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assurer ainsi au roi la consolation la plus digne de son cœur, celle d'unir, comme Trajan, principatum et libertatem.

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« Voilà certainement, lui dis-je, un très-beau » plan; mais quels sont vos moyens d'exécution » pour le premier article, pour remettre le roi » en liberté? Nos moyens? Lafayette avec ses » gardes nationales, ou avec son armée, ou avec » l'un et l'autre, suivant les circonstances. » Lafayette Lafayette! m'écriai-je; pouvez» vous compter sur un pareil homme, après la » conduite que vous lui avez vu tenir ? — Il n'est » plus question de ce que M. de Lafayette a fait » depuis trois ou quatre ans, mais de ce qu'il » peut et veut faire dans ce moment-ci. N'est-il » donc pas possible que le même homme qui » s'est d'abord laissé entraîner dans des écarts » blamables par un enthousiasme trop ardent » pour la liberté, veuille ensuite la défendre » avec le même zèle, contre la licence effrénée » qui menace de la détruire? Dans ce moment, » Lafayette poursuit encore son roman; il n'a » commencé à croire aux droits de la royauté, » que lorsqu'il a pu la regarder comme adoptée, » établie et consolidée par le vou et par les ser» mens du peuple; mais si elle est aussi sacrée » pour lui par ses nouveaux droits qu'elle l'est » pour nous par ses anciens titres; s'il est aussi » sincèrement attaché à la monarchie parce

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» qu'elle est dans la nouvelle constitution, que » nous le sommes parce qu'elle est dans nos > cœurs et dans notre raison, que nous importe >> cette différence de motifs, s'il tend au même » but que nous ? C'est de ses actions, et non de »ses opinions que nous avons besoin. »

Quoique ce raisonnement ne m'inspirât pas une grande confiance dans M. de Lafayette, je ne crus pas pouvoir refuser de rendre compte au roi de cette conversation, et j'adressai en mêmetemps à sa majesté un long mémoire que M. Malouet m'avoit remis de la part de M. de Lally.

Quelques jours après, je retrouvai M. de Lally chez M. de Montmorin, et nous y reprîmes la même conversation. Ce fut alors que, pour achever de dissiper tous mes doutes sur les sentimens actuels et sur les bonnes dispositions de M. de Lafayette, il me lut plusieurs passages d'une lettre que ce général se proposoit d'adresser à l'assemblée, et dont l'envoi n'étoit différé qu'à raison de quelques additions qu'il falloit y faire relativement aux changemens survenus dans le ministère.

Cette fameuse lettre, lue à la séance du 18 juin, étoit conçue en ces termes:

Au camp retranché de Maubeuge, ce 16 juin 1792, l'an quatrième de la liberté.

«Messieurs, au moment trop différé peut-être

» où j'allois appeler votre attention sur de grands » intérêts publics, et désigner parmi nos dangers » la conduite d'un ministère que ma correspon» dance accusoit depuis long-temps, j'apprends » que, démasqué par ses divisions, il a succombé » sous ses propres intrigues; car, sans doute, ce » n'est pas en sacrifiant trois collègues asservis » par leur insignifiance à son pouvoir, que le » moins excusable, le plus noté de ces ministres » aura cimenté, dans le conseil du roi, son équi» voque et scandaleuse existence.

» Ce n'est pas assez néanmoins que cette » branche du gouvernement soit délivrée d'une » funeste influence. La chose publique est en » péril; le sort de la France repose principale»ment sur ses représentans; la nation attend » d'eux son salut; mais, en se donnant une cons»titution, elle leur a prescrit l'unique route par » laquelle ils peuvent la sauver.

» Persuadé, messieurs, qu'ainsi que les droits » de l'homme sont la loi de toute assemblée cons»tituante, une constitution devient la loi des » législateurs qu'elle a établis, c'est à vous-même » que je dois dénoncer les efforts trop puissans » que l'on fait pour vous écarter de cette règle » que vous avez promis de suivre.

» Rien ne m'empêchera d'exercer ce droit d'un » homme libre, de remplir ce devoir d'un ci

toyen; ni les égaremens momentanés de l'opi

»nion, car que sont les opinions qui s'écartent » des principes! ni mon respect pour les repré» sentans du peuple, car je respecte encore plus » le peuple, dont la constitution est la volonté » suprême; ni la bienveillance que vous m'avez » constamment témoignée, car je veux la conser»ver comme je l'ai obtenue, par un inflexible » amour de la liberté.

» Vos circonstances sont difficiles: la France » est menacée au-dehors et agitée en-dedans. » Tandis que des cours étrangères annoncent l'in» tolérable projet d'attenter à notre souveraineté » nationale, et se déclarent ainsi les ennemis de » la France, des ennemis intérieurs, ivres de fa» natisme ou d'orgueil, entretiennent un chimé» rique espoir, et nous fatiguent encore de leur » insolente malveillance.

» Vous devez, messieurs, les réprimer; et vous » n'en aurez la puissance qu'autant que vous > serez constitutionnels et justes.

» Vous le voulez sans doute; mais portez vos » regards sur ce qui se passe dans votre sein et » autour de vous.

» Pouvez-vous vous dissimuler qu'une faction, » et, pour éviter les dénominations vagues, que » la faction jacobite a causé tous les désordres? » C'est elle que j'en accuse hautement. Organisée » comme un empire à part dans sa métropole et » dans ses affiliations, aveuglément dirigée par

» quelques chefs ambitieux, cette secte forme » une corporation distincte au milieu du peuple » français dont elle usurpe les pouvoirs en subju» guant ses représentans et ses mandataires.

» C'est-là que, dans des séances publiques,

» l'amour des lois se nomme aristocratie, et leur » infraction, patriotisme; là, les assassins de » Désilles reçoivent des triomphes; les crimes de » Jourdan trouvent des panégyristes; là, le récit » de l'assassinat qui a souillé la ville de Metz, vient » encore d'exciter d'infernales acclamations.

» Croira-t-on échapper à ces reproches en se » targuant d'un manifeste autrichien où ces sec» taires sont nommés? Sont-ils devenus sacrés, » parce que Léopold a prononcé leur nom? Et » parce que nous devons combattre les étrangers » qui s'immiscent dans nos querelles, sommes» nous dispensés de délivrer notre patrie d'une » tyrannie domestique?

» Qu'importent à ce devoir, et les projets des » étrangers, et leur connivence avec des contre» révolutionnaires, et leur influence sur des amis » tièdes de la liberté ! C'est moi qui vous dénonce » cette secte, moi qui, sans parler de ma vie pas»sée, puis répondre à ceux qui feindroient de » me suspecter: Approchez dans ce moment de » crise où le caractère de chacun va être connu, » et voyons qui de nous, plus inflexible dans ses principes, plus opiniâtre dans sa résistance,

VIII.

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