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» Encore une fois, monsieur, je ne comprends » rien à ce que vous me dites; je ne puis que vous » répéter que je n'ai jamais mis les pieds chez » madame la princesse de Lamballe, que je la » connois à peine de vue, et que je ne suis d'aucun » comité, ni chez elle, ni ailleurs. Mais le » message de Richer-Sérizy!-Je crois que, si » ce n'est pas une mauvaise plaisanterie qu'on » vous fait, c'est un piège qu'on vous tend, ou » quelque manoeuvre atroce qu'on prépare, et » dans laquelle vous vous trouveriez impliqué; » ainsi prenez-y garde. » Après avoir ainsi congédié Regnault de St.-Jean-d'Angely, M. Malouet vint chez moi, et me fit part de ce qui venoit de sepasser.

Ce fait méritoit d'autant plus d'attention que, depuis plusieurs jours, les journalistes et les motionnaires s'efforçoient d'agiter le peuple, par les déclamations les plus violentes contre les préten dus complots du comité autrichien. On annonçoit comme très-prochaine la publication de la véritable liste des membres de ce comité, et on invitoit d'avance les patriotes à en faire justice. Les agens de la police correctionnelle avoient arrêté, le dimanche précédent, deux scélérats qui fesoient cette motion dans les groupes du PalaisRoyal, et qui avoient été surpris fouillant et vui dant les poches de leurs auditeurs. En les visitant, on avoit trouvé sur leurs épaules la preuve qu'ils avoient été, l'un et l'autre, fouettés et marqués,

et dans leurs poches leur patente d'affiliation au club des jacobins, qu'ils avoient voulu employer comme leur sauve-garde.

Muni de tous ces renseignemens, j'allai en conférer avec M. de Montmorin, qu'ils n'intéressoient pas moins que moi, et j'y appris, par la lecture du journal des jacobins, que Carra avoit dénoncé, la veille, à la tribune de ce club, le comité autrichien, et que nous étions désignés l'un et l'autre, dans cette dénonciation, commė les principaux membres de ce comité. Je pensois qu'il ne pouvoit pas se présenter d'occasion plus favorable de démasquer publiquement tous ces impudens détracteurs d'un comité qu'ils savoient bien n'avoir jamais existé, de dévoiler les motifs, atroces qui avoient fait imaginer cette absurde et ridicule calomnie, et d'en obtenir justice. M. de Montmorin croyoit très-fermement, au contraire, que le parti le plus sage étoit de laisser tomber ces clameurs, et de les mépriser; et comme il vit que je n'étois rien moins que disposé à adopter cette opinion, il me recommanda très-instamment de ne pas hasarder la moindre démarche, dans une affaire aussi délicate, sans y avoir bien mû rement réfléchi, Mes réflexions ne furent pas longues, et leur résultat fut la résolution de rendre plainte au criminel contre Carra et ses fauteurs, adhérens ou complices; contre tous les journalistes qui avoient contribué à accréditer la

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fable du comité autrichien, et notamment contre les rédacteurs de la Chronique de Paris et du Patriote Français (Condorcet et Brissot); mais avant de rendre cette plainte, j'en soumis le projet à l'examen du roi et de la reine, et j'envoyai un courier à Anet, où étoit alors madame la princesse de Lamballe, pour l'instruire de ce qui se passoit, et lui demander si elle connoissoit RicherSérizy, si elle l'avoit chargé ou fait charger d'inviter, de sa part, Regnault de St.-Jean-d'Angely à se rendre à un comité, si elle avoit jamais assisté à quelque comité, et si elle avoit connoissance qu'aucun comité se fût jamais tenu chez elle, ou dans son appartement au château.

Le lendemain, le roi me renvoya mon projet de plainte, avec ces mots écrits à la marge, de la main de sa majesté : « J'ai lu à la reine le projet » de plainte; nous ne pouvons pas nous mé» prendre sur le motif qui suggère cette dé» marche, et nous en sommes bien vivement » touchés; mais nous craignons, l'un et l'autre, » qu'elle ne vous compromette. Prenez-y bien » garde. » Je reçus le même jour la réponse de madame la princesse de Lamballe, qui me confirma dans l'opinion où j'étois, qu'elle ne connoisoit ni Richer-Sérizy, ni Regnault de St.-Jeand'Angely, qu'elle n'avoit jamais assisté à aucun comité, et qu'il ne s'en étoit jamais tenu chez elle, ni dans son appartement au château. Je répondis,

à l'avis plein de bonté que le roi me donnoit, « qu'aucun danger personnel ne me feroit jamais » différer d'une minute une démarche que je » croyois devoir produire un effet avantageux » pour sa majesté. » En conséquence, je vis le juge de paix Buob, qui me conseilla de porter cette affaire devant le tribunal de police correctionnelle qui existoit alors, et de faire répondre ma plainte par le juge de paix Larivière, qui étoit un des membres les plus instruits et les mieux intentionnés de ce tribunal.

Je ne balançai pas un moment à prendre ce parti; ma plainte fut répondue par Larivière, d'une ordonnance d'information. Le lendemain elle fut publiée dans les journaux, imprimée et répandue dans la capitale au nombre de six mille exemplaires (1). Cette démarche fit une sensation incroyable; et, à l'exception des jacobins, qui enrageoient de se voir ainsi démasqués, ridiculisés et avilis, tous les autres partis en furent satisfaits; mais les royalistes sur-tout, et particulièrement ceux qui avoient continué de faire leur cour a leurs majestés avec la même assiduité, et qui, à ce titre, avoient tous lieu de craindre de voir leurs noms inscrits dans la liste du comité autrichien, virent avec autant de plaisir que de reconnoissance l'attaque vigoureuse dirigée contre cetta

(1) Pièces justificatives, no. Ier.

imposture. Aussi, le dimanche suivant, lorsque je parus au lever du roi, j'y fus entouré, prôné, remercié et caressé par tous ceux qui s'y trouvoient.

Le juge de paix Larivière procéda à l'information. Après avoir entendu le témoignage de madame la princesse de Lamballe, de MM. Malouet et Regnault de St.-Jean-d'Angely,et avoir fait chercher inutilement Richer-Sérizy (1), il décerna contre Carra un décret d'ajournement personnel. Il se présenta pour subir son interrogatoire, et déclara qu'il avoit été autorisé par Merlin, Bazire et Chabot, membres du comité de surveillance, à avancer contre MM. de Montmorin et Bertrand le fait qui donnoit lieu à la plainte.

M. de Montmorin, voyant le bon effet que produisoit ma plainte, en rendit une en son nom, et peu de jours après nous en rendîmes conjointement une nouvelle, sur la déclaration faite par Carra, dans son interrogatoire, que Merlin, Baziré

(1) Richer-Sérisy qui vint me voir un mois après que cette affaire eût été abandonnée, m'assura que l'invitation qu'il avoit donnée à Regnault de St.-Jean-d'Angely, de la part de madame la princesse de Lamballe, étoit une mauvaise plaisanterie qu'il avoit voulu lui faire, une simple mistification à laquelle les jacobins n'avoient aucune part. Cela étoit possible ; mais le contraire étoit assez vraisemblable pour qu'on put y croire, sur-tout quand on n'étoit pas dans la confidence de cette mistification.

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