyens ne pussent jamais » manquer à la loi. La municipalité a donc requis » les bataillons de se mettre en marche, et les » citoyens ont été tenus de se ranger sous les dra» peaux de la garde nationale. »

Ainsi donc, de l'aveu du maire, la municipalité, au lieu de prendre toutes les mesures qui étoient à sa disposition, pour empêcher les rassemblemens, crut devoir les légaliser; au lieu de requé

rir la garde nationale de les dissiper, elle la requit de se mettre à leur tête; et Pétion, qui vit tout en beau dans cette affreuse journée, ne sut qu'admirer la prétendue magnificence du spectacle qu'offroit la marche de ces quarante mille pétitionnaires armés (1). Il n'en fut pas de même du directoire du département. Vivement alarmé des rapports qu'il avoit recus pendant la nuit, et de ceux qui avoient déterminé le ministre de l'intérieur à faire marcher des troupes sans délai, pour défendre le château qui étoit menacé de dangers pressans, il renouvela à la municipalité et au commandant de la garde nationale les injonctions qu'il leur avoit faites par l'arrêté de la veille. Aussitôt qu'il fut instruit que le rassemblement étoit formé, il alla en rendre compte à l'assemblée, et lui faire part de ses inquiétudes. « Il » paroît, dit le procureur-syndic, parlant au nom » du directoire, que ce rassemblement, composé » de personnes diverses par leurs intentions, a » aussi plusieurs objets distincts: planter un arbre, » en l'honneur de la liberté; célébrer une fête » civique, commémorative du serment du jeu de » paume; apporter à l'assemblée un nouveau tri» but d'hommages et de nouveaux témoignages » de zèle pour la liberté; tel est certainement le » but de la plus grande partie de ce rassemble

(1) Ce furent là ses propres paroles.

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