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avoit fait un patriote, et dont les jacobins avoient fait un ministre.

Le décret rendu en faveur des trois ministres * renvoyés, devint le signal d'une foule d'adresses de clubs, de sections, de municipalités, etc., etc., dont les rédacteurs cherchoient à se surpasser par leur insolence envers le roi. On se permit même dans quelques-unes, d'inviter sa majesté à abdiquer la couronne; d'autres joignoient à cette invitation l'avis de ne point laisser influencer son conseil par des personnes d'un sexe que la constitution avoit sagement écarté du gouvernement et qui devoit se borner aux soins domestiques et à donner l'exemple des bonnes mœurs. On l'exhortoit aussi à se tenir en garde contre le modérantisme et contre les prétres, et l'assemblée ne rougissoit pas de prodiguer ses applaudissemens à toutes ces indignités! Cet accroissement d'audace étoit trop rapide pour ne pas inspirer les plus vives alarmes aux personnes sincèrement dévouées au roi. Combien ne pourrois-je pas en citer, qui n'ayant aucune liaison avec moi avant cette époque, et se confiant à mon zèle et à ma fidélité, venoient me témoigner leurs inquiétudes, leurs dispositions à défendre la famille royale, au péril de leurs jours si l'occasion s'en présentoit! etc., etc. La curiosité de savoir si j'étois encore chargé de quelques détails relativement au service du roi, et si j'a

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vois quelques fonds à ma disposition, m'attiroit aussi des propositions tantôt très-suspectes, tôt très-intéressées (1). J'avois heureusement pris l'habitude de les regarder toutes comme autant de pièges qu'on me tendoit, et je n'accueillois jamais que celles qui pouvoient conduire à un résultat avantageux sans la moindre possibilité que le roi fut compromis, quelle qu'en fût l'issue.

Trois jours après le renvoi de Roland, Servan et Clavières, Dumouriez s'appercevant que leurs partisans lui avoient aliéné la majorité de l'assemblée, les jacobins et la classe nombreuse de scélérats et d'intrigans soldés, placés, ou ayant promesse de l'être par ces trois ministres, il crut devoir tout sacrifier à l'intérêt pressant de regagner la popularité qu'il avoit perdue, ou au moins de conserver le peu qui lui en restoit. Il ne pouvoit pas se dissimuler que le roi ne consentiroit jamais à sanctionner les deux décrets dont j'ai parlé, et celui qui ordonnoit la déportation des prêtres; il n'avoit pas oublié que loin de combattre la répugnance de sa majesté, il l'avoit appuyée au conseil, et provoqué le renvoi des ministres qui vouloient la sanction de ces décrets; il eut néanmoins la lâcheté d'aller proposer à sa majesté de sanctionner ces mêmes décrets, ou de

(1) Voyez la note 2o. et la note 2o. bis.

recevoir sa démission, prétendant que d'après le mauvais effet qu'avoit produit le renvoi des trois ministres, ses services seroient plutôt nuisibles qu'utiles, si le roi persistoit à refuser la sanction. Sa majesté essaya inutilement de lui faire entendre raison sur l'inconséquence et les dangers de l'alternative qu'il proposoit; il y persista, et sa démission fut acceptée. « Concevez - vous » (m'écrivit le roi, en m'apprenant cette nouvelle » à laquelle j'étois bien loin de m'attendre) que » cet homme qui m'a fait renvoyer les ministres » qui vouloient me forcer à la sanction, veuille » m'y forcer lui-même deux jours après, et me » quitte parce que je le refuse ? »

Cette observation étoit certainement fort juste; mais ce qu'il y a de plus inconcevable, c'est que malgré la notoriété publique de toutes ces circonstances, Dumouriez ait eu l'impudence et la mal-adresse d'avancer dans ses Mémoires que, lors du renvoi des trois ministres, le roi lui avoit formellement promis de sanctionner les deux décrets, et qu'il n'avoit donné sa démission que parce que, deux jours après, le roi avoit changé d'avis, et ne vouloit plus tenir sa promesse. Dumouriez a-t-il pu se flatter que son témoignage seul suffiroit pour faire croire que Louis XVI ait été capable de manquer à sa parole? Au reste, cet homme extraordinaire qu'on a vu tour-à-tour jacobin enragé, ministre du roi, général répu

blicain, constitutionnel et presque royaliste, né s'est pas moins distingué dans la révolution par des talens militaires peu communs, que par l'énergie de son caractère; et s'il est si inexact dans ses récits sur les évènemens passés, il lui est arrivé quelquefois d'être bien plus près de la vérité dans ses conjectures sur l'avenir: on en peut juger par la lettre qu'il écrivit au marquis de la Rozière (1), le 16 septembre 1789. Je l'ai copiée moi-même sur l'original (2).

Le roi ayant accepté la démission de Dumouriez, en fit part à l'assemblée, qui en témoigna sa satisfaction par de nombreux applaudissemens.

M. de Chambonas, maréchal - de - camp, fut nommé au département des affaires étrangères; M. de Lajarre, à celui de la guerre; M. Terrier de Monciel, à celui de l'intérieur; et M. Beaulieu, à celui des contributions publiques. Dumouriez écrivit le lendemain à l'assemblée pour lui demander la permission d'aller reprendre son poste à l'armée du Nord, en qualité de lieutenantgénéral. J'ai, disoit-il dans cette lettre, trentesix ans de services, tant militaires que diplo

(1) Le marquis de la Rozière, excellent officier-général, employé alors en Bretagne, en qualité de maréchal-decamp, aujourd'hui lieutenant-général et quartier-maîtregénéral au service de sa majesté très-fidelle.

(2) Pièces justificatives, no. II.

matiques, et vingt-deux blessures; j'envie le sort du vertueux Gouvion, et je m'estimerois très-heureux si un coup de canon pouvoit réunir toutes les opinions sur mon compte. L'assemblée lui accorda d'une voix unanime la permission qu'il demandoit.

La caisse de la liste civile se trouvoit, à cette époque, dans un état d'épuisement presqu'absolu, par les dépenses énormes que l'habillement et l'équipement de la nouvelle garde avoient entraînées, par le remboursement de quelques emprunts, par les secours que le roi avoit accordés à plusieurs gentilshommes que la révolution avoit ruinés, et par les différens services secrets payés chaque jour par M. de Laporte. Sa majesté m'ayant témoigné quelques inquiétudes sur cet objet, je m'occupai des moyens de lui procurer des fonds, ce qui n'étoit pas chose aisée dans des circonstances aussi critiques, parce que le roi n'auroit pas pu emprunter par acte public, sans se compromettre très-gravement, et que les billets ou obligations sous seing-privé n'avoient pas moins d'inconvéniens par le danger des indiscrétions, qu'il est toujours prudent de prévoir. Heureusement je fus informé, par mon frère le chevalier, que l'ordre de Malte avoit encore dans sa caisse, à Paris, les 800,000 liv. qu'il devoit payer pour sa contribution patriotique, et dont, aux termes de sa déclaration, le versement ne devoit être

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